Adepte du Klub des Loosers, sache que Fuzati reste fidèle à sa noirceur. Le rappeur masqué n’a toujours pas prévu de sortir un recueil des meilleures blagues de Guy Montagné mais revient dans l’album « Grand Siècle » avec son fidèle compère Orgasmic. L’ancien membre de TTC, co-fondateur du label Sound Pellegrino, a trouvé des beats tranquilles qui convenaient aux textes sardoniques de son pote misanthrope. Inanité des réseaux sociaux, industrie de la musique et consumérisme exacerbé prennent cher dans ce nouvel opus. Alors si comme Fuzati, « au bureau ça pue l’ennui, j’ai pas grand chose à faire, je dicte quelques punchlines à ma connasse de secrétaire », t’as qu’à lire ces quelques lignes camarade. A moins que tu n’appartiennes à cette « génération d’illettrés ».
Pour débuter, parlons un peu du thème de l’alcool…
Fuzati : Ah, quelqu’un l’a enfin noté ! Je pensais être le seul à voir que les morceaux parlaient tous de bière (rires).
Orgasmic : Ouais, c’est un peu le fil conducteur.
Si on vous colle l’étiquette de…
F : Je déteste les étiquettes. C’est juste sur les vêtements, puis en plus ça arrache les poils.
Je m’en doute. C’est fait exprès pour vous énerver un peu. Est-ce que l’étiquette d’alcooliques faisant du hip-hop de gauche, ça vous inspire ?
F : Tu peux la coller sur plein d’autres gens, mais vraiment pas sur nous.
O : C’est-à-dire que les trois cumulés, ça fait un peu Zaz.
F : Ça fait trois mois que j’ai pas bu une goutte d’alcool, donc alcoolique… Après, il y a des périodes où j’aime bien boire. Puis, d’autres où j’ai pas envie.
O : Moi, je ne suis pas alcoolique. Je ne bois jamais chez moi. Je bois tous les week-ends parce que je joue, j’aime bien l’effet mais pas trop le goût de l’alcool. Si je bois, c’est pas vraiment par plaisir mais pour me désinhiber.
F : Par contre, moi, je bois vraiment tout seul. C’est un plaisir solitaire que d’être un peu bourré en écoutant des disques. J’aime pas être bourré et perdre le contrôle en société.
Dans Planetarium, vous parlez de la coke comme étant la drogue de l’individualisme.
F : Ah oui, c’est mentionné. Quand on était plus jeunes, les gens ne prenaient pas beaucoup de coke. Aujourd’hui, c’est presque plus facile de trouver de la coke que du shit. Vu que l’album est sur l’époque, je voulais faire une référence à ce truc.
O : C’est vrai que c’était plus une drogue de riches à l’époque.
F : L’autre jour, je me baladais dans je ne sais plus quel quartier et j’ai vu des meufs de 15 ans, un vendredi aux alentours de 19h, taper en pleine rue. C’est hallucinant.
O : Ça s’est démocratisé. C’est une drogue qui rend les gens arrogants.
F : Exactement. Si tu es sobre et que quelqu’un prend de la coke devant toi, tu veux simplement partir de cette pièce tellement cette personne est ridicule.
Ton flow a changé vis-à-vis du précédent album. Il semble plus ralenti, moins chanté…
F : Il change à chaque album. Tu ne peux pas avoir le même flow sur chaque album ; ça dépend de l’instru, de ce que tu racontes. Là, c’est un album de rap avec des rimes un peu courtes.
O : C’est vrai qu’il y a une question de tempo. Quand on faisait les beats, tu me disais : « Je veux pas rapper sur des beats trop rapides ». La plupart des morceaux se situent entre 70 et 80 [BPM].
F : Ce n’est pas anodin, car je raconte pas mal de choses. Quand c’est trop rapide, ça permet de raconter moins de choses. C’est la forme qui prend le pas sur le fond. Ça m’intéresse moins. Mais il y a le morceau Nulle part où, là, j’ai écrit sur l’instru et c’est vraiment rapide.
Le beat plus lent apporte un côté plus mélancolique. C’était recherché ?
F : Non, même pas. C’est le style de BPM qui me correspond pour ce que j’ai à raconter. Mais comme on reste dans des ambiances avec des nappes de synthés, c’est vrai que c’est bien de rester dans des trucs un peu plus lents. Sur cet album, il y a deux ou trois sons pêchus. Le reste est plus calme, plus aérien.
C’est le fait de vieillir, après 15 ans de carrière. Ou pas du tout, c’est lié à une envie du moment ?
O : Non. Dans le rap que je fais, c’est même encore plus lent que ça. Pour moi, en ce moment, les trucs club sont plus autour de 65 BPM. La moitié de 130 quoi (sourire). Et encore, depuis environ deux ans, des trucs comme Trinidad James ou Shit the Future, c’est des beats à 100 divisés par 2. J’ai toujours aimé les beats assez lents puisque j’écoute du grime, de la musique électronique avec des beats très saccadés et de fait assez lents.
F : Moi aussi, dans la musique que j’écoute, c’est assez lent. Dans le jazz que j’écoute, il n’y a pas de trucs trop free ou qui vont trop vite. Il faut se laisser le temps dans la vie.
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« Les gens passent leur temps
à faire des autoportraits »
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Vous êtes de Versailles, mais n’avez pas l’image bourgeoise de Phoenix ou Air. Comment l’expliquez-vous ?
O : Parce qu’à Versailles, il y a le vieux Versailles avec ce côté famille catholique, tradi, etc., mais il n’y a pas que ça.
F : C’est comme une ville moyenne de Province. Il y a un peu de tout. On vient de la classe moyenne. On aurait pu être dans d’autres villes, ça n’aurait rien changé. Mais comme ce n’est pas attendu pour un Versaillais de faire du hip-hop, je l’ai surjoué à l’époque de « Vive la vie » pour montrer qu’on assumait et qu’on avait absolument rien à cacher. Ça serait un problème si on disait « Dans mon ghetto, c’est la merde ». Mais à partir du moment où l’on ne raconte pas ça, je ne vois pas pourquoi ça pose un problème. Ça ne pose pas de problèmes pour Phoenix ou pour Air, ça ne devrait pas en poser pour nous. Ça posait un peu de problèmes à l’époque car on était les premiers à ne pas se cacher. Parce que les mecs de classe moyenne dans le rap, il y en a toujours eu plein. Que ce soit dans les DJ, les producteurs… Les gars se cachaient un peu plus à l’époque.
Ça doit être chiant de toujours se justifier ?
O : En France, il y a toujours eu cette vision que (il prend un ton pincé) « le rap doit être l’exutoire des jeunes de banlieue », qui dans le fond est très raciste. C’est la vision de base faussement antiraciste, bien-pensante, pourrie. Alors qu’en en fait, elle est très raciste.
F : Au début, on a mis plus de temps à devoir se justifier auprès des journalistes qu’à parler de notre musique.
O : Aux États-Unis, il y a eu Beastie Boys dès le début, donc ils n’ont pas eu ce problème. Ici, on a toujours pris ce qu’on a voulu prendre dans cette culture. Pas l’ouverture en tout cas.
Vous pensez qu’un jour on arrivera à apposer le nom d’un rappeur sur la grille d’un square, comme c’est le cas à Brooklyn pour le membre défunt des Beastie ?
F : Non.
O : Ça m’étonnerait.
F : Peut-être Abd al Malik (rires). Non, je ne pense pas.
Pour citer un autre extrait de Planetarium, « Tu ne brilleras pas après ta mort, car tu vis déjà éteint », ça ne donne pas trop d’espoir. Tes textes sont noirs, comme souvent.
F : Non, c’est réaliste. « Tu ne brilleras pas après ta mort, car tu vis déjà éteint », c’est une chanson qui parle entièrement de l’époque. Tout le monde a l’impression d’être une star. Les gens passent leur temps à faire des autoportraits, pour ne pas dire selfies (sourire). Ils se baladent dans Paris et s’inventent une vie virtuelle sur les réseaux sociaux. C’est une manière de rappeler aux gens qu’ils sont comme tout le monde. Et « tu vis déjà éteint » car plein de gens sont derrière un bureau toute la journée et ne se posent pas trop de questions… Donc oui, ils sont déjà un peu éteints.
C’est un portait assez triste tout de même.
F : Non, réaliste. Tu vas sortir dans la rue et, jusqu’à la station de métro, tu vas compter le nombre de SDF que tu vas croiser.
O : Après, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des choses biens qui se passent dans la vie. Mais il y a aussi des choses pas cool.
C’était juste pour savoir si chanter des choses cool était envisageable.
F : Quand je raconte des trucs tristes, c’est fait avec humour. Et c’est là que ça devient intéressant. C’est pas raconter des trucs tristes pour raconter des trucs tristes. D’où l’intérêt.
Vous avez débuté à deux en 2000 et vous vous retrouvez à deux aujourd’hui. Sans parler de plan de carrière, vous voyez la suite comment ? Un nouveau projet en commun l’année prochaine ?
O : Non, car on est déjà sur d’autres projets chacun de notre côté. C’est pas exclu, mais il n’y a effectivement pas de plan de carrière sur ce projet-là.
F : C’est un side-project, en fait. Je suis en train de travailler sur l’album du Klub des Loosers. Il a son label Sound Pellegrino où il travaille aussi. Là, il y a eu un moment où on s’est dit : « Allez, on a trois, quatre mois de libre, on fait un album et on le sort ». On sera peut-être amené à le refaire dans quatre ou cinq ans.
O : Voilà ! Puis, c’était très spontané. Il n’y a pas eu de concertation. C’est venu par la force des choses.
F : Il faut qu’il y ait un intérêt artistique aussi. Personne n’attendait à ce qu’on retravaille enfin, personne ne m’attendait sur ce genre d’instru. Du coup, il y avait un intérêt. Si on est amené à retravailler ensemble, il faut que ça soit encore un album différent.
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