Fog Lake signifie « lac de brouillard » dans la langue de Kev Adams, Molière et Pascal. C’est aussi le nom du projet d’Aaron Powell, un jeune artiste canadien qui en 2017, a enchaîné les disques comme Cavani enchaîne les buts depuis 2012 : en grand nombre, et de façon irrégulière. Quelques mots doux sur la pop bleutée et répétitive saupoudrée sur les douze morceaux de son nouveau disque « Dragonchaser ».
« Le collage complexe d’une angoisse nébuleuse et d’une nostalgie sincère », voilà comment Aaron Powell définit sa musique, une sorte de pop de chambre lo-fi qui rappelle ce que fait Salvia Palth, Alex G ou Teen Suicide, les deux derniers étant d’ailleurs signés sur le même label : le New-yorkais Orchid Tapes.
Il faut dire qu’Aaron est né et a grandi dans la province canadienne de Terre-Neuve-et-Labrador, une grande île située à l’extrême est du pays, assez peu peuplée et recelant de grands lacs au cœur d’un relief accidenté. Même s’il vit aujourd’hui dans la très dynamique Montréal, son enfance et son adolescence à côté des baleines et des fjord, on peut imaginer sans trop se mouiller que cet environnement a façonné sa musique à un moment ou un autre. Plus précisément, Aaron a grandit à Glovertown, et là-bas, vous pouvez le concevoir, la liste des choses à faire en société est relativement limitée. L’isolation aidant, on peut tenter de comprendre l’inspiration des chansons du Canadien.
Cette année, l’artiste a sorti un single et deux albums en l’espace de sept petits mois. Toujours simples, brutes et fragiles, les chansons excèdent rarement les 2 min 30. L’ambiance est introspective et la remise en cause perpétuelle. La sincérité crève les yeux et si l’artiste maîtrise son propos, il n’a pas l’air de le diriger. Fog Lake fait preuve d’une grande pudeur dans son expression. Une grande fête triste qui absorbe l’esprit de chaque personne qui s’y plonge. Une ambiance hypnotique et sensible.
Son dernier album, Dragonchaser, est sorti en mars dernier. Dans le traitement de sa voix, la répétitions de boucles mélodiques et l’application parfaite du principe du « less is more », le disque rappelle les premiers travaux de Youth Lagoon, l’électronique en moins. En août dernier est sorti Interférence III, qui est une nouvelle édition d’un EP sorti il y a 5 ans, réenregistré pour l’occasion par l’artiste qui, en ces cinq années, a su dompter ses micros et maîtriser l’enregistrement.
Bon, même si on parle de pop, on ne peut pas vraiment trouver de morceaux tubesques dans la discographie de Fog Lake, le but n’est pas de vous faire reprendre des refrains à tue-tête, ni même de vous laisser des mélodies dans le ciboulot pendant six heures. À la limite, peut-être que le morceau « Side Effects » pourrait faire l’affaire pour cet usage – mais toutes proportions gardées, on n’est pas sur du Grandaddy non plus. En fait, l’intérêt est tout autre : emmener l’auditeur averti ou non dans un monde parallèle et le faire face à ses propres questionnements et ses errances, son propre lac de brouillard, en quelque sorte. C’est dit, la musique de Fog Lake aide à l’introspection.
Vous le remarquerez, l’artiste n’est pas fâché avec la musique répétitive. Son son ne se réinvente pas à chaque album, et plus encore, l’enregistrement lo-fi en irritera certains. Il n’en reste pas moins que ses chansons sont l’expression d’une fragilité universelle plus ou moins enfouie et que les titres qui composent Dragonchaser – comme ceux des disques précédents – en diront plus sur nous que ce que l’on pourrait penser de prime abord. Aaron Powell est un des artistes les plus intéressants que le monde de l’indie pop peut connaître en ce moment. Discrètes, sombres et intimes, ses chansons sont prêtes à devenir la bande son de votre hibernation.
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