MENU
En lecture PARTAGER L'ARTICLE

Girls In Hawaii : « L’important, c’était surtout de faire ce disque, pour exorciser »

Depuis ses premières notes, rarement on s’était autant attaché à un groupe. Entre 2004 et 2008, les Girls In Hawaii avaient sorti deux albums qui rappellent que la pop est un art majeur. En 2010, la disparition accidentelle de Denis (à la fois batteur, ami et frère) a stoppé net leur élan. Trois ans après, ils sont de retour avec l’inespéré « Everest ». On a rencontré Antoine et Lionel, têtes pensantes d’un groupe qui a finalement décidé de s’inventer un futur.

Vous avez souvent décrit les deux premiers albums de Girls In Hawaii comme des « journaux de bord ». Etant donné son contexte délicat, qu’en est-il de « Everest » ? 

Antoine : On met beaucoup de temps à écrire nos disques. On est lents et tout ce temps recouvre des périodes différentes. Des moments où on est motivés ou, au contraire, perdus. Chaque album résume 3/4 ans de nos vies. Pour cet album, c’est différent car il est fortement lié à la disparition de Denis. On parle tout le temps de ça dans le disque, mais sans vraiment en parler. On ne voulait pas être précis. De toute façon, on ne pouvait pas, c’est inracontable. Même quand t’as envie d’écrire là-dessus, c’est difficile avec le format d’une chanson. Cela passe donc par des ambiances et des métaphores. 

Lionel : C’est plutôt le résultat des douze chansons qui feront cette humeur et cette teinte. Mais c’est vrai que le côté « journal de bord » était plus dur à aborder, cette fois-ci.

Durant cette pause forcée, êtes-vous revenus à vos premiers amours (photographie, graphisme) pour vous aider à traverser cette période ? 

Antoine : Des amis luthiers m’ont appris le métier. Cela m’a fait beaucoup de bien, j’avais besoin d’un truc très terre-à-terre, très manuel. Faire autre chose était important. Consacrer 100% de son temps pendant un an et demi à composer me rend fou. Moins j’y passe de temps, mieux ça marche. Après avoir quitté ces tournées et passé tout ce temps à bouffer du Girls In Hawaii toute la journée, on avait besoin de se nourrir, de rencontrer d’autres gens. 

A quel moment êtes-vous redevenus Girls in Hawaii ?

(Silence. Antoine et Lionel se regardent)

Peut-être que vous n’avez jamais cessé de l’être ?

Antoine et Lionel, en choeur : Si.

Antoine : Cela a été dur. Après le décès de Denis, on n’avait plus envie, cela n’avait plus de sens. C’est revenu un an et demi, voire deux ans après son décès. Pour être honnête, on était perdus. On avait envie de le faire  mais on pensait que ça allait être impossible. C’est dans l’intimité de Lio et moi que c’est reparti. Je suis allé habité un an dans la campagne, dans les Ardennes. Lio est parti en Islande avant de revenir à Bruxelles. On faisait des Skype de temps en temps le matin, en buvant un café et en se proposant sur des pistes de morceaux.

Lionel : Tout a redémarré avec une grappe de chansons qu’Antoine a ramené de cette mise au vert. Tu t’es vraiment mis en ‘solitaire’, Antoine. Moi, je n’existais pas, le groupe  non plus. T’as vraiment fait ça pour toi, en fait.

Antoine : Oui.

Lionel : Moi, j’avais vraiment mis la musique de côté. Mais je crois qu’il y a eu, de ta part, une nécessité de parler.

Antoine : Oui. Ou plutôt la nécessité d’essayer et de le faire pendant X mois pour voir ce que ça donnait. Soit j’arrivais à la conclusion que j’avais plus envie. Ou  l’inverse. Mais tant que j’arrivais pas à m’y mettre, cela restait une période floue et abstraite. Mais comme j’arrivais pas à faire autre chose non plus…

Pendant toute cette période, avez-vous eu peur que le lien soit rompu avec votre public ? ou même avec votre entourage pro ?

Lionel : Au départ, on n’y pensait pas. Car on était dans des problèmes beaucoup plus humains, entre nous. Que va-t-on faire ? L’important, c’était surtout de faire ce disque, pour exorciser, pour montrer que ce qui était arrivé ne signifiait pas la fin de tout. Il y avait cette dimension symbolique. Quand le disque était fini, quand les premiers morceaux sont sortis, il y avait effectivement cette peur que plus personne ne soit là pour entendre ce que tu as à dire. L’écho de Misses (NDLR : leur nouveau single) nous a fait du bien. Symboliquement, c’est une belle chanson car on l’a écrite  à deux, ce qu’on fait rarement. On la chante aussi à deux. Et ça non plus, cela nous arrivait jamais.

Ensuite, quel était le processus ? Comment vous-êtes-vous entourés ?

Antoine : C’est un disque plus participatif : mixeur, producteur, manager, etc. On avait besoin de soutien et d’énergies nouvelles. Les deux disques précédents, on était dans le contrôle. Pour « Everest », on voulait le faire voyager ailleurs.

Les temps changent. On se souvient d’une interview, lors de la sortie de « Plan Your Escape », où vous aviez peur que le disque vous échappe, avec la production de Jean  Lamoot.

Antoine : Pour le coup, on avait presque envie que celui-ci nous échappe, en fait !

Lio : Au final, on retrouve notre matière. Tu as peur d’un truc toute ta vie et quand ça arrive, tu te rends compte que c’est différent de ce que tu voulais faire, mais que c’est mieux.

Comment appréhendez-vous la scène, désormais ? On a l’impression que vous aviez subi la fin de certaines tournées…

Antoine : Oui, surtout la première. Les choses sont allées trop vites, on était pas spécialement prêts.

Lionel : Et plus on avançait, plus on pensait à ce deuxième disque qui devait suivre et qu’on ne composait toujours pas. Toute une pression s’est installée et on l’a encore subi  sur le deuxième disque. Mais cette tournée à venir, je la vois plutôt comme un cadeau.

Antoine : La deuxième tournée était déjà plus agréable, on était plus sûrs de nous, musicalement et professionnellement. C’était plus sécurisant. Et puis tourner avec deux albums, c’est plus gai. Tu n’es plus obligé de tourner avec les mêmes douze morceaux pendant deux ans et demi. Là, on a déjà beaucoup travaillé, avec près de quarante morceaux à travailler. Mais c’est un solide bordel à répéter, on a un nouveau batteur et un nouveau claviériste.

Les précédentes tournées étaient accompagnés de vidéos et même de courts-métrages propres à chaque morceau. Et cette fois-ci ?

Antoine : C’est pas encore le cas, on veut trouver des choses justes et intéressantes. Mais on n’a plus envie d’images de films. Au départ, la raison était toute bête : on est photographes et graphistes de formation. Mais on avoue qu’on n’était pas à l’aise sur scène et qu’on voulait se planquer. Nos concerts devenaient des séances de cinéma avec un groupe qui joue derrière. Des gens adoraient ça, d’autres étaient frustrés. Pour cet album-ci, c’était la fin d’un cycle, on voulait prendre le contre-pied. On a moins envie de se planquer.

Lio : La vidéo était devenu un réflexe. Mais on aimerait pas tourner sans rien non plus. Il y a toujours cette dimension d’image qui colle bien à notre musique.

Justement, l’idée de rupture et de contre-pied semble toujours présente chez vous. Par exemple, vous positionniez déjà « Plan Your Escape » en opposition au premier album.  Idem pour vos pochettes de disques. Fonctionnez-vous « en réaction » ?

Lio : Oui, c’est vrai. En fait, on avait tous flashé sur cette photo de cerf mort. C’était pas anodin : en Belgique, on commençait à avoir une image de groupes pour ados. Alors qu’on vient pas de là. Nous, on vient de l’indie et de l’alternatif. On aime les cassures. Donc oui, on a été très cérébral par rapport à ça, c’est vrai.

Et cette nouvelle pochette ? Même consensus entre vous ?

Lio et Antoine : Non (rires). Y’a toujours un moment où ça coince. La réalisation du disque, ça a été. Il fallait un moment difficile, ce fut la pochette. Elle nous a vraiment fait suer. Le titre de l’album est ‘Everest’, mais on ne parle pas de la montagne au 1er degré. On voulait évoquer quelque chose qui serait trop grand pour le décrire, trop grand pour l’englober ou même y accéder. Pour nous, écrire un album dans le contexte du décès de Denis, c’était très complexe et abstrait comme sujet. On aime bien le titre de cet album pour cette raison-là : parler de quelque chose d’impossible à appréhender. Il s’agit d’un tableau du peintre belge Thierry De Cordier, qui peint la mer depuis vingt ans. C’est l’ambiguïté des choses : cette mer ressemble à une falaise. C’est sombre et puissant à la fois. 

Partager cet article
0 commentaire

0 commentaire

Soyez le premier à commenter cet article
Chargement...
Votre commentaire est en cours de modération
Merci
Une erreur est survenue lors de l'envoi de votre commentaire
Sourdoreille : la playlist ultime
Toutes les playlists

0:00
0:00
REVENIR
EN HAUT