Il est de ceux qui peuvent toucher à tout et rester eux-mêmes. De ces chanteurs purs. Évidents. Hugh Coltman est déjà passé du blues à la pop, de la folk au jazz, de l’Angleterre à la France avec un détour par les Etats-Unis, et toujours, il y a laissé son empreinte. Une voix, une élégance, un style. Puisque le titre de son dernier album « Who’s happy ? » est une question, on s’est jetés allègrement sur l’occasion de lui en poser à notre tour. Plein.
Quand on enregistre un album à la Nouvelle Orléans, comme vient de le faire Hugh Coltman, la tentation est grande de tomber un peu dans le cliché. Le bayou, Mardi-Gras, les fanfares. Si Hugh a évité le piège, c’est peut-être parce que son envie, au départ, n’était pas spécialement de faire « un disque New Orleans ». « L’envie est venue des chansons. Certainement, les chansons venaient aussi de certains artistes que j’écoutais quand j’étais en train de les écrire, comme CW Stoneking. Quand j’ai commencé à composer, j’ai commencé à entendre des cuivres, des sons de vieux jazz, des trucs de Dixie. » Freddy Koella, qui a réalisé l’album, l’a aussi aidé à éviter les écueils. « Il m’a dit « ne tartine pas avec la Nouvelle Orléans, je comprends pourquoi tu adores ça, pourquoi t’es ébloui, mais ne fais pas une carte postale. Fais ton disque. Influencé par ces musiques-là, oui, mais t’es pas obligé d’avoir des cuivres partout. Laisse la chanson parler. »
Ce séjour aux Etats-Unis pour l’enregistrement de l’album, au printemps puis à l’été 2017, a été l’occasion de faire face à une Amérique désormais différente. « Depuis le début, je suis passionné par la musique américaine. Je suis moins passionné par le pays depuis un petit moment. C’est un pays fantastique, avec un côté superficiel qui a toujours existé mais qui est beaucoup plus prôné maintenant, beaucoup plus visible, le côté personnage de cartoon de merde qu’est Trump et sa politique qui défile derrière, c’est l’Amérique que j’aime profondément pas. C’est dommage parce que ce pays m’a apporté beaucoup et il continue à m’inspirer musicalement, mais je trouve que c’est le visuel qu’on a d’un pays qui de plus en plus perd son lustre d’être le premier pays du monde. Si t’es le premier pays du monde t’as pas besoin de le dire. »
« Ça veut dire quoi être heureux ? Est-ce que c’est un équilibre entre les moments de pur bonheur et les moments chiants ? J’ai 45 ans, je commence un peu à faire le bilan de ce qui s’est passé avant, de ma vie de famille, de ma vie artistique. Est-ce que je suis heureux ? Ça dépend. »
Le titre de l’album, « Who’s Happy ? », n’est pas celui d’une chanson. Qui est heureux ? Une interrogation qui nous titille tous, Hugh Coltman comme les autres, et qui méritait cette mise en lumière. « Un soir, j’ai eu une conversation avec un pote, où il m’a demandé : « mais est-ce que t’es heureux ? », et je lui ai répondu « who’s fucking happy ? ». Pour moi ce n’est pas une réflexion nihiliste du tout, c’est une réflexion réaliste sur ce qu’on attend de la vie. Aujourd’hui on est dans une époque de communication très américanisée, où tout va très vite, on te dit « comment vas-tu ? » et tout est awesome, génial. Ça veut dire quoi être heureux ? Est-ce que c’est un équilibre entre les moments de pur bonheur et les moments chiants ? J’ai 45 ans, je commence un peu à faire le bilan de ce qui s’est passé avant, de ma vie de famille, de ma vie artistique. Est-ce que je suis heureux ? Ça dépend. Je suis quelqu’un d’assez positif, mais réaliste. » Une introspection sur le bonheur, la vie et le temps qui passe, celle d’un homme qui est aussi un père (s’adressant à son enfant dans « Little Big Man ») et un fils (évoquant son père dans « All slips away »). « A la naissance de mon premier enfant, je m’attendais à plein de choses et je ne savais pas à quoi m’attendre en même temps. J’ai ressenti de la joie, évidemment, mais j’ai aussi senti ça comme une petite mort. Ça te met vraiment en face de ta pérennité. Depuis ce moment-là, j’ai une réflexion sur mes parents, sur ce qu’ils ont vécu. Mon père est toujours vivant mais il a un problème de démence, une forme d’Alzheimer. Il me reconnaît, mais je l’ai perdu, quelque part. La chanson pour mon fiston, elle, est un peu douce-amère. Ça parle de son corps le matin quand il sort du lit, tout chaud, mais ça parle aussi de lui quand il aura 20 ans. Est-ce que ces moments, qui pour moi comptent beaucoup, vont compter pour lui ? Quand on passe un très bon moment, j’ai aussi cette petite peur, qui commence à partir un peu, ce « oui mais ça va finir ». Avant, ça m’empêchait d’apprécier, maintenant j’essaie d’être beaucoup plus dans l’instant. »
« ça me dégoûte un peu ces 30.000 versions de « Hallelujah ». La version de Jeff Buckley est sublime, parce qu’il a pris la chanson d’origine, en la respectant mais en la chantant avec sa voix, très perchée, très aigue. Il était dans une recherche émotionnelle. Alors que maintenant, les mecs de télé-crochet qui en font 3 tonnes, ça camoufle une émotion. »
Après une pause de quelques années consacrée à un album puis une tournée hommages à Nat King Cole, Hugh revient avec cet album à des compositions plus personnelles. Il y a pourtant quelques reprises sur ce disque, notamment « It’s your voodoo (working) » de Charles Sheffield, et « If you were mine » d’Alison Young. L’occasion de discuter un peu de la grande mode des reprises, notamment dans les télé-crochets, un sujet qui lui hérisse un peu le poil. « J’estime avoir quelque chose à dire, et c’est peut-être aussi le devoir d’un artiste d’avoir un point de vue et d’utiliser sa situation privilégiée pour pouvoir parler. Mais je ne suis pas du tout contre faire des reprises, au contraire. Parce que c’est cool ! Il y a des morceaux, musicalement, ou au niveau du texte, qui sont fabuleux, pourquoi s’en priver ? Mais c’est aussi rendre hommage à l’original. S’il y a une chanson que tu as envie de faire, il y a une raison, pas juste parce que c’est super connu. Par exemple, ça me dégoûte un peu ces 30.000 versions de « Hallelujah ». La version de Jeff Buckley est sublime, parce qu’il a pris la chanson d’origine, en la respectant mais en la chantant avec sa voix, très perchée, très aigue. Il était dans une recherche émotionnelle. Alors que maintenant, les mecs de télé-crochet qui en font 3 tonne, ça camoufle une émotion. C’est très facile de jouer sur les effets vocaux. Une de mes chanteuses préférées, c’est Joni Mitchell, justement parce qu’elle va te livrer une phrase de plomb mais sans beaucoup d’effet. Dave Grohl a dit il n’y a pas longtemps sur « The Voice » et tous ces trucs-là : « il faut que tu passes du temps à être merdique, dans un garage avec tes potes, juste dans le kif de jouer ensemble. Tu joues, you suck, et tu refais, c’est un peu moins nul, et tu refais une troisième fois, tu essaies de trouver des trucs et bam, tu deviens le plus grand groupe du monde. Ce truc-là c’est une émergence d’énergie, une essence vitale, ce truc où t’es ado et tu te dis putain mais là je suis en train de créer un truc avec mes potes, et qui sait où on peut aller, parce que les Beatles, parce que Nirvana… Mais aujourd’hui on est en train de créer des porte-parole, les tuyaux de l’équipe musicale derrière. Untel ou untel va écrire les chansons, untel ou untel fait les visuels. Mais t’es qui en fait ? T’es qui ? »
Les hauts et les bas, les parcours en zig-zag, Hugh Coltman connaît. Il a débuté dans un groupe de blues, The Hoax, il a sorti deux albums solo qu’on rangerait, s’il fallait vraiment les ranger, plutôt dans la case « pop/folk », il a chanté du jazz. Pas vraiment par pure volonté de ne jamais se répéter, plutôt, comme on dit, parce que… la vie. « Je suis un opportuniste d’occasion. J’étais dans une fac de théâtre, mon meilleur ami a commencé un groupe avec son frère et ils cherchaient un chanteur. On a joué dans des garages, pour les fêtes des copains, après on a sorti quelques albums, fait quelques tournées, etc. De mon côté, j’avais commencé à composer mais c’était loin de ce qu’aurait pu faire The Hoax. Et aussi, comme j’étais tombé un peu par hasard dans ce groupe, je me suis dit « est-ce que je suis vraiment fait pour ça ? ». Alors je suis venu en France, j’ai joué dans des bars, dans le métro, dans des scènes ouvertes, etc, j’ai construit une petite confiance. Au fur et à mesure, ça a avancé un peu, et j’ai sorti mes deux disques de compositions. Au moment de faire le 2ème disque, j’ai rencontré Eric Legnini, pianiste franco-belge de jazz, et j’ai commencé à chanter avec lui. Là encore, j’ai sauté sur l’opportunité. C’étaient des heureux hasards. Je crois à ça. »
Cette rencontre avec Eric Legnini est incontestablement un tournant dans sa carrière, indirectement à l’origine de l’album « Shadows » de reprises de Nat King Cole et qui lui a permis d’exprimer son amour immodéré des musiciens. « J’avais envie de continuer cette aventure commencée avec Eric, de jouer cette musique-là, de donner la place aux musiciens d’abord, de m’imprégner de ces moments fabuleux quand la musique change d’une seconde à l’autre. Je trouve qu’il y a un truc dans le jazz qui peut être tellement plus rock n’ roll que le rock. En fait je crois que je suis un musicien frustré. Je trouve que prendre une guitare, ou un piano, ou une batterie, et faire ce qu’ils font avec, comme Yaron Herman, Jacky Terrasson, Eric Legnini… ils jouent ce qu’ils pensent et je trouve ça incroyable. Les solos de batterie de Raphaël (Chassin, son inséparable batteur), parfois on se mettait à côté avec Gaël (Rakotondrabe, pianiste virtuose présent sur la tournée « Shadows ») et on le regardait, à chaque fois il cherchait autre chose. C’est cette magie des musiciens. Une batterie, c’est trois fûts avec des peaux et tu tapes dessus avec des bouts de bois. Mais la panoplie de sons qu’il peut faire avec… et là c’est vraiment un travail minutieux sur le physique, comment tenir la baguette, comment elle va rebondir sur cette cymbale, à un certain moment, à un certain endroit pour faire un certain effet. Raphaël, c’est un virtuose dans ses capacités à s’exprimer dans le minimalisme. Il n’est pas dans la surenchère de technique, alors qu’il faut une technique majestueuse pour faire ce qu’il fait. Pareil pour Freddy (Koella, guitariste et réalisateur de l’album « Who’s happy ? »). C’est un super musicien, il joue juste ce qu’il faut mais pas plus, et ça c’est impressionnant. » Hugh Coltman a décidé de se faire plaisir et de réunir sur scène, pour les concerts à venir, tous les instruments présents sur l’album. Une tournée des grands ducs qui nous rend happy.
Hugh Coltman sera en concert au Bataclan ce jeudi 12 avril. Pour la suite de sa tournée, c’est ici.
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