C’est en Caroline du Nord que Future Islands, le groupe mené par le grand enfant Samuel T. Herring, s’est formé. Dans ce coin où l’église fait partie du quotidien de chaque enfant, on cultive l’amour de son prochain. Si le groupe n’a pas d’attrait particulier avec la religion – probablement plus avec la sueur condensée des grandes salles – il cultive, via son chanteur, des chansons très directes, pop, où la surenchère d’émotivité sert de pont pour relier directement la voix au cœur des petits êtres humains venus le voir. Ian Curtis, envie pressante, vétérans avant l’heure, Letterman, Blondie, on passe en revue les membres de la formation ricaine à l’occasion de la sortie de son nouveau disque, « The Far Field ».
Vous aimez bien les interviews ?
William Cashion (basse) : Ouais, pas mal. On ne parle jamais profondément de notre musique entre nous. Ça nous apprend des choses sur notre album.
Samuel T. Herring (chant) : Des fois, on se dit : « Ah ouais, c’est ça qu’on a fait ! »
William Cashion : On apprend aussi des choses sur chacun d’entre nous. On a découvert que Sam avait volé un bouquin quand il avait douze ans par exemple. Voyons ce qu’on va apprendre dans celle-là.
En 2014, vous avez fait un concert chez David Letterman, ça vous a mis un gros coup de boost. Un type a commenté la vidéo YouTube en disant que Sam, tu étais un mélange de Henry Rollins, Marlon Brando, Morrissey, Ian Curtis, David Byrne et Joachin Phoenix. Quel est la comparaison que tu acceptes le mieux là-dedans ?
Sam : Quand on a commencé la musique, on avait 18 ans. Et j’avais jamais entendu parler de Joy Division avant d’arriver à l’université. William et notre ami Brian ont joué Joy Division un jour et je me suis dit : « Putain, c’est quoi ce truc ?« , ça sonnait si bien. Quand j’ai vu le personnage que c’était sur scène dans des vidéos, ça a commencé à être une sorte de modèle. J’ai un background plutôt hip-hop, dans mon écriture, j’avais jamais été bouleversé par un chanteur de rock avant. C’est celui qui s’approche le plus de ma vision d’un chanteur. Sauvage, en mouvement, des textes forts, du mystère.
Vous avez aussi fait un Late show chez Jools Holland. Aujourd’hui, passer à la télé, c’est le dernier truc qui permet de vendre des disques ?
Sam : La télé n’a pas non plus la puissance qu’elle a eue dans le passé. C’est peut-être différent en Europe qu’aux USA. En Angleterre, Jools Holland a changé pas mal de choses pour nous. Beaucoup de gens ont découvert notre musique grâce à l’émission. Et on a pu vendre plus de disques. Après, on ne sait toujours pas comment vendre des disques aujourd’hui.
Future Islands – Seasons @ Letterman
C’est toujours possible de vendre des disques, tout simplement ?
William : On a l’impression que la meilleure façon de vendre des disques, c’est de faire des concerts. Mais je t’avoue que si tu veux savoir comment on vend des disques, il faut plutôt poser la question aux gars dans la pièce d’à-côté [l’interview a lieu dans les bureaux du label, ndlr].
Sam : On n’est pas dans un créneau où ça vend beaucoup de disques. Quand on a vendu 150.000 albums avec notre précédent disque Singles, ça a été une énorme surprise pour le label. Avant ça, on ne vendait que dans les 50.000. Faire Letterman ou Jools Holland nous a évidemment permis de passer un cap. Mais c’était dingue pour nous aussi, parce qu’on est plus un groupe live qu’un groupe de studio.
On parlait des mouvements de scène de Ian Curtis. Tu as aussi une façon bien à toi de te mouvoir sur scène, Sam. Ça te vexe si je te dis que j’ai l’impression que tu as constamment envie d’aller pisser ?
Sam : Plutôt, oui. Mais peut-être que c’est mon petit secret.
Plus flatteur maintenant, quand tu chantes tu as l’air de t’adresser non pas à l’ensemble de la foule, mais chaque individu du public. Tu t’es entraîné en regardant des pasteurs à l’oeuvre?
Sam : On a tous grandi dans le sud des USA où l’église est partout. C’était impossible pour nous de ne pas aller à l’église quand on était enfants. D’une certaine façon, ça doit transparaître dans notre façon d’être. Après, ça n’est plus vraiment notre univers. J’aime le voir comme un côté de pure émotion plutôt que d’idéologie.
Dans le chant, tu exagères volontairement, du moins j’en ai l’impression, certaines émotions. J’imagine que sur scène tu es dans ton rôle. Il y a la foule, l’atmosphère, l’authenticité du moment, mais c’est pas bizarre d’en faire des caisses quand tu es tout seul devant ton micro en studio ?
Sam : C’est uniquement quand j’arrive sur scène que je me projette et trouve la manière la plus appropriée pour chanter. Quand j’écris une chanson, je ne suis pas là à me dire : « Ouais je vais crier ‘Ahhhhh‘ à ce moment-là » devant l’ordinateur et les instruments. Et même quand on enregistre en studio, je suis plus réservé. J’essaie de savoir quand même comment je vais chanter sur scène, mais ça n’arrive jamais comme prévu.
Dans la voix et la composition des chansons, on sent comme quelque chose de presque enfantin, de joie, de rage, de tristesse pure. J’ai l’impression que les gens se sont attachés à ces excès soudains, comme des cris retenus trop longtemps, comme une frustration d’enfant à apaiser. C’est une remarque qu’on vous a déjà faite ?
William : Je ne suis pas sûr qu’on soit vraiment comme ça. Mais si tu penses que notre musique est enfantine et immature, moi, ça me va.
Future Islands est-il la réponse émotive à une société insensible ?
Sam : Musicalement, les gars essaient de faire des morceaux les plus intemporels possibles. Aussi, notre musique a vraiment à cœur de parler d’émotions humaines, ce qui est complètement naturel pour nous, avec l’objectif que ça touche le maximum de gens et qu’ils puissent se reconnaître à travers nos histoires. En 2016, avec tout ce que le monde a traversé comme merde, certaines de nos chansons ont eu un écho différent, plus fort, plus direct sur le public. Ce sont des chansons qui parlent d’amour ou du sentiment de ne pas comprendre où notre monde va et donc parlent, de façon universelle, de ce qui se passe actuellement. On se tient à l’écart de la politique mais c’est quand même de la politique du cœur. Dans un sens, c’est politique, parce que ça parle des gens.
En 2016, vous avez fait une tournée sous de faux noms de scène pour tester vos nouveaux morceaux devant un public forcément plus objectif. C’est pas loin d’être la meilleure idée du monde. On vous l’a soufflée ?
Sam : On voulait une série de concerts à jauge réduite, où personne ne serait là pour filmer. Et quand tu joues dans des petites salles, tu le vois le mec qui filme. Mais c’était marrant, les gens débarquaient dans la salle et disaient : « Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? C’est Future Islands qui joue. » Donc ils balançaient l’info à leurs potes qui textotaient leurs potes et en une demi-heure, t’avais 200 personnes qui se pointaient. On revenait à des concerts intimistes, c’était génial. Et puis, on testait une quinzaine de chansons qu’on n’avait jamais jouées devant personne, donc c’était pas plus mal dans cette ambiance. Avec aucune de tes anciennes chansons, tu ne peux pas t’attendre à ce que les gens deviennent fous. Personne pouvait dire : « Jouez ‘Seasons’ ! » parce qu’ils ne savaient même pas qui jouait, pour la plupart.
La même année, vous avez enregistré votre nouveau disque The Far Field (2017) avec un producteur qui a la masse de Grammy Awards (St. Vincent, David Byrne, Explosions In the Sky), John Congleton, au studio Sunset Sound où – si je me suis bien renseigné – tout le monde des Beach Boys à Prince a composé son chef d’oeuvre. On sait que ces infos sont bonnes pour les communiqués de presse mais est-ce que le meilleur studio et le meilleur producteur suffisent à faire passer un bon album à un chef d’oeuvre ?
William : John et d’autres producteurs se sont montrés intéressés pour bosser avec nous. Mais c’est John qui nous a tapé dans l’œil. On avait des idées en commun sur la façon dont on voulait sonner, sur la question du violon notamment. Le choix s’est fait entre le Studio 3 de Prince et le Studio 2 de Van Halen et Led Zeppelin. Finalement, on a fait ça dans le Studio 2, qui est plus grande, qui sonne plus « live ». Mais honnêtement, il fallait que quelqu’un s’occupe de nous, on a des connaissances en composition et en live, beaucoup moins en studio. Ça en a clairement fait un meilleur album.
Il y a Debbie Harry, chanteuse de Blondie, qui a posé sa voix sur la chanson « Shadows ». Vous avez écouté/aimé le nouveau disque du groupe, qui sort en mai ?
William : Pas encore. Ça a été produit par John, également.
La collaboration s’est bien déroulée ?
William : On ne l’a pas rencontrée. Elle a enregistré à New York.
C’est pratique mais c’est quand même étrange cette époque où on peut collaborer avec des artistes sans même les rencontrer, vous n’êtes pas d’accords ?
Sam : En fait, c’est déjà dingue qu’on l’ait sur l’album. C’est une connexion de John. Donc, écoute, on est juste contents d’avoir une chanteuse légendaire sur notre disque.
William : Et puis, c’est pas si bizarre que ça. Le violoniste et le joueur de cor, on les a rencontrés un jour, ils ont joué et bye bye. Ça marche comme ça.
Sam : Ils étaient bizarres d’ailleurs.
William : Ouais, vraiment étranges.
A une époque où on change de groupes de pop comme de chemises, avoir 10 ans de carrière fait-il de vous des vieux roublards ?
Sam : On est des vétérans. Je n’ai pas l’impression qu’on soit un jeune groupe. On a payé notre tribut. Aujourd’hui, on a de nouvelles manières de tourner, on peut donner des conseils aux jeunes. Mais après, il y a les vrais vétérans. Eux, c’est des vrais. Tu vois The Cure, ça fait 40 piges qu’ils jouent et c’est toujours génial. On veut clairement devenir de vieux vétérans.
L’album sort chez 4AD/Beggars le 7 avril 2017.
Crédits photos © Tim Saccenti
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