Joe Lucazz est un rappeur qui tient ses promesses. Après de nombreuses années de galère, il passe la vitesse supérieure et sort deux albums en l’espace de six mois. Propre. Quand le premier « No name 2.0 » exploite parfaitement l’esprit dope-dealer du personnage, « Paris Dernière » explore le pan de sa musique le plus axé sur la ride nocturne. On vous fait les présentations.
Un rapport s’est développé par phases éparpillées tout au long de la discographie de Joe Lucazz. Avant même que son œuvre ne commence a se construire de manière exotérique, il était déjà aisé de distinguer les différentes facettes qui faisaient l’identité de sa musique. A l’instar d’Isha, Joe Lucazz a patienté pour prendre sa place, le temps de développer un univers riche aux ramifications multiples.
Là où le tracklisting de No Name 2.0 pouvait sembler quelque peu bricolé, celui de son nouveau disque Paris Dernière sorti le 1er juin dernier apparaît solidement charpenté. La direction est claire et bien construite. Les variations d’ambiance sont bien pensées, et les interludes – contrairement à ceux introduits dans la majorité des albums rap – participent à la narration, et permettent d’affiner l’ensemble. Voici un extrait de No Name 2.0.
Sur Paris Dernière, c’est le beatmaker Char qui se voit ici confier l’entièreté de la production. Il crayonne des décors embrumés qui posent de parfaites bases pour l’écriture imagée de Joe. Le rappeur évoque d’innombrables rues et quartiers parisiens ; cumule les références, entre personnages historiques du Paris populaire et clins d’oeil aux narco-trafiquants, ou au monde du rap. Une culture transversale, qui en se mêlant au vécu et au phrasé haché de Joe, crée un vrai kaléidoscope. Le rappeur parisien démontre plus que jamais qu’il possède l’une des écritures les plus cinématographiques du rap français.
Mais ce Paris Dernière ne se borne pas à une simple description de décors. Il verse également dans l’introspection. L’idée de la dualité est exploitée tout au long du disque. Joe nous expose sa face claire, posée, poétique ; mais n’hésite pas à s’aventurer dans les recoins les plus sombres de sa personne. Ceux habités par son « jnoun » qu’il évoque si souvent. Les transformations nocturnes sont légion, et Dr Jekyll laisse bien souvent place à Mister Hyde. Une facette plus rude qu’il assume parfaitement, et qu’il dépeint même avec un certain humour dans un morceau comme « Une galère », hélas indispo sur YouTube ou Soundcloud. Et voici donc un extrait dudit Paris Dernière.
Malgré un ou deux featuring dispensables, ce Paris Dernière tient amplement ses promesses, et se pose comme l’un des meilleurs projets de Joe Lucazz. Là où ses mixtapes pouvaient souffrir de problèmes de construction, de défauts techniques ou d’approximations vocales, ce dernier album apparaît comme plus abouti. Son flow si saccadé se cale et se décale du climat du disque, ses refrains nous retournent le crâne à tous les coups, et son univers n’a pas d’équivalent connu de nos services. Ou en tout cas, on n’a jusqu’ici aucun point de comparaison. Par petites touches, le rappeur parisien dessine un décor tout en se livrant, avec une pointe de recul qui rend le tout plus attachant.
Joe semble avoir trouvé sa voie, a dépassé l’état du simple faiseur de coups d’éclats, et a maintenant la maturité pour construire seul son grand-œuvre, et pourquoi pas marquer le rap français de sa patte. En cela, il devient le nouveau membre d’une sociologie d’artistes : ceux qui ont occupé le terrain pendant de nombreuses années – souvent plus d’une décennie – sans jamais vraiment trouver leur place, et qui ont fini par toucher au statut qu’ils méritaient vraiment, en compressant avec efficacité ce qui faisait leur identité. Les étoiles sont finalement alignées.
Crédit photo en une : Pierre Gregori
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