Après avoir repris des poèmes, chanté dans trois langues différentes, collaboré avec Rachid Taha et globalement joué pour un public « places assises », Jeanne Added s’est tournée vers les brillants claviers de Dan Levy (The Dø) pour un EP massif, électronique et rageur. On a redécouvert une artiste pas tendre avec elle-même. Mais tendre avec vous.
On t’a connue chantant en français, en allemand et en anglais. Sur cet EP, tu t’es concentrée sur l’anglais. Comment choisis-tu la langue que tu vas employer ?
Toutes les langues autres que l’anglais correspondent à des chansons où je ne chantais pas mes textes. Là, j’écris tous mes textes pour l’EP et l’album à venir, en anglais.
Ton public arrive à te suivre, entre des débuts au conservatoire, des détours dans le jazz, puis la folk, le rock et maintenant l’électro ?
Il faudrait leur demander. A vrai dire, je ne sais même pas si j’ai un public. Pour moi, c’est cohérent. C’est toujours moi. Toujours mon expression. Même si ce que je raconte aujourd’hui, j’ai mis longtemps à mettre le doigt dessus. Maintenant, je me sens au bon endroit, au niveau de mon expression.
Quel est le socle commun entre les textes que tu reprenais et ceux que tu écris aujourd’hui ?
Je ne suis pas sûre de pouvoir bien répondre à cette question. D’abord, parce que je reprenais des grands poètes, ce que je ne pense pas être. Pendant les poèmes, ce qui me plaît, ce sont les endroits où il y a du creux, du vide pour que je puisse m’y mettre. Ces moments où tout n’est pas dit. Où il y a la place pour le lecteur ou l’auditeur pour se glisser. Après, mes textes racontent beaucoup l’envie de faire, la peur de faire, le besoin de rentrer dans la bataille. Ce qu’il n’y avait pas vraiment dans les textes que je chantais à l’époque.
Quels thèmes te plaisaient le plus dans les poèmes que tu chantais ?
Il y avait par exemple un poème de Robert Walser que je chantais qui s’appelle « Liebe ». Il dit de lui qu’il est la personne qu’il aime le mieux et qu’il hait le mieux. Qu’il est le soleil qui le réchauffe mais qui lui fait le plus de mal. Ça me touche.
La différence entre tes concerts d’hier et d’aujourd’hui, du jazz à la pop électronique, c’est que les gens sont debout en concert. Tu en avais marre des gens assis ?
Ah ouais. Par rapport au jazz, en tant qu’interprète, effectivement on est dans des salles assises, ce sont des adultes. J’avais envie d’un peu de mouvement, ça correspondait plus à la personne que j’étais. Après il y a des trucs très énergiques en jazz.
Jeanne Added – A War Is Coming
De quelles musiques es-tu la plus consommatrice ?
J’écoute beaucoup de hip-hop et de R’n’B, ou des musiques plus synthétiques. Quand j’aime une musique, généralement, je l’écoute en boucle. Comme le disque de Kendrick Lamar, que j’écoutais quasi tous les jours pendants des mois.
Dans cet EP, outre la fragilité que tu cultives toujours, il me semble y trouver des coups de gueule ?
S’il y en a, ils sont dirigés vers moi-même. Dans « A War Is Coming », je fais le constat de ma lâcheté et ce que ça me crée comme frustrations, de me sentir pas à la hauteur, de looser un peu. De constater que tu restes enfermée dans ta tête alors que le monde est grand autour. Et que si tu sors de chez toi, autant t’amuser.
Tu t’en veux uniquement à toi ou un peu au fait que notre société ne nous pousse pas à nous prendre en main ?
Non, c’est la faute de personne.
Je dis ça par rapport à une interview de Jacques Brel dans laquelle il pointe le fait que la société nous pousse à être passifs et à ne pas faire les choses de nous-mêmes. Et que l’une des clés de la jeunesse est l’initiative. Le « faire ».
C’est vrai que je devrais aussi me lâcher la grappe. Brel a raison, tout autour de nous nous dit de surtout bien rester à la maison et de ne pas être différent. Je n’invente rien malheureusement.
Y a-t-il aussi une envie de lâcher les chevaux ?
L’idée est de sortir de soi. Je parle du corps. De ce qu’on regarde, de ce qu’on ne regarde pas, de ce qu’on sait, de ce qu’on ne sait pas.
Tu as un flow presque gangsta, irrévérencieux dans un titre (« Miss it all »), ce à quoi on ne s’attendait moins.
C’est sûr qu’à force d’écouter du rap, ça rentre dans la tête. Ce morceau m’est fort dirigé contre moi-même mais qui se termine bien.
Je sais que Dan Levy a co-réalisé cet EP avec toi. Quel rôle précis a-t-il eu ?
Notre collaboration a duré plusieurs mois parce qu’il était en train de faire le disque de The Dø. On se voyait juste quelques jours et j’apportais de nouveaux morceaux à chaque fois. Mon écriture a pas mal bougé. Il a arrangé, il a apporté beaucoup sur les claviers, les rythmiques de batteries, dans les voix saturées qu’il fait aussi avec Olivia de The Dø, même si les disques sont radicalement différents. Dans notre exigence commune, il a été hyper important.
Tu as entraîné ta voix plus que d’habitude ?
Non, pas vraiment. La musique derrière cet EP est jouée par ordinateur, donc c’est assez rigide. Enfin, rigide, c’est pas péjoratif, hein. Mais il fallait faire vivre quelque chose de pas humain. C’est un travail que j’avais jamais fait. Sur scène, avec Narumi Hérisson aux claviers et Anne Paceo à la batterie. on bouge ensemble, on s’écoute, on s’adapte et se réadapte tout le temps. Contrairement aux machines.
Tu participes au spectacle de Philippe Découflé au Philarmonique de Paris sur David Bowie. Quelle est ta petite pierre apportée à ce grand édifice ?
On est trois chanteuses à interpréter des titres de Bowie : Sophie Hunger, Jehnny Beth du groupe Savages et moi. Il y a des danseurs, des acrobates, un groupe mené par Pierre Le Bourgeois. C’est très joyeux. En tant que chanteuses, on n’est pas du tout dans une démarche d’incarnation de Bowie. Contrairement aux danseurs, aux costumes, tout ça.
Jeanne Added – It
Crédits photos : Marikel Lahana
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