Etrangement, à une époque où chaque courant musical est à un moment ou un autre englouti et ringardisé par un autre, le rap alternatif français des années 90 et 2000 ne prend pas de ride même s’il risque chaque jour la cirrhose. Carton plein pour le Ulule de Stupeflip, tournée des 10 ans de « Vive la vie » du Klub des Loosers, Orelsan partout en même temps pour le meilleur et pour le pire, les trentenaires et les quarentenaires ex-fumeurs de havane et buveurs de jaja peuvent être rassurés : ils n’ont pas vu leurs belles années partir avec leurs groupes de cyniques, de branleurs et d’ultra-réalistes. Parmi eux, s’est fait sentir le retour de la grosse tête des Svinkels, Gérard Baste, qui sort son premier album solo « Le Prince de la vigne ». Interview de comptoir.
Je voulais d’abord savoir qui t’avait donné ton titre de noblesse ?
Le Prince de la vigne ? Je me le suis donné tout seul comme un grand. J’ai fait une sorte de coup d’état second. Un jour, je suis tombé sur « Les Princes de la ville de 113 », qui vient lui-même d’un film, et je me suis que ça sonnait parfaitement. Et puis, ça s’est décliné en « appelez moi Prince Gérard ». Généralement, sur les réseaux sociaux, les Gérard Baste, ils sont tous déjà pris parce qu’il y a toujours un con qui est fan des Svink’, donc maintenant, c’est Prince Gérard ou Prince G.
As-tu l’impression de bien gérer ta principauté ?
C’est un peu comme le Vatican chez nous, une sorte de Vintican, c’est-à-dire qu’on a une petite communauté, alors on essaie de bien s’en occuper.
Qui sont tes sujets ?
Les Sacavins, les Sacavinasses, mes Grappes. Et les sacavins supérieurs sont donc appelés les Sacamerdes. Là, c’est presque la cour du Roi. Depuis les premiers concerts des Svink’ jusqu’à aujourd’hui, j’ai besoin de parler avec les gars du public, de me faire payer des coups. Je suis plus un Mélenchon qu’un tyran. Je me fonds dans le peuple. Je ne me sens pas au-dessus de mes sujets, si ce n’est par mon talent qui est quand même supérieur à la plupart de mes poivrots qui viennent me voir en concert.
« J’ai du raisin dans mon jardin. Et il est pas bon. L’humanité, elle, a tendance à me décevoir. Tu vois, en matière de vin comme d’être humain, je suis relativement ouvert. »
Que leur fais-tu subir ?
Honnêtement, si tous les dirigeants se comportaient comme nous, la vie serait merveilleuse. C’est une sorte de vinothérapie, une espèce de thalasso dans le vignoble. Après, celui qui se comporte mal risque d’être puni. Quelqu’un qui m’attrape la chaussure quand je suis en concert peut se prendre un coup de pied dans le nez. Je suis quand même le Prince de la vigne. Je suis plus le fou du roi que le roi. Je cumule les mandats.
Raisins ou êtres humains, que choisir ?
L’humanité ne serait-elle pas qu’une grande grappe ? Le problème, c’est que parfois, un grain trop mur peut déteindre sur toute la grappe. Non mais, être humain avant tout. J’ai du raisin dans mon jardin. Et il est pas bon. L’humanité a tendance à me décevoir. En matière de vin comme d’être humain, je suis relativement ouvert. J’aime bien le vin pas nécessairement très bon, j’ai des goûts bien précis. Parfois, mes potes me font goûter des très bons vins, mais je préfère mon petit vin de tous les jours.
Tu n’as donc pas affiné ton palais avec les années ?
Si, je suis passé de la 8°6 au pinard. J’apprécie les bonnes choses.
Gérard Baste – Prince De La Vigne
As-tu déjà philosophé sur l’immensité du monde en regardant un rang de vigne qui s’étend à perte de vue ?
C’est pas pour rien que j’ai tourné mon premier clip dans les vignes. Il faisait beau, il y avait ce drone qui s’envolait et je m’envolais avec lui. Plus ça va, plus on dit que je ressemble à Gérard Depardieu. Je crois qu’on a des choses en commun. Avant, on me disait Coluche, j’ai dû passer un cap dans les kilos. Rah, Depardieu… J’aimerais tellement l’avoir dans un clip. C’est pas impossible parce qu’il est comme moi, il accepte n’importe quoi.
Tu fais des vannes lourdes dans la vie ?
Ouais, non seulement elles sont lourdes, mais j’ai surtout une grosse tendance à faire des gaffes, à faire LA vanne qui passe pas. J’ai un peu la culture de l’humour à tout prix. Mais je regrette souvent après, je me dis « oh putain, mais j’suis trop con, c’était pas du tout la personne à qui faire cette vanne. » J’essaie de me contrôler mais je suis vite désinhibé.
D’ailleurs, c’est quoi la dernière vanne limite que tu aies faite ?
J’ai dit à un pote : « c’est marrant, ils ont pas mis de bêtisier à la fin de Nuit et Brouillard ». Elle est pas méchante, mais plutôt lourde de sens.
Dans quel état tu es pour trouver une vanne type « Kid Cubi », « Village Picole » ou « Chassez le naturel, il revient au goulot » ?
En fait, j’en cherche tous les jours depuis 20 ans, donc c’est un état permanent. Longtemps, j’avais besoin de me dire qu’il fallait que je sois dans un certain état. Maintenant, quand je suis dans cet état, je ne trouve plus rien. C’est la loterie.
L’ingé-e-son débarque : « Bon allez, je commence ma journée. On a Vald et DJ Weedim au studio. »
Ah, j’adore Vald.
En parlant de Vald, tu as pris Biffty, qui est proche de lui et de Weedim dans une de tes chansons…
Quand j’ai vu arriver cette génération, je me suis rendu compte que c’était leurs parents qui les avaient mis dedans. Biffty, il m’a dit « c’est mon père qui est fan – Toi, je t’aime. » Et puis, j’avais envie de daronner un peu.
Si je reprends une punchline de ton disque, « les petits ont pris la confiance ». C’est aussi un truc de daron de dire ça, un peu ?
Des fois, tu te dis que ta musique a eu un certain impact sur certains pans de la culture et que tu n’es pas vraiment reconnu pour ça. Mais j’ai rencontré plein de rappeurs de la nouvelle génération comme Vald – qui me cite dans un de ses morceaux – ou des 1995 où ça se passe super bien. On a les mêmes références, on écoute la même musique. Entre moi qui aie 40 ans, Orelsan qui en a 30 ou Biffty qui en a 20, finalement, on a cet amour en commun. « Les petits ont pris la confiance », c’est pour dire : « je me suis un peu absenté, je viens un peu récupérer mon spot, oubliez pas qu’il y en a qui daronnent un peu. » J’aime bien les jeunes.
L’équipe de rédaction d’Hara-Kiri faisait ses réunions dans le bar à vin de mon grand-père. Ça commence à être un peu lourd comme passé.
Pour revenir à ton disque, même si ce n’est qu’un terme, tu le vois comme un concept album autour du vin ?
En fait, je sais pas pourquoi, mais j’arrive pas à faire autre chose. A chaque fois, j’y retourne. Mes thématiques, c’est toujours à travers ce filtre Ins3grammes. Je parle des enfants, je fais « Papa au rhum », je parle de trucs durs dans la vie, je fais « Bourrir ». C’est pas que ma vie tourne uniquement autour de ça mais c’est un univers qui me fascine depuis toujours. Souvent, je compare ça à des écrivains de polar. Ces types-là, ils écrivent généralement que des romans policiers toute leur vie. Moi, ce rap festif, hédoniste et viril, c’est le seul que je sache faire. Même quand j’essaie de m’ouvrir un tout petit peu plus, je vois vite mes limites. C’est marrant parce qu’à la base, je déteste l’humour français « et glou et glou, et prout et prout » et pourtant, c’est ce que je pratique. Certaines choses sont inscrites dans ton patrimoine, tu peux pas lutter.
Qu’entends-tu plus précisément par humour français ?
Peut-être que j’ai trop lu Hara-Kiri. Je connais plusieurs personnes qui ont été autour de l’équipe Charlie Hebdo et Hara-Kiri. L’équipe de rédaction d’Hara-Kiri faisait ses réunions dans le bar à vin de mon grand-père. Ça commence à être un peu lourd comme passé.
Que pense ton fils de ta chanson « Profite » ? De loin la plus bourrine de l’album.
« Profite », je m’en suis rendu compte quand elle est sortie qu’elle était un peu hard. C’est vrai qu’elle ne pourrait pas plaire aux Femen. D’un autre côté, je l’ai toujours vue comme une chanson hyper sexy. Je l’ai pensée 100% dans l’échange. Le consentement mutuel. Quand j’étais ado, les premières meufs que j’ai réussi à serrer, c’était en vacances après les apéros des jours de l’an. Elles se laissaient pas faire et moi j’étais trop timide. A ce moment-là, l’alcool a aidé. Mais pour en venir à mon fils, il y a quand même des chansons que je ne lui fais pas écouter – comme celle-là. Des fois, quand il y a des trop gros mots, je tousse. Même quand on écoute PNL, aux moments où il y a des « chatte à ta grand-mère », je fais « hhhummHUMMMhmmm ».
Tu as tout de même tourné avec des enfants dans le clip de « Rap de Papa »…
Oui, mais j’avais oublié que dans le refrain, il y a « tu peux sucer mon foutu zob ». Certains parents m’ont fait « c’est moyen » mais je sais pas faire autrement. Les gros mots, les trucs vulgaires, ça passe sur Rires et Chansons quand c’est Bigard mais quand t’es un rappeur, ça dégoûte tout le monde, ça fait chier, tu passes nulle part. Pourquoi ça s’appliquerait à un univers et pas à un autre ? Quand tu relis un vieux numéro de Hara Kiri, c’est quand même du « mesdames, essayez la pipe à la paille » avec des bites, des pailles et des meufs qui boivent dedans. Même Astérix : les gens vont tout le temps te dire « Tintin, c’est raciste », mais c’était à l’époque des colonies dans les années 30. Astérix, c’est les années 60 et ça fait des « ah les Espagnols ils puent le graillon, ahah. »
Tu trouves que le rap a plus d’auto-dérision en 2016 qu’en 1996 ?
Il en a plus mais c’est toujours pas gagné. Les mecs acceptent plus aujourd’hui que ce soit un spectacle. Donc, déjà, c’était un pas de franchi par rapport aux mecs qui avaient un balai dans le cul. Young Thug, qui est le rappeur le plus à la mode du moment, il met des robes. Ça ne me dérange pas, je trouve ça cool, j’ai toujours mis des robes, mais bon, souvent l’auto-critique ne suit pas. L’auto-dérision, c’est pas quelque chose qui fait partie du rap. Le rap, c’est sensé être sérieux, c’est un mélange entre premier et second degré. Un mec comme Seth Gueko, il a beau Louis de Funès, Fernandel ou Lino Ventura et sortir des punchlines marrantes, on sent bien que c’est pas un rigolo. Je trouve ça dommage que les gens soient pas plus amenés à plus montrer leur personnalité. Le rap que j’aimais quand j’étais ado, c’était un rap de super-héros, avec des personnalités super-fortes. Un Snoop Dogg, un Jay-Z, un Wu-Tang Clan, c’était du Marvel. Aujourd’hui, je m’y reconnais moins dans le rap parce que je le trouve plus uniformisé. C’est dommage.
Tu réécoutes tes anciens morceaux ou ils t’ennuient ?
Ecoute, je les aime tous bien. Il y a des trucs qui ont vieilli, surtout dans l’interprétation. Mais après, j’aime bien regarder les commentaires, les gens qui redécouvrent plus tard, je panique un peu de leurs réactions. Quand je suis saoul, je leur réponds sur YouTube. Je suis assez fier de ce qu’on a fait avec les Svinkels. Je me demande toujours pourquoi ça n’a pas plus marché. Quand on a fait « Réveille le punk », pour nous, c’était un vrai, vrai tube, on pensait qu’on allait tout niquer. Mais apparemment non.
Ça reste rassembleur pour toute une génération en même temps que Stupeflip et Klub des Loosers…
Ça a marqué son temps, mais ça reste une niche. Des fois, je vois des mecs en survêt’ en néoprène, sarouel, avec des coupes de cheveux mi-longs mi-blonds, rasés sur les côtés, les mecs ils ont quinze ans, jamais ils vont accrocher à ce que je fais, mais c’est pas grave. D’un autre côté, un Action Bronson aux USA cartonne alors que je fais exactement la même chose que lui : il parle de bouffe, de boisson, de foncedée. Et puis, il est gros comme moi, on me fait souvent la comparaison.
Pour reparler de Stupeflip, toi tu as explosé les compteurs sur Ulule, et puis ils sont arrivés et ont encore cassé le game…
Ah mais eux, ils sont toujours plus forts. Ça m’aurait arrangé qu’ils attendent quelques mois, mais bon. Je m’attendais à ce qu’ils pètent tout, c’était couru d’avance. J’aurais adoré qu’on ait une communauté aussi forte qu’eux. Après, Stupeflip, j’aime bien ce qu’ils font, mais je ne trouve pas qu’on fasse la même chose. Eux, c’est plus le délire, c’est pas un groupe que je classerais dans le rap alternatif, plutôt du rock à la Ludwig von 88 avec des morceaux rappés. Stupeflip, c’est un cas à part. Ils ont eu des coups de pouce qu’on n’a pas eu. Norman a parlé d’eux. Et puis, je vais te dire un truc, faut se regarder dans la glace, on n’a pas de foutu masque. Malgré mon pseudo, je suis la même personne qu’en vrai.
0 commentaire