On s’est assis à la terrasse d’un café avec la tête joviale des Salut C’est Cool, l’inénarrable James Darle. On explore avec cet amoureux d’Aphex Twin et Recondite les musiques électroniques déviantes, mais aussi l’humanité au sens global et, en passant, son nouvel album « La vida es una paella ». Tout ça avec beaucoup de sérieux, mais quelques moments de décontraction. Par exemple, il a dessiné la courbe logarithmique du plaisir en musique avec des noyaux d’olives.
La première fois que je t’ai vu, c’était dans 10 minutes à perdre. Ça te paraît loin ?
C’était y’a six ans. En fait, ça fait pas si longtemps que ça, j’avais déjà commencé avec Salut C’est Cool et j’étais en école de cinéma. Je ne m’en rappelle plus très bien, le temps passe super vite. Je les ai rencontrés sur internet. On faisait déjà des clips pour Salut C’est Cool, et ils les relayaient.
C’était allé jusque sur Canal + cette histoire. Ça te fait quoi de voir toutes les émissions un peu drôles de Canal claquer la porte les unes après les autres ?
J’ai pas vraiment d’opinion. Je regarde pas trop la télévision, à part le Zapping. Maintenant c’est sur France 2, VU. Ça fait peur cette émission. Dans celui d’aujourd’hui, y’avait Françoise Sagan qui parlait de l’information et des médias, et elle disait que les jeux télévisés étaient utilisés dans les asiles de fous pour garder les gens au calme.
On finit souvent à ne plus avoir foi en l’humanité après avoir maté le Zapping. Contrairement à 10 minutes à perdre ?
J’en sais rien. Moi, je crois que mon truc favori sur internet, c’est les tutoriels. Déjà, les gars ils apprennent à faire des choses super bien, genre tourner le bois ou apprendre à faire des chemins pour les billes, et en plus de ça, ils ont le temps et l’envie de l’expliquer en vidéo, pour transmettre aux autres. En fait, c’est trop bien internet. C’est trop puissant. Même en musique, tous ceux qui font des playlists sur YouTube, c’est génial. En ce moment, je cherche vachement de morceaux de funk, et tu peux trouver des playlists de funk japonais des années 80.
Tuto pour faire ce très joli napperon
Tu ferais quoi sans internet ?
Genre, si j’habitais dans le passé ? Je crois que je ferais à peu près la même chose que maintenant. Je ferais de la vidéo, mais sur pellicule. Je ferais de la musique, mais avec un synthétiseur ou un ordinateur si c’est dans un passé proche. Sinon avec un groupe.
Mais internet booste la créativité de certaines personnes, j’ai l’impression…
Je sais pas si c’est vraiment internet. Déjà le fait que les outils soient disponibles, que ce soit hyper facile de faire de la musique, c’est génial. Plein de gens te diront que c’est difficile, mais c’est juste kiffant et simple. Et j’aimerais bien que ce soit encore plus simple, qu’on puisse dire : « Oh j’aimerais bien une musique qui fait comme ça » qu’on doive juste se l’imaginer et qu’elle existe. Que tout le monde soit un producteur.
T’es sûr que tu aimerais ça ? On dit souvent que c’est la contrainte qui attise la créativité.
Justement, il faudrait chercher encore plus parce qu’il y aurait encore plus de contenu. En plus, on a toujours une sorte d’affect particulier avec les gens qu’on connaît qui font de la musique. Si mon père commençait à faire de la musique sur son PC, je serais trop excité.
Ton père fait de la musique, autre que sur ordinateur ?
Pas du tout, il est ingénieur en métallurgie. D’ailleurs, ça n’a rien à voir avec le fait qu’il ne soit pas musicien. Mais non, il n’en fait pas. Je pense qu’il se dit que c’est pas pour lui.
Que pense-t-il de ce que tu fais ?
Je sais pas trop. Avec les gens que t’aimes bien, tu poses jamais la question qui fâche, genre : « Alors, t’aime bien ? » parce que t’as pas besoin de le savoir. Sauf certaines personnes très précises dont l’opinion t’intéresse. Si je devais demander l’opinion à mes parents sur des trucs que je fais, j’aurais pas beaucoup de retours très intéressants.
Vous vous connaissez depuis longtemps avec ton équipe de Salut C’est Cool ?
Avec Louis, on était ensemble en sixième. On est restés potes avec les années. Mais maintenant on n’a plus la Carte Jeune.
Mais vous avez un tourneur…
Ah oui, Joran [Le Corre, le boss du tourneur Wart, ndlr], depuis longtemps. Donc oui, c’est pratique. J’aimerais bien acheter une voiture. Une Honda Legend coupé.
Tu peux mettre beaucoup de monde dedans ?
Deux personnes. Mais elle est très belle. Ça pourrait être ma première voiture.
Pas vraiment pratique pour tourner…
Ou juste pour faire des tours, sur un chemin privé, un chemin de campagne après le repas du dimanche, avec une pipe.
Pour toi, la musique a commencé avec Salut C’est Cool ?
Oui. Je ne me destinais pas du tout à en faire. Je suis pas très bon, c’est juste pour essayer. Faire de la musique, c’est une sorte de recherche, ça m’apporte beaucoup de bonheur. Je pourrais aller plus en profondeur mais je n’y arrive pas trop. C’est un truc assez général dans la vie, j’arrive pas à aller trop en profondeur dans les choses.
Tu t’arrêtes au moment où le plaisir commence à s’effacer ?
Peut-être. Mais quand tu vois les gens qui deviennent spécialistes d’un domaine, ils ont l’air de prendre beaucoup de plaisir à le faire. Il doit y avoir une courbe où tu découvres la musique, tu prends vachement de plaisir à le faire, ensuite ça devient dur parce qu’on commence à voir les limites qu’on n’avait pas trop envisagées, donc là le plaisir redescend pendant un moment et ensuite tac il repart quand tu deviens plus expert. Je pense que j’ai passé des caps comme ça en musique et en vidéo. C’est une courbe logarithmique.
S’ensuivent 5 min de dessin de la courbe des compétences en fonction du plaisir. On l’appellera la courbe Skills (Pleasure).
Ça fait combien de temps avec Salut C’est Cool ?
Ça fait 7 ans.
Tu penses que le groupe est resté fidèle au postulat de départ ?
Ouais, grave. On fait ce qui nous passe par la tête, de trouver de nouvelles idées, de nouveaux terrains de jeu, de nouvelles manières de nous exprimer, d’innover, un petit peu.
A la maison, quand tu étais petit, c’était plus de Renaud, du Sardou, du happy hardcore ou du jazz ?
Y’avait pas de musique chez moi. Ce que j’écoutais le plus étant petit, c’était le best-of de Hot Chocolate. J’écoutais énormément de best-of. Balavoine, Pink Floyd, que des best-of. D’ailleurs quand j’ai commencé à faire des playlists, mes parents aimaient pas parce qu’il n’y avait pas de morceaux qu’ils connaissaient. Beaucoup de gens sont comme ça, ils aiment bien les artistes mais préfèrent écouter les morceaux qu’ils connaissent. Moi, j’aimerais bien avoir une super grande discographie, qu’on puisse faire plein d’albums. Le système un album par an, c’est super plan-plan. Tu connais Lil B ? C’est un type qui fait de la trap, du rap. Il a fait des mixtapes avec mille morceaux. Ou sinon, t’as Aphex Twin qui sort 200 morceaux d’un coup. Ça j’adore.
Les gens voient le format album comme quelque chose de très travaillé, avec des arrangements, à l’enregistrement long, à la composition longue. Il y a un côté sacré. Beaucoup d’artistes veulent aussi faire carrière et pensent en terme de promo. C’est clair que c’est anti-promo de sortir 200 morceaux d’un coup. Même dans le cas d’Aphex Twin : tout le monde était ravi qu’il revienne mais les médias ont vite lâché l’affaire quand ils ont vu qu’il sortait 15 morceaux par jour depuis son retour. Mais bon, lui s’en fout.
Oui, c’est un peu chiant l’histoire des plans promo.
Après, si tu fais 200 morceaux d’un coup, faut que tu t’attendes à ce que 150 d’entre eux ne soient pas écoutés.
C’est pas vrai, certains artistes sortent beaucoup de matériel, et à chaque fois les gens les écoutent. Quand t’aimes, tu comptes pas. En plus, tu te sens plus proche d’eux. C’est plus humain. J’ai l’impression que Lil B, il est sans filtre, il ne retient pas ses coups ni ses mots. C’est l’expression authentique d’un artiste.
J’en déduis que la composition de La Vida Es Una Paella ne t’a pas pris beaucoup de temps.
Pas beaucoup, non. Je l’ai fait en vacances l’année dernière, ça a duré deux semaines.
On devrait se passer de voir les DJs. Le mieux serait qu’ils fassent leur set devant le mur du son avec les gens dans leur dos.
Quand j’ai écouté le disque, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que c’était vraiment un album de solitaire. Je t’imaginais faire la fête avec les Salut C’est Cool en te jetant dans le public, finir rôti et ensuite rentrer chez toi le soir ou le lendemain, seul avec toi-même faisant le point, mélancolique. En tout cas, c’est ce que, rythmiquement et mélodiquement, La Vida Es Una Paella semble raconter, au-delà du titre rigolo. Je suis à côté de la plaque ?
C’est marrant que tu dises ça. Il y a un peu de ça. J’ai passé une année 2016 super triste, j’ai pas mal broyé du noir. Quand je suis avec les autres, ça se passe super, on passe des week-ends de ouf, on fait la teuf. Quand tu rentres, t’es tout seul. Tu peux toujours décider de pousser encore plus loin, de rester toujours ensemble mais il y a toujours un moment où tu te retrouves tout seul. Niveau musique, tu peux pas faire un morceau tout seul, le finir, l’envoyer aux autres et leur demander ce qu’ils en pensent parce que le morceau, il est terminé. Donc quand t’as fait un morceau tout seul, soit tu décides de le garder pour toi – c’est une possibilité, ce serait plus poétique – soit tu le partages. Moi, j’aime bien partager. Ça permet de communiquer avec les gens. Tu proposes quelque chose qui est une grosse part de toi-même. C’est chouette.
Autre chose, dans ce projet solo relativement mélancolique, tu conserves ces kicks bien gras typés rave 90s. Dans Salut C’est Cool, ça paraît logique dans un registre happy teuf de déglingos, mais c’est moins commun dans de l’électro instrumentale comme celle que tu fais là. Par exemple, Recondite, dont tu dis t’être inspiré, a ce truc de la mélodie parfaite, mais ses kicks sont tout ce qu’il y a de plus linéaires et « clean ». Toi, non. Tu es de la vieille école?
J’arrive pas trop à dater les sons. J’ai l’impression qu’il y a eu des nouveaux sons toutes les décennies depuis les années 90. Mais oui, Recondite, c’est très clean, je suis peut-être moins clean que lui. J’aime bien les raves mais aussi la house de chambre. Je trouve que Rephlex [le label monté par Aphex Twin et Grant Wilson-Claridge, qui a eu la réputation d’être de la braindance, a duré de 1991 à 2014, ndlr], c’est de la musique de chambre. Et Recondite, ça ressemble vachement à ça aussi. Ça me fait penser à Cylob (Rephlex), y’a un album qui s’appelle Bounds Green où c’est de la TB jouée de manière très douce. T’as aussi Ceephax Acid Crew, qui a fait des morceaux très doux, dans le même genre. On pourrait faire une playlist et on ne saurait pas qui est qui.
Aujourd’hui, trouves-tu que la musique électronique se prenne trop au sérieux ?
Non. Elle se prend au sérieux, mais elle ne se prend pas trop au sérieux. Ça demande beaucoup de sérieux de faire de la musique. Beaucoup de concentration aussi, alors que tout le monde est en train de faire la fête devant toi. Bon moi, j’aime bien rigoler quand même.
Ça peut en effet paraître bizarre de voir certains DJs impassibles sur scène face à une armée d’arrachés…
C’est sûr. On devrait plus se passer de voir les DJs. Un light show suffit. Le mieux serait qu’ils fassent leur set devant le mur du son avec les gens dans leur dos et qu’on ne soit pas obligés de leur faire face. C’est ça que j’aime dans les teufs. A quoi ça sert de regarder un type qui est concentré sur ses machines ? Là, je réfléchis à faire des concerts tout seul et c’est vraiment pas facile. Ça me pose pas mal problème cette façon de mixer face à la foule, concentré. On peut moins rentrer en transe, s’oublier et oublier notre corps que quand on est en groupe avec Salut C’est Cool. Déjà je redoute de voyager tout seul. Faudra que je me trouve des amis.
C’est pas bizarre de se dire que, pour s’oublier, il faut être en groupe ?
Ça pourrait passer par les machines et la performance live, mais je ne suis pas sûr d’y avoir déjà accès. Ça viendra peut-être.
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