Il signe la dernière sortie du label Kill The Dj de Chloé et d’Ivan Smagghe. Ces dernières années, George Issakidis s’est baladé sur les continents et dans sa tête pour vivre, se perdre et créer une musique organique et sexuelle. C’est le genre d’humain que l’on aimerait entendre parler des heures sans se lasser, en nous laissant voguer sur son accent canadien. C’est l’interview qui agite le cerveau.
Qui es-tu, George Issakidis ?
Je suis d’origine grecque, né au Canada. Je suis allé étudier l’histoire de l’art à Paris à mes 19 ans et c’est là que je suis tombé dans la musique. Comme ça. Dans les raves et tout le reste. Dans les années 90, j’ai été membre du duo électronique The Micronauts. On a signé en Angleterre, puis en France et l’aventure s’est terminé en 2000. En 2004, j’ai créé le label The Republic Of Desire qui a sorti ma musique et celle d’artistes qui j’aime beaucoup comme Mickey Moonlight ou encore Photonz, un groupe portugais génialissime. Je savais que je voulais sortir un album sur Kill The Dj avec qui je m’entends parfaitement et qui accepte la personne que je suis et la musique que je fais.
Tu étais arrivé au bout de ta musique avec The Micronauts ?
C’était plus possible de travailler ensemble et ça s’est arrêté brutalement. Mais je reste très fier de tout ce que l’on a fait entre The Jag et les compils Celluloid. Quand je les réécoute, je me dis que c’était pas nous qui avions pu faire cette musique, à quel point c’était dingue.
Ta musique n’a pas emprunté les chemins habituels de l’electro. Il est pourtant difficile pour un artiste de ne pas être influencé par son époque ?
En fait, cela m’aurait ennuyé comme la mort de le faire. Ce n’est pas le rôle de l’artiste. L’artiste ne doit pas penser à son public et se doit d’aller sonder loin à l’intérieur de lui-même, d’aller parfois dans des endroits qui font peur. La musique est l’art qui traverse les synapses sans effort. On a même pas besoin de penser pour que ça déclenche une émotion, qui peut-être de la joie, de la tristesse ou de la répulsion. C’est plus rapide et ça demande moins d’effort que le langage.
Combien de temps t’as-t-il fallu pour concevoir et réaliser cet album « Karezza » ?
Le concept est né en 2004 avec le morceau In Love qui termine l’album. Un ami l’a joué à la fin d’une soirée à Miami et les gens sont devenus complètement fous. Depuis, je crée mes chansons comme un journal intime, elles m’ont accompagné dans pas mal d’expériences qui ont changé ma vie. A chaque morceau se rattache un lieu ou une ambiance, comme pour le premier morceau Hiva Oa, qui est une île des Marquises. Il y a aussi Santa Rosa de Lima au Pérou que j’ai composé en rentrant à Vancouver et l’EP Cherry Red, sorti en mars dernier.
Au Pérou, tu as eu des guides spirituels. Tu peux en dire plus ?
J’ai suivi mes gourous de Kundalini. C’est un procédé de destruction dogmatique et de libération de l’esprit. Il est issu du yoga tantrique mais pas le néo-tantra occidental où c’est juste des orgies sexuelles. Non, celui-ci est un éveil de soi et une recherche de l’harmonie. Il est très vieux, il vient d’Inde et n’est rattaché à aucune religion particulière. La pratique, c’était du yoga, la recherche du bien être, la réflexion intérieure ; et la théorie consistait à suivre des cérémonies où l’on buvait l’ayahuasca (breuvage consommé traditionnellement par les chamanes), tout ça en se déplaçant à travers des sites sacrés. Tout ça a radicalement changé ma vie. Lorsque je fais de la musique, je suis vraiment dans cette transe. Mon corps et mon esprit sont entièrement liés ; les 4/5 de l’album ont d’ailleurs été enregistrés en une prise.
Tu avais besoin de cette communion entre toi, ton entourage et ton monde ?
Il fallait déjà que je tourne mon regard vers l’intérieur. Les gens sont inconscients de leur réelle nature. Lorsque l’on ne peut plus s’extraire de sa vie de famille, on s’isole. C’est ce que j’ai fait en Inde, j’ai vécu longtemps aux pieds de l’Himalaya avec mes gourous. On se levait à 4h, on se couchait tôt le soir et on se lavait dans l’eau froide des ruisseaux. C’était exceptionnel. Beaucoup de choses se révèlent à nous dans ces moments-là et lorsqu’on on en parle aux gens, ça les trouble.
Tu as pu écouter beaucoup de musique pendant tes voyages ?
Oui, énormément. D’abord, je voudrais dire que je préfère la qualité vinyle. Le mp3 me déprime et même il me fait mal. Physiquement. C’est comme les ampoules fluorescentes qui font grimper la tension. J’écoute beaucoup de musiques sacrées indiennes, comme celle de Pandit Prân Nath (l’un des créateurs de la musique drone proche des minimalistes américains Terry Riley et La Monte Young) ou de l’un de ses élèves le trompettiste Jon Hassell. Personne ne joue de la trompette comme lui. Sa musique est un ovni, c’est le son le plus pur, le plus hédonique, le plus sensuel : c’est l’extase. Il a d’ailleurs utilisé, bien avant tout le monde, des pédales de traitement, d’effets, de loops. Sinon j’aime beaucoup le label Electric Deluxe de Speedy J et les derniers mixes des Photonz qui sont de la folie pure.
Que penses-tu de la dance music ?
La danse est extrêmement importante. Les occidentaux négligent leurs corps, c’est le cerveau qui domine trop souvent. Danser permet de découvrir son corps et ouvre des voies au cérébral, qui ne sont pas atteintes si on l’en empêche. La danse amène à la compréhension de soi, du monde… et du bonheur tout simplement. C’est une bonne thérapie car ce n’est pas sérieux. Pourquoi les gens vont-ils en boîte ? Pour le love. La musique leur apporte le climat, en faisant tomber les barrières et les attentes de la société, pour qu’ils soient réceptifs à l’amour.
Selon toi, les Daft Punk – qui ont remixé ton groupe en 1999 – ils font de la bonne dance music ?
Le remix qu’ils avaient fait de Get Down, Get Funky était génial. Je les adore parce qu’ils aiment vraiment ça le disco, le funk. Le Get Lucky, je l’aime déjà, je peux pas m’en empêcher, c’est direct.
Crédits photo : Kate Fichard
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