Joujou est rentré dans nos vies en août dernier, lors d’une sauterie annuelle qui marie les arts du punk, de la détente et de l’aventure. Le festival Baleapop avait alors convié un duo qui fait du rock avec de la boue, une basse à corde unique et des tambours fous. A la louche, on a échangé avec Benjamin et Agnès autour de poétesses russes, de Daniel Mermet, du Maréchal Plotin, de la rue et de la quête de l’éther-nul. Un duo très X au pluriel.
Quelle est l’histoire de votre basse à une corde ?
Benjamin : Elle a été fabriquée par un ami naturaliste-grapheur-jardinier-ébéniste-plasticien en Picardie, sculptée par lui dans une planche de cèdre coupée en 1945 dans son jardin par le grand-père ébéniste-radhiéstésiste-stéréoscopiste, et munie d’un micro de guitare électrique que m’a donné, il y a une quinzaine d’années, un certain Franck William Fromy. C’est un instrument primitif pour musiciens primitifs, une monocorde pour walking-dead-bass.
Je vois sur votre site un peu old school et un peu LSD que vous citez « Lucrate Milk, Catherine Ribeiro & Joy Division ». A part Joy Division, ce sont deux visions assez singulières qu’on a rarement l’occasion d’entendre de la part d’artistes. Vous pouvez me parler de ce qui vous touche chez eux ?
B : Ce sont des étiquettes que l’on nous a accolées, pas des références de notre part, en tout cas pas des sources d’inspiration, même si nous les acceptons volontiers. Lucrate Milk sûrement parce qu’enfantin et effusif, Ribeiro c’est plus obscure, peut-être à cause de sa chevelure ?
Agnès : Quand je suis tombée sur cette description de Joujou, je l’ai gardée et m’en suis servie… Coquetterie. C’est classe comme référence, non ?
Clip réalisé par Hélène Bozzi
Très. Niveau paroles, on peut trouver quelques ressemblances avec Catherine Ribeiro. Il y a souvent un semblant de thème en filigrane mais l’esprit se laisse vite aller. Dans quel état écris-tu tes textes ?
A : A vrai dire, nous écrivons les textes tout les deux. Et chacun de son côté. Pour ma part, j’aime quand l’écriture est directe et claire mais aussi laisser faire l’imagination quand elle prend la barre du stylo ou de mon clavier. Et que des images surgissent, tu ne sais pas d’où elles sortent mais tu les vois. Elles sont là. Elles défilent sous tes yeux. Effet cinémascope. Rêver les yeux ouverts. Et écrire ce que tu vois. Partir d’un point concret, très précis et suivre l’histoire qui vient. Tu écris et parfois tu comprends plus tard ce que tu as écrit.
Aussi dans Joujou, on met en son des textes de poètes, comme Tatiana Tchepkina-Koupernic [elle / ndlr], poétesse russe, ou même d’anonymes comme le texte de « La Rue » : il vient d’un coup de gueule qui passait sur le répondeur de l’émission de Daniel Mermet, enfin on croit, on n’est pas sûr non plus. Ce coup de gueule circulait en MP3 parmi nos potes, jusqu’à arriver à mes oreilles. Et là, je savais qu’il fallait le dire encore et encore, tellement la rue on lui marche dessus ! J’aimerais bien que ce mec entende le morceau qu’on a fait. Bref, tu vois les textes peuvent venir de plusieurs points de fuite… Et sinon pour te répondre plus simplement, j’écris souvent dans un état de très grand calme intérieur, ou au contraire sous l’emprise d’une angoisse mouvante pressurisée qui ne demande qu’à éclater. Benjamin écrit, je ne peux pas te dire dans quel état.
Joujou © Steacy du groupe Burn in Hell @ Ciboure
Benjamin, les rythmiques punk et tribales ont-elles des buts communs ?
B : Pas de buts en particulier, pour les rythmiques je fais ce que je peux derrière la batterie, qui reste une installation précaire d’instruments qui ne cesse de m’exciter. Je tape, je tape, je tape.
Les boucles rythmiques et les répétitions de mots sont là pour aider à rentrer en transe. Des gens dans le public ont-ils déjà touché l’Eternel en vous voyant ?
B : Je ne surveille pas vraiment le public lors des concerts, les gens touchent à ce qu’ils veulent, à l’Eternel ou à autre chose, et puis la transe est un vrai travail…
A : … en tout cas on en est loin tout de même !
B : Aujourd’hui nous sommes trop pressés pour y atteindre, il faudrait faire des concerts de plus de 45 minutes…
A : …il faudrait enchaîner…
B : … des nuits de tambourinade et de grandes rondes, des semaines entières à danser pour arriver à bout de toutes les couches superposées qui nous recouvrent, nous encombrent et, peut-être, toucher à l’éther-nul ?
Joujou © Bones & Glory – Alain Cazenave @ Baleapop 2015
Agnès, la boue que tu t’es étalée sur le corps au festival Baleapop a-t-elle eu des effets bonifiants ? Te sens tu plus proche de la nature ?
A : Oui, l’odeur particulière de merde qui se dégage de la boue te rapproche forcément de ton état de nature. J’ai eu d’autres occasions depuis de me rouler dans la boue… Et j’aime beaucoup. Oui c’est bonifiant, vraiment.
En concert, on entre dans un rituel avec un gourou et un rouleur de tambours. A quand les concerts avec le public en rond sous ayahuesca et danse participative ou une autre forme adaptée à votre procession ?
B : N’est pas gourou celui qu’on croit. Ne se fait pas rouler dans les tambours qui veut. N’est pas ayahuesca, ou Liane -Folie, ou Peter Pan-pan-cul-cul, ou inspecteur Godget, ou Adolf Shitler, ou Julien Shrek, ou Nicozy Sarkolas, ou le Maréchal Bugeaud, ou le Maréchale Plotin, ou le Maréchal J’offre, ou le Pépère Ubu, ou la reine dans gleuterre, ou Hulk ou King-Pong, ou Pierre Bachelard ou je ne sais qui de respectable qui peut. Et puis la drogue ça coûte cher et ça rend malade. Et j’aime pas être malade ni vomir partout, c’est sale et ça sent mauvais.
A : Et bin ! Ta question fait un effet monstre à mon rouleur de tambours. Oui j’adorerais travailler sur l’effet de catharsis par exemple. Je ne sais pas trop comment ; en développant des mises en scène plus totales lors des concerts, j’aimerais beaucoup, oui. J’ai l’impression que la question de la prise de drogue est importante pour toi… Je me trompe ? Il faut être solide pour cela. Ce n’est pas mon cas.
Joujou © Julien Bonet
Faire du rock assez punk n’est-il pas le meilleur moyen d’avoir une « carrière » musicale remplie de galères et de plans mal payés ? Ou est-ce que le tissu des réseaux rock indé est-il suffisant pour que vous mangiez à votre faim ? Ou est-ce que vous n’avez simplement jamais réfléchi à avoir une carrière en tant que tel ?
B : Après la communication, le développement, voici le plan de carrière. Et bien, disons que nous jouons au loto, bingo, horoscope, banco, black-jack mais jamais au casino ni au tiercé, et que nous comptons bien gagner le gros lot un jour. C’est un bon plan de carrière il me semble, ou, du moins, un signe d’optimisme incontestable.
A : En tout cas, j’ai bon appétit et là où nous jouons, nous sommes tout le temps bien accueillis, on y mange généralement très bien. On rencontre des équipes qui déploient une énergie dingue, belle et bien loin d’un certain cynisme ambiant, pour que des concerts, des spectacles, des expos, des projections de films aient lieu, pour que l’énergie et la pensée circulent. On arrive à tourner et faire exister Joujou grâce à ces lieux curieux, passionnés, et qui tiennent bon face aux difficultés rencontrées : argent, voisinage. Tout le monde fait en sorte que ça tienne la route.
Joujou – Mauvais garçon
Hélène Bozzi © Avril 2013, Nantes, Sweat Lodge
Et puis il y a les électrons libres, zébulons tourbillonnant qui font office de passerelle entre différents réseaux. Et j’ai l’impression que de fil en aiguille, tu peux ouvrir des chemins existant mais peu utilisés. Mais existant. Où tu peux être comme tu es, sans devoir à tout prix ressembler à ce qu’on attendrait de toi. Ce qui fait que l’on se retrouve à jouer aussi bien sur des scènes alternatives que des scènes implantées comme le festival MIMI à Marseille ou même Le Baleapop à Saint-Jean-de-Luz, où tu nous as entendus. Cela grâce à des groupes, à des personnes qui travaillent hors clichés et n’ont que faire des cases toutes faites à remplir. Des personnes qui s’écoutent et suivent elles aussi leur propre voix/e. L’important est de se retrouver à plusieurs pour expérimenter ensemble l’énergie d’un concert…qui est irremplaçable car tu ne peux pas trop tricher à ce moment là. Même si le disque, l’enregistrement, peut être une expérience grisante et excitante, le live c’est du direct où tout peut arriver. Même de la magie… Ou pas.
La communication 2.0 sur Facebook, c’est pas trop votre truc, vous n’avez pas de page fan, par exemple. Comment arrivez-vous à faire connaître votre musique et développer le projet sans ça ?
B : Un projet c’est un truc qu’on lance très loin en visant quelque chose et qui ne revient jamais, non ? Pour faire connaître notre musique, et bien nous tâchons de faire des concerts, c’est pas très 2.0, mais c’est déjà ça.
A : Tu exagères Romain, on a un site, un Facebook pour les « amis », deux clips… Et puis on s’y met là. Avec une certaine lenteur, certes.
Joujouduo © Sonia Sassi @ Glaz’art
Plutôt bijou, caillou, chou, genou, hibou ou pou ? Développer pourquoi.
B : A ton avis ?
A : Plutôt caribou.
Êtes-vous une sorte de clowns tristes un peu punks ?
B : Peut-être. Et en même temps aucun des trois, ni clowns, ni tristes, ni punks.
Où Joujou se développe-t-il ? Et quels sont vos envies proches-futures ?
B : Joujou ne se développe pas, il pousse dans les rêves d’enfants et meurt au petit matin, se retrouve tout au fond de la hotte du père no-hell et finit balancé dans le canal auditif, coincé comme une mouche agonisant au fin fond d’une oreille interne, d’une pas sourdoreille.
A : Bon, je crois qu’on le perd. C’est bien, c’est la fin de l’interview là.
Photo à la une : Joujou - Farniente Festival / DR
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