En trois albums et douze ans de carrière, Warpaint a redonné ses lettres de noblesse à la pop. Sur la scène du Pitchfork Festival, ces femmes ont l’accoutrement pyjama et l’attitude effrontée. Jenny Lee Lindberg, bassiste et chanteuse, noyau du groupe, revient sur son histoire et nous en dit un peu plus sur son girl band libéré. De grandes lunettes sur le bout de son nez fin et la mine fatiguée par des heures de trajets, elle s’installe face à nous et parle sans s’arrêter pour respirer : être une femme dans l’industrie musicale, One Direction et choix de carrière, tout y passe.
Avec tant d’endroits où développer un groupe aux États-Unis, pourquoi avoir choisi Los Angeles pour commencer ?
Je suis née à Reno dans le Nevada. Je n’ai commencé le groupe que quatre ou cinq ans après avoir déménagé à Los Angeles. Mais je jouais déjà de la musique. J’ai commencé en 2000, à peu près un an après m’être installée là-bas. J’ai choisi cette ville parce que j’y vais depuis que je suis toute petite. Mon beau-père y vivait alors on y allait en famille tous les étés depuis mes six ans. Puis ma sœur a déménagé là-bas, trois ans avant moi. Je l’ai suivie, d’abord parce qu’on est très proches et puis surtout parce que je l’ai vue poursuivre ses rêves, être créative, faire plein de choses différentes. Ça m’a inspirée. C’était aussi logique : j’avais de la famille et quelques-unes de mes meilleures amies qui y vivaient.
Tu n’y es pas allée pour la musique alors ?
En tout cas, pas avec l’idée d’un choix stratégique de carrière. Je venais rendre visite à ma sœur mannequin. Je ne voulais pas devenir actrice mais j’ai commencé à faire des pubs et du mannequinat comme elle. C’était juste un bon moyen de gagner de l’argent pour pouvoir m’installer là-bas. J’avais en tête de prendre du temps pour définir ce que je voulais faire, ça me paraissait être une perte de temps d’aller à la fac. J’en avais marre de l’école de toute manière. Je voulais vivre une vie d’adulte, payer des factures, avoir un travail. Los Angeles est tellement grande par rapport à la ville où j’ai grandi mais je m’y suis tout de suite sentie plus à l’aise. J’ai vraiment aimé la liberté de pouvoir être ce que je veux, toutes les possibilités offertes par la ville, les gens inspirants, créatifs, motivés et ambitieux que j’ai rencontrés.
Si tu n’avais aucune idée de ce que tu voulais faire, comment es-tu tombée dans la musique ?
Je faisais un peu de piano quand j’étais petite et j’adorais danser, il y a toujours eu de la musique dans ma vie. J’ai une bonne oreille, je pense. Mais avant mes dix-neuf ans, je n’avais jamais vraiment pensé jouer d’un instrument sérieusement. C’est à ce moment-là que j’ai commencé la basse, de manière assez arbitraire, presque par élimination. Je ne voulais pas faire de la guitare, ça ne m’intéressait pas ; la batterie c’était trop compliqué, il fallait avoir une batterie et puis je n’aurais pas pu en jouer quand je le voulais ; pareil pour le piano, donc je me suis dit que j’allais essayer la basse. Il ne restait pas vraiment grand-chose d’autre. Je n’en avais jamais joué. Je suis tombée amoureuse dès les premières minutes. Une amie m’a appris quelques chansons et j’ai joué toute seule pendant quelques années.
À quel moment tu t’es dis que tu étais assez bonne ?
Il y a eu un moment où je me suis sentie assez bonne. J’étais sérieuse, je pratiquais beaucoup et l’étape suivante a été de commencer à jouer avec des gens. Puis je me suis mise à écrire et enregistrer. Vers mes 21 ans, je jouais depuis deux ans et j’ai entamé une relation amoureuse avec un musicien qui m’a beaucoup poussée. Il m’a dit qu’il fallait que je joue tout le temps pour m’améliorer, sans quoi je n’allais jamais devenir meilleure. Alors je l’ai écouté. Puis on a formé un groupe ensemble. Ça y est, j’avais un groupe instrumental. Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour passer d’intermédiaire à bien meilleure. Il m’a fallu peut-être un mois ou deux pour que mon oreille change et que je sois capable d’enfin jammer. Là j’ai su que j’avais des compétences. Ça a été le déclic qui m’a donné l’idée de me lancer.
Warpaint a commencé en autoproduction, comment s’est faite la transition vers un label ?
On jouait beaucoup, on avait un EP, mais pas de direction et personne pour nous aider. Et puis nous n’avions pas vraiment le temps de répéter, on travaillait toutes à côté. On tournait énormément mais ça ne rapportait pas vraiment. C’était le soulagement ce passage au label [Rough Trade, ndlr] parce que l’avance nous a permis de faire de la musique notre travail à part entière. Le cash que nous a amené le deal nous a vraiment aidées. Sans ça, c’était le burn-out assuré. On travaillait vraiment trop et ce n’était pas assez gratifiant financièrement de s’autoproduire. Quand j’y repense, je ne regrette pas notre décision et je n’aurais pas voulu faire autrement.
Les jeunes groupes enregistrent beaucoup à leurs débuts, ils accumulent des piles de chansons mais il semble que vous ayez vraiment pris beaucoup de temps avant de sortir un premier album. Pourquoi ?
Quand on a fait notre EP vers 2008 je crois, il y a eu pas mal de bouleversements. À une époque, ma sœur faisait partie du groupe puis ça a changé, alors on a fait une pause. On s’est séparées pendant un an, on faisait chacune de la musique de notre côté. Puis ma sœur est revenue dans le groupe, puis on s’est re-séparées. On a pris notre temps parce qu’on a eu une histoire un peu mouvementée.
Comment ça se fait que tous vos producteurs soient uniquement des hommes, il n’y a pas de femmes dispos pour travailler ?
Il y a une prédominance d’hommes comme dans n’importe quelle industrie de toute manière. Il y avait des gens avec qui on voulait vraiment travailler donc on a travaillé avec eux. On n’a jamais vraiment pris le parti de ne travailler qu’entre femmes. Ça s’est fait de manière plutôt organique.
Tu as déjà vécu des situations d’inégalités à ce niveau ?
Je me sens vraiment chanceuse et reconnaissante parce que nous n’avons jamais vécu quoi que ce soit de désagréable du fait d’être des femmes. On a toujours été bien traitées et respectées. Je n’ai jamais vécu de situation injuste. De toute façon ce genre de choses ne m’affecte pas. Si quelqu’un me manque de respect, tant pis pour lui. Ça ne changera rien à ma vie, je continuerais toujours de faire ce que j’aime, de voyager dans le monde et puis j’ai le succès de mon côté. Il y a tellement de récompenses inhérentes à mon travail que je n’ai pas besoin d’avoir l’aval de tous. Il y a bien plus de groupes féminins maintenant, il y a un progrès de ce point de vue-là. Il y a déjà de nombreuses personnes qui mettent un point d’honneur à faire entendre les inégalités entre hommes et femmes dans l’industrie. J’ai l’impression qu’on est en plein virage, un virage de conscience.
C’est pas difficile de se concentrer sur Warpaint alors que certaines d’entre vous ont des carrières solos et d’autres groupes à gérer ? Comment vous continuez de fonctionner malgré tout ces projets qui se chevauchent ?
Warpaint est un projet qui nous tient à cœur, c’est toute notre vie. Les autres projets sont évidemment importants mais beaucoup moins. C’est une nécessité que de prendre du recul et de s’impliquer ailleurs pour avancer. Quand on a le temps, on le prend pour tous ces projets personnels. On enchaîne pas mal pour pouvoir continuer d’explorer, de travailler avec des gens nouveaux, tâter de nouvelles possibilités et mieux se retrouver après. C’est toujours agréable de se retrouver après avoir fait tout plein de choses différentes.
J’ai entendu parler d’une histoire avec les followers d’Harry Styles, le membre de One Direction. Tu peux m’éclairer ?
Je ne suis pas sur Twitter mais les filles m’ont raconté. Il a commencé à nous suivre. Il a beaucoup de followers et ces gens sont tellement à fond sur lui qu’on a connu un gain d’intérêt immédiat. Juste parce qu’il nous suivait, les gens se sont demandés qui on était et ont commencé à nous suivre. Ces gens n’ont pas de vie, j’imagine. On a connu une sorte de pic de followers grâce à lui. C’est cool que les gens nous remarquent et qu’on capte leur attention. Une partie de moi pense que c’est bien que ces gens apprécient la musique mais une autre partie de moi… Ces gens sont… Enfin, je vais m’en arrêter à ça, je crois que c’est mieux.
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