L’été prochain, le Binic Folk Blues Festival aura dix ans. Tandis que les organisateurs souffleront les bougies de la crêpe, les commentateurs se presseront pour dresser le bilan d’un festival entièrement gratuit et complètement exceptionnel. Prenons donc les devants, et établissons quelques vérités, qui, à n’en pas douter, seront toujours vérifiables dans dix ans.
La gratuité : pas que pour les chiens et les 8.6
Bon, ce n’est plus vraiment une surprise : la gratuité est l’essence même du festival (car, comme les organisateurs et les festivaliers se plaisent à le répéter, « ce ne serait pas pareil si c’était payant »). Par contre, elle est suffisamment rare pour être remarquée, soulignée et appréciée.
Remarquée pour une programmation comme celle-là : pointue et diversifiée, sans réelle tête d’affiche, mais avec une flopée d’artistes français et internationaux dont la réputation n’est plus à faire sur les scènes rock, blues, ou garage (cette année, King Khan & The Shrines, Tim Presley de White Fence, Male Gaze ou Sonny & The Sunsets étaient de la partie).
Soulignée pour les efforts consentis par La Nef D Fous. L’association qui organise le festival a réussi à maintenir la gratuité du festival, pour la neuvième année consécutive, malgré l’état d’urgence et les dépenses de sécurité qui vont avec (et qui absorbent plus de la moitié du budget). À ce niveau-là, ce n’est même plus un tour de force, c’est un véritable exploit.
Appréciée pour la sensation étrange de franchir les barrières de sécurité du festival – parce qu’il y en a quand même – sans avoir à tendre son billet ou son poignet. On ouvre bien son sac à dos rempli de 8.6 pour les vérifications d’usage. Mais les agents de sécurité laissent passer avec, à la place des réprimandes habituelles, un petit sourire complice. « Bienvenue à Binic ! ».
Punks et babos de tous pays, aimez-vous
Dans la panoplie du communicant de base chargé d’annoncer un festival, on retrouve systématiquement les mêmes éléments de langage : « familial », « grand public », « communion », bla bla bla… Et c’est vrai que, après tout, on voit mal Panoramas (pour n’en citer qu’un) se présenter comme « le festival des teenagers », même si son public est très largement composé de lycéens. Tous les festivals cherchent évidemment à ratisser le plus large possible.
Pourtant, quand on lit, dans la brochure d’annonce du festival, que Binic est le lieu d’une « incroyable communion entre un public familial et des rockeurs tatoués », on a d’abord du mal a y croire. Parce que la programmation est pointue, et parce qu’elle est surtout susceptible d’attirer un public aussi radical que les groupes invités. On ne mélange pas les torchons et les serviettes. Bah en fait si, on peut, et c’est même l’un des principaux enseignements de l’événement.
Immédiatement après avoir franchi les barrières, on est frappés par la diversité des festivaliers. Binic est le lieu d’un incroyable brassage culturel, un vrai terrain d’enquête sociologique : les « rockeurs tatoués » et le « public familial » du communiqué sont bien là, mais on croise aussi des hipsters, des babos, des punks, des campeurs, des ados, des vieux, des moches, des beaux, des gentils, des connards… Et la liste est encore longue comme le bras d’un YouTubeur. Le mieux dans tout ça, c’est que tout ce joli monde communie dans la joie et la bonne humeur.
JUL, mods, jeunesse, bière, bière, bière
Cette fois-ci, on ne pourra pas se plaindre de s’être fait baiser par un communicant. Binic est un festival honnête, alors quand il parle de cette fameuse « communion » du public – invoquée par beaucoup, mais rarement réelle – il faut le croire sur parole. Pour caractériser l’ambiance du BFBF, on peut même avoir recours à la trilogie, interdite en temps normal, des mots en « al » (« amicale », « familiale » et « conviviale ») sans exagérer pour autant.
En plus des concours de vomi (désormais traditionnels en festival, mais toujours très amusants à regarder), ou des baignades à poil dans la marina, le BFBF est le théâtre de scènes d’une rare convivialité : des enfants, casque sur les oreilles, montent sur le dos de vieux rockeurs un peu sales, offrant un spectacle qui n’a rien de malsain ; des jeunes cons, un peu éméchés, passent du JUL à fond sur leur enceinte portable, sans que personne ou presque n’y trouve rien à redire ; des mods se battent entre eux, sur la plage (ambiance Brighton 1964) dans des rixes parfaitement amicales. De celles qui débutent par une gentille – mais quelques fois grosse – claque dans la gueule, et se terminent par un petit bisou sur le crâne ensanglanté. Binic, c’est familial.
Evidemment, l’alcool n’est pas étranger à toute cette joyeuse agitation. Souvent, il provient d’abord de l’extérieur. Mais quand arrive le moment de se réapprovisionner, c’est sans la moindre hésitation que les festivaliers se dirigent vers le bar, pour y vider leur portefeuille (parfois en même temps que leur estomac). Car, à Binic, boire c’est un geste militant. Comme l’avait commenté, à très juste titre, un dénommé Frankie Ketchupi, en-dessous de notre premier article sur le festival : « Achetez pleins de bières !!! Faut qu’ils survivent tout de même ! ».
Ah oui, c’est vrai, on est un site de musique
Puisqu’on y était, parlons quand même un peu de cette édition. En festival, il y a trois catégories d’artistes : ceux qu’on attendait et dont on est content (King Khan & The Shrines, à voir au moins une fois dans sa vie ; Sonny & The Sunsets, simplement magnifiques), ceux qu’on attendait et qui ont déçu par leur absence (Tim Presley, qu’on a attendu longtemps, mais qui n’est jamais venu, suite à un problème de transport), et ceux qu’on n’attendait pas et qui nous ont agréablement surpris (on aurait pu ajouter ceux qu’on n’attendait pas et dont on a pas pensé grand chose, mais on s’en fout un peu, en fait…). Et, cette année, le rayon surprise était plutôt bien garni.
Première claque avec Big Mountain County. Le groupe romain montre – on a tendance à l’oublier – que le fait d’être Italien n’empêche pas d’aimer le bon rock, et, plus important encore, de bien en jouer. BMC confirme aussi, après un album live très réussi, que la scène est son arène favorite : le son est lourd, très lourd. Plus lourd encore que l’atmosphère, à tel point qu’on se demande si ce ne sont pas les riffs de guitare (à tendance heavy), plutôt que la chaleur moite, qui ont décidé le chanteur à abandonner sa chemise.
On sort un peu la tête du four, pour y replonger presque immédiatement, au moment où Escobar monte sur scène. Et, comme dirait Lorenzo : « On n’est pas prêts. » Pas prêts pour le pogo monumental qui se déclenche dès le premier coup porté à la caisse claire. Pas prêts pour l’énorme vague garage-punk qui déferle sur la plage de Binic, en charriant les fantômes de Jay Reatard et des White Stripes. On n’est pas prêts mais on encaisse. On encaisse et on apprécie la performance du groupe, qui semble avoir bien choisi son nom.
Puisqu’on parle de noms bien choisis, évoquons le Villejuif Underground. Le groupe de banlieusards, emmené par l’Australien Nathan Roche, a joué un set pop et planant, assez éloigné des saletés garage auxquelles on aurait pu s’attendre. Il faut dire aussi que les morceaux enregistrés sont passés au filtre encrassé d’une console dénichée sur le Bon Coin. Live, le rendu est nécessairement différent : c’est plus net, plus clair, et tout aussi plaisant. De quoi bien entamer la journée de dimanche (il est 16h15 lorsque le groupe rend la scène).
La pause fraîcheur se poursuit avec Gloria. Quelques heures avant la tempête annoncée (King Khan, Six Ft Hick, Druids of the Gue Charette, ou Dr Chan), les trois filles du groupe ont sonné une trêve bienvenue. Fine(s) fleur(s) d’Howlin Banana Records, elles ont ressuscité les Ronettes pour un live pop et 60’s tout en douceur. Sûrement intimidées par un public de Bretons pas vraiment présentables, l’une des chanteuses lance, comme pour s’excuser : « Nous ne sommes pas Parisiennes, on est de Lyon en fait ». C’était trop vite oublier qu’à Binic, tout le monde est le bienvenue.
Crédit photo en une : Cyrille Bellec
Crédit photos dans le corps de l’article : Titouan Massé
putn
j’aurais du mal a me passer de ce bordel…
Super article! Dommage qu’il y ait quelques fautes!