La sensibilité des sons électroniques appuyée par le violon de Chapelier Fou fait que « La Mer du Nord » s’écoute sous toutes les latitudes. Au gré du vent. Le timbre pacifié de Gérald Kurdian enveloppe des métaphores dignes d’un Dominique A. « Obsédé par le territoire », ce Franco-Américain explique le terme Icosaèdre – nom de son nouvel EP qui sort le 22 janvier – en pointant la figure géométrique qui orne son coude. Un passionné qui porte son projet à bras le corps. A voir le 4 février à Petit Bain (concours) avec la prometteuse Laura Cahen en première partie.
LE SON SOUS
TOUTES SES FORMES
Les parents se disent souvent décontenancés par l’avancement de l’âge de l’adolescence. Un poncif éculé avance que les enfants des années 2000 deviennent mûrs quelques années avant ceux nés dans les années 80. Peu importe, ce qui nous intéresse dans le cas présent, c’est de savoir si du haut de ses 35 balais Gérald Kurdian – qui chante « L’âge » – se sent à l’adolescence de son art, adultolescent, voire sur la voie de l’âge adulte. « Il y a toujours une sorte de début et de fin dans la vie d’artiste : une nouvelle langue, de nouveaux instruments. Je ne pense jamais avoir 35 ans, mais plus avoir entre 5 et 160 ans. » Un Normand n’aurait pas mieux répondu. Avant de s’affirmer : « J’ai l’impression d’être à l’adolescence de l’art, à cet âge où j’entreprends et où tout est possible ! »
Le souci extrême du détail dans le choix d’un son amène l’auditeur à se questionner sur la naissance de certaines notes. Entre les cordes de la guitare, celles du violon de Chapelier Fou et le clavier, un supplément d’âme nourrit les six titres de l’EP. Quel instrument porte Icosaèdre ? « L’ordinateur… » Gérald rit car ne se revendique pas musicien à proprement parler. Il s’est mis au piano après avoir bidouillé des sons sur sa machine. « Je peux aussi jouer quelques autres instruments désormais, mais je dois reconnaître que je ne suis pas bon », s’excuse-t-il à tort étant donné que sa musique est pointilleuse. « J’ai toujours fait des choses attachées au partage du son, depuis les Beaux-Arts jusqu’à des émissions pour France Culture ou dans des concerts. Mon métier a toujours été rattaché au son. » Le goût du document pour la radio poursuit ce monomaniaque animé par la perception auditive. « Comme j’ai cette collection de samples que je compile, j’enregistre beaucoup de sons avec mon laptop (son ordi portable pour les nuls, NDLR), mon téléphone mais aussi au zoom. Je cumule une collection de voix, de notes, etc. C’est une sorte d’établi que je compile en mouvement. »
LE FRANÇAIS
POUR SE DÉVOILER
En tant que Franco-Américain, on s’interroge sur le choix de la langue française qui limite forcément l’ouverture à un marché international, sans parler de la facilité à proposer des hymnes plus légers en américain. « L’anglais est plus adapté à la pop music, car c’est une langue plus élastique et qui sonne plus vite. Là, je parle mélodiquement. Les accords harmoniques sont grands. » Toujours dans l’analyse, Gérald Kuldian estime que cela provient de l’héritage pop, hérité lui-même du rock, qui vient en partie du jazz. « Par contre, la consonne est plus facile à placer en français. Sinon, l’imaginaire de la chanson française est plus percutant. Le marché n’est pas une obsession, même si je le prends en considération. J’avais plein de choses personnelles que j’avais envie de partager précisément. Sur cette histoire de l’adolescence, justement. »
Gérald Kurdian – La Mer du Nord
« La Mer du Nord », « Les plaines immobiles », « Les Cieux » : la moitié de l’EP parle de l’horizon ou d’un besoin de contemplation. Besoin d’air ? « Je suis obsédé par le paysage, sans rire. Le rapport du corps au paysage, c’est comme ça que je comprends toutes mes expériences. Tout potentiellement est un espace. Si tu exagères ton imaginaire, le corps de quelqu’un peut devenir une plaine – pourquoi pas immobile – ou un cosmos à explorer. » Un corps est une plaine ? Dans un monde idéal Gérald, car chez pas mal d’entre nous résident des plateaux, parfois mêmes des vallées entre deux espaces en jachère. Amusant et intellectuel, le trentaine épanoui assume totalement son « approche geek avec l’échelle d’espace » au travers de sa musique, « avec les atomes et l’espace que l’on retrouve dans le registre poétique. »
Ayant grandi en banlieue parisienne, Gérald se sent urbain. « J’ai quelque chose de particulier en lien avec le mouvement, surtout en dehors du domestique. Le laptop, je comprends aujourd’hui que c’est mon partenaire folk. Je monte dans un train, je fais de la démo et je compose. J’écris souvent pendant les voyages. »
CHAPELIER FOU,
SON FRERE SPIRITUEL
La rencontre avec Chapelier Fou remonte à 2010 lorsque les deux lascars ont été retenus par le Fair. Ce fut l’occasion d’aller se produire au FME à Rouyn-Noranda, festival de musiques émergentes québécois. « On a eu la chance de faire 900 km entre Montréal et Rouyn, ça permet de discuter… (rires) Jusqu’alors, j’étais celui qui venait des Beaux-Arts. Au moment où j’ai rencontré Louis, j’ai trouvé quelqu’un qui faisait de la musique comme moi. Je n’avais pas dans mon entourage des personnes qui jouaient de la musique électronique sensible pour les mêmes raisons. Personne ne mélangeait l’electro acoustique avec l’envie de faire du paysage. Ce fut une rencontre artistique très vive et instinctive, ce que j’ai retrouvé aussi avec François Mary (Frànçois and the Atlas Moutains) »
LA GÉOMETRIE
COMME ART DE VIVRE
Allergique à la géométrie depuis le CM1, passons sur l’explication du terme Icosaèdre, nom de son nouvel EP dans les bacs le 22 février. A la base, Gérald Kurdian avait aussi un solide de Platon – portant ce nom tarabiscoté – prévu pour illustrer chaque titre. « Je ne peux pas détacher la poésie de quelque chose de l’ordre du langage. » Enfant, il trouvait « excitant » la géométrie, « un monde virtuel à faire exister et à vivre avec les lignes ». Avant de revendiquer une analogie avec le ressenti d’un live. « La réelle existence des mathématiques est mentale. La musique, c’est exactement pareil. Je jurerai qu’il se passe autant de choses mentales en toi lors d’un concert. »
Pas de doute, Gérald a travaillé à France Culture. Un discours savant mais accessible qui ne rend pas hautain celui qui veut défendre Laura Cahen, sa première partie à Petit Bain (Paris) le 4 février. « Il faut l’aimer car elle défend la chanson francophone sans rester dans le cadre de la chanson francophone. Laura est au travail, c’est quelqu’un de jeune que je n’écoute pas chez moi car je suis fan de musique électronique, mais elle a de la magie en elle. » L’artiste qui fascine Gérald Kurdian n’est autre qu’Aphex Twin. « Il généreux, doux, violent et en même temps il fait de l’espace. » Une description qui collerait pour un autoportrait.
Venez le voir gratos
à Petit Bain, le 04/02
Crédit photo Gerald Kurdian : Gwendal Le Flem
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