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Fuzati : « Je ne suis pas hyper sympa »

Discussion avec le MC du Klub des Loosers qui sort avec son groupe l’album « Le Chat et autres histoires ». Télévision, John Fante, réédition de jazz japonais, fantasme d’un rap alternatif et amour de son prochain sont au programme des festivités.

Je ne t’aurais pas vu si fan des interviews, bon je suis sûr que le mot fan n’est pas exact, mais t’en fais à la pelle. C’est une fausse idée que je me fais de toi ?

Dans « Préface », je dis : « Et si la plupart confondent l’auteur avec son personnage / Pas d’autobiographie, juste un sacré ouvrage ». Déjà il faut bien comprendre ce passage. Ensuite, toutes les interviews que j’ai faites dernièrement étaient intéressantes parce qu’on a parlé de musique. À partir du moment où tu parles de ton travail… C’est comme rencontrer des fans, je peux être assez misanthrope dans la vraie vie mais rencontrer des fans, c’est un rapport biaisé, ce sont des gens qui aiment ton travail. L’autre raison, c’est qu’il faut qu’il se vende aussi et ça fait partie du métier d’artiste. Mais je ne ferai pas tout et n’importe quoi. Il y a des médias télé où quels que soient les invités, tu passes pour un con. Et même s’il y a beaucoup de retombées, je n’irai pas.

D’autant plus quand ça parle de rap à la télé…

En télé, t’as l’impression que le pacte, c’est : on t’humilie et en échange on parle de toi.

Et puis entre aller voir Ardisson ou Ruquier…

Oui, c’est pas très qualitatif. Et c’est là où c’est intéressant d’être un label indépendant, c’est que si j’étais signé en major, je serais un peu obligé d’y aller parce que les mecs ont mis de l’argent sur toi. Là, je suis mon propre patron.

C’est sûr qu’après il ne faut pas avoir la volonté ultime de vendre énormément de disques si tu fais des interviews web ou même papier. Même une interview sur Le Monde, ça ne fait pas bouffer les artistes.

Ouais, après il n’y a pas de modèle. Tout dépend de la musique que tu fais, je pense que si tu es Maître Gims, c’est très intéressant d’être en major. Moi, ça n’a pas d’intérêt. Faut juste pas se raconter d’histoire.

À travers ton personnage, tu mets souvent en avant cette idée de savoir jauger ta place dans ce monde.

Je le sais depuis le départ. C’est pour ça que j’avais pas aimé le documentaire Un jour peut-être qui avait été fait parce qu’il partait d’un postulat complètement faux qui était que ces artistes voulaient atteindre le succès. Si t’avais été là à l’époque, tu aurais bien vu que non, c’est juste un délire de mixtapes, d’amour de la musique. Le postulat, c’est selon eux : « Pourquoi ces groupes n’ont pas réussi ? » Ben, ça dépend ce que t’appelles « réussite ». Ça fait 20 ans que j’existe, je sors un disque et ça continue d’intéresser les gens. C’est une réussite. Il n’y a pas qu’un modèle de réussite.

Qu’est-ce qui a littéralement changé pour le Klub des Loosers entre Vive La Vie et aujourd’hui?

Au moment de Vive La Vie, j’apprenais totalement un métier : j’ai fait écouter un morceau et j’ai signé directement, donc ça a été très, très, très vite. Et aujourd’hui, je suis capable de faire un disque tout seul de A à Z et le sortir sur mon label. C’est-à-dire que je maîtrise tous les tenants et les aboutissants de ce métier.

On a tendance à penser que ça n’est pas le rôle d’un auteur ou d’un compositeur d’avoir à se soucier de savoir gérer toute sa chaîne de production. N’est-ce pas une connerie de le penser?

Par expérience, je me dis que plutôt que de perdre du temps à envoyer des mails et à demander aux gens : « Pourquoi c’est toujours pas fait ? », ça va plus vite de le faire soi-même. C’est plus de travail mais je suis un peu un control freak : j’aime bien tout contrôler.

On peut dire que maîtriser ta chaîne de production te permet de mieux maîtriser ta création ?

C’est ça. L’air de rien, tu ne peux pas vraiment dissocier. Par exemple, l’album Vive La Vie était fini, mais il a mis neuf mois à sortir. Quand t’es artiste, tu développes une frustration, tu prends ton mal en patience, c’est un temps pendant lequel tu ne fais pas de musique. Mais je le répète, si tu fais une musique ultra-populaire, je pense que tu as besoin d’être en major. L’erreur est de croire qu’il n’y a qu’un modèle. Bon, Klub des Loosers en major, ça n’aurait aucun sens, vu les textes, ce serait un accident industriel. À moins de changer complètement le propos, mais ça ne serait plus le Klub des Loosers.

J’ai cru lire que tes textes avaient été étudiés à l’École Normale Sup. On s’est payé ma tronche ?

C’est vrai. Il y a eu une conférence il y a un an.

Qu’est-ce qui était étudié exactement ?

C’était « pour l’ensemble de mon oeuvre » (rires).

Ça t’a fait marrer ?

Oui, beaucoup. Parfois, au travers de mes textes, les gens s’attendent à rencontrer quelqu’un d’un peu intello mais je ne suis pas du tout intello. Et là-bas, j’ai eu du mal avec le côté très premier degré, à décortiquer chacun de mes textes. Donc c’est parti en sorte de one man show, au grand désespoir des mecs qui avaient fait le boulot. J’ai toujours du mal avec l’ultra post-rationalisation. Surtout que j’ai l’impression d’avoir des punchlines un peu explicites.

À propos du côté intello, c’est aussi l’invention de cet obscur terme de rap conscient. Depuis, on a l’impression en gros que les rappeurs se divisaient en deux, ceux qui l’étaient et ce qui ne l’étaient pas. Condescendance ou bêtise ?

C’est quelque chose qui m’a toujours posé problème. On en revient à ce qu’on disait sur la télé, ce truc horrible où les mecs prennent le livret et lisent les paroles, alors qu’au final des choses vont avoir l’air nulles quand c’est lu. C’est souvent la manière de le rapper qui va le transcender. Pour moi, en France, les gens n’ont jamais vraiment compris le rap parce qu’ils s’attachent beaucoup trop aux textes. Klub des Loosers, c’est de la musique, pas un bouquin.

Personnellement, j’ai mis du temps à comprendre que tu étais plus proche d’un Bertrand Burgalat dans l’idée d’orchestrer une musique que d’un rappeur. C’est grave ?

On apprend à se connaître. Au début, j’écoutais beaucoup de rap et j’avais l’impression d’être un rappeur. Aujourd’hui, je suis arrivé à faire ce que je voulais faire, c’est-à-dire de faire un album de pop. Et ce que je raconte depuis toujours, ce sont des sentiments très pop, comme le désespoir. Au début, personne ne faisait de la musique comme ça, ne faisait ce décalage entre de la musique poétique sur du hip-hop lo-fi.

Quand on parle de pop, on parle de pop plutôt 70s, pas vraiment actuelle. Ça a toujours été ton truc ?

Ouais, complètement. Dans Vive la Vie déjà, c’est l’idée d’être beau et triste en même temps. Ce qui a changé, c’est que je joue beaucoup plus que je n’utilise de boucles. Là, même quand un thème est répété en boucle, c’est joué.

Tu évoquais le docu Un jour peut-être, dans lequel l’idée était de regrouper des artistes de rap dits alternatifs au sein d’une scène. Dans le docu, tu dis n’avoir jamais réellement côtoyé les Svinkels, TTC, et consorts. C’est toujours le cas ?

J’ai accepté de participer à ce documentaire pour l’expliquer et au final, ça a fait l’effet inverse. C’était un truc de journalistes. J’ai jamais traîné avec eux. Certains, je les ai vus que 5 ou 6 fois dans ma vie. C’est comme des collègues. Ça vient d’un fantasme que les musiciens traînent ensemble. Même le Klub des 7, c’était pas un groupe, c’était des rappeurs appelés pour poser sur mes prods. Au final, t’as un cachet, tu pars en tournée et tu fais le taff. Pas plus que ça. Mais ça veut pas dire que je les apprécie pas.

Tu me fais penser à l’auteur américain John Fante, des fois révolté contre la société, des fois dans son verre d’eau, et régulièrement loser. À ce sujet, j’adore le morceau « Le bouquet » dans ce dernier disque. Ça t’évoque quoi ?

Pour « Le bouquet », ça a l’air d’être anodin mais c’est le moment où la vie d’un mec bascule. C’est une remise en question totale. C’est un mec qui est dans une routine de couple, qui va acheter un bouquet et qui d’un coup sort de son corps, se voit faire le truc et se dit : « Mais en fait, je ne fais plus le truc par amour mais par routine, je ne l’aime plus». Ça a l’air d’être léger mais c’est plus que ça. En tout cas, tu me fais plaisir pour Fante. Ce que j’aime, c’est que c’est de la haine pure. Dans La route de Los Angeles, l’épisode où il prend son pistolet à plomb et il décime des crabes, c’est d’une violence. Même dans Demande à la poussière, comment il traite la fille. Je l’ai découvert au travers de Bukowski qui a préfacé ce bouquin. Et Bukowski, je l’aime bien, mais c’est plus loser gentil. Il boit des bières, il drague des pépées, il est plutôt sympathique, c’est le vieux poivrot, c’est toujours agréable à lire, alors que Fante, il y a un truc beaucoup plus énervé derrière. Dans la vie, je suis une boule de haine. C’est pas une posture. Je ne suis pas hyper sympa.

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Sans aller plus loin jusqu’à des Dostoïevski ou des Céline, un autre personnage pourrait t’inspirer cette ambiguïté ?

Le personnage de Taxi Driver pourrait inspirer Fuzati – parce que je répète que c’est un personnage. Taxi Driver, tu sais pas à quel moment ça va basculer, s’il est gentil. Ou Tony Soprano, il arrive à ce que tu le trouves attachant jusqu’à ce que le mec vrille et défonce un mec à coup de batte de baseball. C’est cette ambiguïté-là que j’aime bien. Fuzati, c’est un connard mais en même temps, tu sais pas sur quel pied danser.

Ton personnage est aussi attachant, comme ceux dont on a parlé précédemment. Il sait aussi qu’il subit la société qu’il critique. C’est aussi là-dedans qu’on trouve le côté attachant / détaché de cette colère.

C’est pour ça que looser avec deux « o », c’est plus un mec qui est détaché, qui n’a jamais eu l’impression de rentrer dans un moule. Je suis un mec de classe moyenne : par rapport aux mecs du rap, j’étais trop riche, mais par rapport aux vraiment riches, j’étais pas un mec riche. Quand j’ai commencé à faire de la musique, c’était genre : « Ah ouais, vous, c’est chelou ce que vous faites Klub des Loosers ». Loser avec un o, c’est genre un Pierre Richard. La différence, c’est vraiment le détachement, l’inadaptation.

Tu as lancé le label Le Très Jazz Club, qui est un label de rééditions de jazz japonais. Peux-tu m’en toucher deux mots ?

J’aime pas dire collectionneur ni digger, mais je suis un passionné de musique et cherche des disques.

Pourquoi tu n’aimes pas ces termes ?

C’est galvaudé. Au début digger, c’était aller sur le terrain pour chercher des disques complètement inconnus. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile de découvrir des disques inconnus, avec internet. Et puis, c’est mettre des termes compliqués pour dire une idée simple : être passionné de musique. De la même façon qu’un collectionneur, c’est un mec qui va accumuler toutes les références d’un label, que des disques rares et chers.

Toi, tu réédites du jazz japonais…

Quand j’ai commencé à m’y intéresser, je me suis rendu compte que c’était très difficile d’en trouver, en tant qu’Européen. Et même au Japon, dans les bacs Japan Jazz, il n’y a pas grand chose. Pratiquement aucun label ici ne réédite du jazz japonais. Là-bas, ils en ont mais n’ils n’exportent pas, donc je me suis mis à la place des passionnés. D’ailleurs, les deux sorties ont fait sold out en un mois et demi et ils n’ont été distribués qu’en Europe. C’est un aboutissement. Entre l’adolescent que j’étais qui appelais le standard de Nova et qui voulait savoir quel titre passait et maintenant d’être directeur artistique d’un label, c’est cool, ça continue, l’amour de la musique peut toujours aller plus loin. Mais je ne tire pas d’ego pour ça, beaucoup de mecs ont initié ce truc-là, comme Gilles Peterson. L’avantage que j’ai, c’est que j’ai des fans, via le Klub des Loosers. Pour ce coup-là, je me dis que je me mets un peu plus en avant que d’habitude, si ça peut permettre de découvrir ce genre-là à des gens qui ne se seraient jamais intéressés au jazz japonais. Je trouve ça bien de voir un mec de 18 ans dire que ça défonce. Tu fais un taff de transmission.

Finalement, les êtres humains t’intéressent ?

Non, c’est qu’au travers de ce qu’ils peuvent faire. Au travers d’un livre, de la musique, mais en face à face, ça ne m’intéresse pas. Avec mes musiciens, oui, par contre. Il y a un bar parisien qui s’appelle Le Motel, où il y a toute la scène de la pop indé, c’est là où j’ai rencontré mes musiciens. Ce sont des gens qui sont très érudits sur les synthés, sur la musique, qui jouent dans plein de groupes, donc il n’y a pas de problème d’ego. Mais ça ne m’intéresse pas de rencontrer des musiciens et de traîner avec eux, parce que des fois, je vais adorer l’album d’untel mais dans la vraie vie, ça va être un connard. Je préfère rester sur un rapport de collègues de studio.

Crédits photo en une : Laurène Bertocheau

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