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Gwendoline, duo non binaire

Le groupe rennais Gwendoline s’est fait connaître lors de sa participation aux Trans Musicales 2021, leur permettant de rééditer leur premier album « Après c’est gobelet » quatre ans après une sortie confidentielle. Leur cold wave propose une combinaison inédite de légèreté et de noirceur, du féminin et du masculin, du poétique et du vulgaire, de l’introverti et de l’extraverti, de l’underground et du populaire.

Gwendoline clame son désenchantement et enchaîne en boucle journées marquées par l’ennui et nuits chaotiques, d’où parfois peut jaillir le beau. C’est finalement cette recherche esthétique qui unit ces deux types, auxquels on ne prêtait pas vraiment attention avant que l’appel de la scène et de la tournée ne les mettent en lumière. Secondés dans cette tâche par Maëlan à la guitare et Pierre aux claviers (qui remplace Clément sur quelques dates), le duo peut ainsi se livrer, dans une dualité aussi étrange que géniale : Pierre s’agitant sur scène tandis que Micka se montre plus statique. Comme le groupe n’en est pas à un paradoxe près, on a voulu placer ces deux-là face à leurs contradictions, dans un entretien placé sous le signe de l’autodérision.

Concert Angers © ToMat

© ToMat

Interview : Gwendoline

Vous évoquez la gentrification de la ville qui vous laisse un peu désorientés. Seriez-vous tentés pour autant par vivre ailleurs, plus près de la nature ? C’est un peu le concept proposé ici au festival Vingt sur Vingt qui a lieu à Théza : on est près d’un lycée agricole, dans des serres qu’on essaie de réhabiliter…

Micka : Moi, j’ai plutôt envie de rester sur le front. Et faire en sorte que ça ne change pas.

Pierre : C’est notre projet ! Mais en fait, ça a déjà changé. Parfois, je me dis qu’à la fin, il n’y aura plus que des pauvres en ville. A Paris ou ailleurs, il ne restera plus que le gros prolétariat… et les AirBnb. En Bretagne, dans les villes côtières, ça pose beaucoup problème. Ces logements qui coûtent cinquante balles hors saison, passent à des tarifs de fou en saison.

Comment justifiez-vous ces vacances au soleil (vous serez demain à Hyères), vous qui vous targuez de vivre du « lundi au vendredi » sans ne rien faire de vos journées ?

Micka : « Aujourd’hui, je ne ferai rien ».

Pierre : En tournée, c’est vrai, c’est un peu les vacances. On se promène, on découvre des endroits où l’on ne viendrait pas d’habitude.

Micka : On reste très sédentaires, on n’est pas très aventureux.

Pierre : Il se trouve qu’on a de belles choses, près de chez soi. Du côté de la côte vendéenne, en remontant jusqu’à Nantes, ça prendrait une vie de faire chaque crique. À vélo, en bord de Loire, tu peux t’amuser à découvrir de chouettes endroits. Pas loin de chez toi, en plus.

Micka : On est davantage sensible à ça. En tournée, on ne peut pas prendre le temps. On passe des heures dans les trains, on arrive pour les balances, on joue et puis on repart, de nouveau en train.

Pierre : Sauf à La Rochelle ! C’était cool, on n’a pu rester boire et dormir tranquille. Vu que tout était payé.

Micka : C’est vrai. Sinon, c’est plutôt une sorte de supplice de Tantale.

Pierre : On serait bien restés dans l’Est. Dans les Vosges aussi, c’était bien.

Micka : Par ici aussi (dans les Pyrénées-Orientales, ndr), c’est pas mal. On est plutôt bien reçu. Il nous a juste fallu passer la journée dans le train. On s’est levé à 6h du mat’. On va finir par piquer le boulot des gars de la SNCF. On est devenus des pros.

(C’est ce moment que choisit leur tourneur pour annoncer que le train qui devait les amener le lendemain pour Narbonne, vient d’être annulé. Va falloir trouver un taxi « La vie, c’est dur, putain ! », comme nous le rappellent les paroles d’ « Audi RTT »)

Le dernier titre de l’album « Après c’est gobelet » évoque la fin du monde dans une sorte de « No future » un peu décalé quand vous dites « la fin du monde a commencé au moment où je suis né ». Finalement, la fin du monde est un thème plutôt galvaudé depuis quelques années : Miossec chantait déjà « la crise en permanence » dans son premier album, « Boire ».

Micka : « Donner la vie, c’est donner la mort. »

Pierre : Tout au long de l’album, on ne fait que se plaindre. Cette histoire de fin du monde, c’est plutôt une façon pour nous de relativiser. Disons que pour les gens des années 80, ce n’était pas forcément terrible avec le chômage, Thatcher et tout ça. Mais quand on confronte ces thématiques à ce que vivent les mômes des années 2000, on peut davantage penser à la fin du monde, avec le péril climatique et tout ce qu’on nous annonce comme catastrophe.

Micka : On se retrouve dans ce discours.

Pierre : Même si on comprend le désenchantement des années 80. Il s’agissait davantage d’une crise de l’expansion économique, après toute cette expansion liée aux Trente Glorieuses.

Micka : Et maintenant, les mecs de vingt piges payent les pots cassés. On se récupère une crise climatique en plus de l’injustice sociale. A cause du je-m’en-foutisme des vieux, c’est ça le plus drôle. Ils n’ont rien fait en se disant justement : « après nous, la fin du monde. »

Pierre : Notre je-m’en-foutisme, c’est plutôt par dépit. On a la même posture que les anciens mais pas pour les mêmes raisons.

Micka : On est pris là-dedans, dans un engrenage de thunes où tout le monde fait de la merde.

Pierre : Faudrait une dictature écolo. Mais le problème, c’est que personne ne veut être privé de liberté. Il y a qu’à voir la limitation sur les routes à 80km/h. Tu annonces ce type de mesures et tu fais se lever une armée devant toi.

Dans une géographie locale, vous vous sentez plus proche d’un Miossec, d’un Étienne Daho ou de Yann Tiersen ?

Micka : Tiersen, peut-être. Même si on en est loin.

Pierre : J’ai l’impression qu’on est plutôt un groupe de l’Est ou du Nord. En tout cas, ce sont les retours qu’on nous fait.

Micka : En Bretagne, il n’y a pas trop ce genre de groupes.

Pierre : Miossec, à 17 piges, a fait les Trans avec un groupe qui s’appelait Printemps Noir.

Micka : On aime bien la Bretagne, c’est notre pays.

Et dans un esprit moins chauvin, on a pu rapprocher votre phrasé chanté-parlé, du style de The Streets ou de Baxter Dury. Qu’en pensez-vous ?

Micka : Baxter Dury, c’est cool.

Pierre : Le phrasé est venu instinctivement. On n’avait pas le flow de toute façon pour faire du rap. On n’avait pas non plus la culture, d’ailleurs.

Micka : On n’est pas spécialement des chanteurs. Moi, j’écoute de la house et des trucs déprimants.

Pierre : Moi, de la musique électronique des années 80 et de la chanson française.

Ce serait quoi la recette de la « shlagwave » ?

Pierre : On n’avait pas trouvé le nom, alors… disons : aller dans un bar, prendre une grosse cuite, se marrer le lendemain en racontant sa soirée.

Micka : Laisser son âme se perdre. Savoir rire de soi.

Certains annoncent déjà une possible traîtrise, vers des labels moins indépendants : allez-vous vous laissez aller à chiller en terrasse dans une ambiance lounge ?

Ensemble : A fond !

Micka : On cramera du gasoil en jet. Tchao, les nazes. Après, on s’achète des parts dans des groupes comme Castorama ou Air France.

Pierre : On spécule.

Micka : Surtout, on fait raquer les gens.

Pierre : Moi, j’achète des immeubles, je brûle ceux d’à côté, et puis je fais gentiment monter les prix.

Micka : Car « ce monde est génial », on n’arrête pas de le dire.

On a vu ces derniers temps dans des styles divers un retour en force du mode de vie « slackers ». Cela traduit quoi selon vous ?

Micka : En tout cas, on n’a pas fait de la musique pour se mettre en avant ou par effet de mode.

Pierre : On ne s’intéresse pas à ces gens. Ce sont les jeunes désenchantés, les paumés qui nous inspirent. Ceux qui se disent « tant pis pour le lendemain. » Mais on n’a pas trop de convictions dans notre projet. On est sans doute comme ces gens dont on parle, il n’y a pas vraiment de place pour nous. Notre premier groupe, Constance, était une version shlag de Gwendoline. A aucun moment, on pensait passer dans des festivals. Mais le fond et la forme sont bien liés, en tout cas.

On peut vous voir comme les grands gagnants du confinement ?

Pierre : On a fait des cachets, c’est vrai. Alors qu’avant, on galérait. On a fait un album de confinement avant l’heure. D’un coup, c’était plus audible, ce qu’on racontait pour les gens.

Une suite possible à « Après c’est gobelet » ? Comment envisagez-vous l’après ?

Pierre : On va louer une baraque en janvier, février. On fera la suite… ou autre chose. L’idée étant de se retrouver, de se faire plaisir et toujours de raconter des choses vraies. Sinon, à la rentrée, on va sortir un EP avec des morceaux enregistrés depuis longtemps.

Micka : On fait dans le recyclage.

Photo en une : Gwendoline © Aloïs Lecerf

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