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Florent Marchet : « Les scientifiques ont avancé, la société a reculé »

A l’issue de cet entretien, certains penseront que Florent Marchet n’est qu’un éternel ado. D’autres verront un père de famille de 38 ans qui a conçu un album sur le futur distillant des textes prémonitoires. Derrière de puissants synthés, des sonorités longuement bidouillées, le Berricho-Montreuillois n’a rien perdu de sa singulière fragilité vocale. Autour d’une bière à la sortie d’un set à la Maison de la Radio, l’artiste évoque sa « Bambi Galaxy » avec une sincérité salvatrice à l’heure des journées promo à la chaîne. Et voir la tête du garçon de café conservateur qui faisait dos à un Florent remonté – à faire pâlir Besancenot – ça valait son pesant de cacahuètes.

Adolescent, lorsque tu as entendu Jean-Michel Jarre, as-tu pensé « Enfin, j’écoute la musique du futur »

Je suis revenu plus tard sur Jean-Michel Jarre. Pour moi, c’était la musique de la médiocrité. Enfin, je ne veux pas paraître médisant, car j’ai découvert ensuite des choses plutôt pas mal dans Oxygène. A l’époque, je le voyais comme le côté cliché du futur. De la musique de grandes surfaces… Il y avait une absence de poésie. C’était excluant et ça manquait d’humour, de décalage. Tout l’inverse de Krafwerk où il y a de la poésie, de la fragilité et beaucoup d’humour.

Tu disais chez Ruquier que le questionnement de Bambi Galaxy est celui du bonheur dans le futur. Désolé de t’annoncer que l’album dégage quelque chose d’anxiogène, à mes yeux du moins…

L’album pose la question du bonheur et du sens de l’existence. Longue pause. Je ne comprends pas dans cette société qu’on est en train de fabriquer qu’il y ait une minorité de gens très très riches et une grande majorité de gens très très pauvres. On nous parle de crise mais, pourtant, il n’y a jamais eu autant de richesses qu’aujourd’hui. On devrait être absolument révoltés… Mais on subit ça, dans une société qui ne rêve que d’argent, que de posséder.

Penses-tu que ce consumérisme exacerbé va nous tuer ?

Vu le nombre d’opprimés, oui, c’est déjà la cas. Tu réalises que lorsqu’on gagne 2000 euros par mois, on est considéré comme privilégié. Après, on apprend ces fameux chiffres, comme quoi 1% de la population mondiale détient la moitié de la richesse du Globe. C’est effarant ! On est quasiment tous au courant ici, on est informés. Mais le pire, c’est qu’ils sont cyniques et disent : « Il va falloir vous accrocher car ça va continuer, et on ne peut rien y faire ». Il paraîtrait que si l’on partageait, ça se casserait la gueule. « Ah ben oui, mais non. Ça vous nous coûter de l’argent de changer de modèle économique. » On pensait être débarrassé de cette pénibilité dans la vie, dans le travail… Mais la société est devenue très anxiogène.

Les gens souffrent au boulot, on ne le dit pas assez. Pas moi, je suis un privilégié qui se lève le matin pour aller en studio, écrire des chansons… Pendant des années au début, on me disait : « T’es courageux de faire de la musique ». Je trouvais ça surprenant, car je m’étais dit qu’il fallait faire un métier par passion. Même si ça a été très dur pendant plus de dix ans, où je ne gagnais presque pas ma vie, j’étais malgré tout heureux de jouer dans un bar. Je faisais ce que j’aimais, donc ce n’était pas un problème.

Aujourd’hui, il y a de la précarité absolument partout. Donc, si être heureux c’est trouver sa place – c’est du moins ma définition du bonheur – et que ce n’est pas le cas… (pause) Tu m’arrêtes si je délire, mais si on est opprimé, méprisé, humilié… Ce n’est pas vivable au bout du moment. Il faut donc changer de mode de vie sociétal, c’est obligé à terme ! C’est quoi le sens de la vie ? Et quand je parle des mouvements sectaires dans l’album, c’est pour montrer que les gourous profitent de la situation, du malaise. Des gens brillants et cultivés tombent dans une secte car ils cherchent une autre proposition… Je pense à Coluche : « Dire qu’il suffirait de ne plus en acheter pour plus que ça se vende ». La masse a un pouvoir qu’elle ne soupçonne pas. On est partis sur une interview de gauchiste, attention là !!!

Les premiers à voter écolo ont pourtant des smartphones dont les écrans intoxiquent les travailleurs pauvres d’Asie qui les conçoivent. Et une fois l’obsolescence programmée à son terme, l’écran finit dans une décharge à ciel ouvert au Ghana où il polluera des rivières. Et ce téléphone sert à enregistrer cet entretien…

Evidemment que c’est pénible de se dire qu’on va acheter des fringues fabriquées au Bangladesh. Les adultes ne veulent plus bosser là-bas car ils sont tous malades. Les cancers explosent. On sait que derrière un tee-shirt pas cher, il y a un enfant qui bosse. « 5 euros, c’est super pas cher, je vais en prendre deux tiens ! » C’est pas évident de vivre en sachant ça. Le système est terrible. Mais ceux qui devraient vraiment être le plus mal à l’aise, ce sont nos dirigeants. « On ne peut rien faire sinon le système économique se casse la gueule. » Eh bien, qu’il se casse la gueule à la fin !

Globalement, la société aime cette sensation d’équilibre. Hollande est d’ailleurs maître dans les vases communicants. C’est assez représentatif de l’Occident, tu ne crois pas ?

On est dans une société tiède. Tiède, tout le temps. C’est terrible. Pour en revenir à la question de tout à l’heure : je n’ai pas une vision anxiogène, c’est la société qui est anxiogène. Je suis juste réaliste. Le discours de la génération avant moi me dit souvent : « Oh, tu vois tout en noir. Quand même… » Je ne suuupporte pas ce discours. Le pseudo-paradis obligatoire, c’est le discours de la génération post-68tards, de la Parenthèse Enchantée. Ils voulaient construire un monde de partage, mais ils ont laissé une société ultralibérale et violente. Donc, ils n’acceptent pas que nous leur disions que la société qu’ils nous ont laissée est violente et anxiogène. Il y a une lutte des classes aujourd’hui. Les grands patrons nous le disent et font comprendre que rien ne changera. C’est d’un cynisme fou.

Et si on pousse la logique, ça va être compliqué d’expliquer à nos enfants les pénuries d’eau alors qu’on a évacué nos toilettes avec de l’eau potable…

Oui, on est d’accord, ça va être difficile. La réflexion de cet album vient aussi du fait que je suis jeune papa. Mon fils de 5 ans me pose plein de questions. « Pourquoi la dame elle est dehors en plein hiver et que personne ne fait rien ? » T’as l’air con face à ça. Il voulait aller à la pêche, j’ai donc pris une carte pour aller en bord de Marne. Le type du magasin de pêche me dit : « C’est écrit sur la carte, mais je vous le dis : interdiction de manger les poissons car ils sont toxiques ». Mon fils, il se demande pourquoi, alors que moi petit je pouvais les manger. Des questions comme ça, il y en a des centaines. Et après, t’as la génération de la Parenthèse Enchantée qui te dit « Roooh, les rabats-joie, vous ne ne voyez que le verre à moitié vide ». Quand j’entends ça, je sors les griffes et ne peux pas l’accepter.

Les derniers produits sains seront préservés sous serres ?

Il va falloir apprendre à manger autre chose que de la viande. Je ne suis pas sûr qu’on puisse encore manger du poisson, car c’est difficile à faire en élevage… Mais c’est lié à notre surconsommation. Dès qu’on parle à bâtons rompus, ça va mieux. Il n’y a rien de pire que les gens qui disent : « Arrête de parler de choses déprimantes ». Non, il n’y a rien de déprimant. Au contraire, plus on va en parler, plus il y aura une prise de conscience et plus vite on changera nos habitudes. Moi le premier, j’ai vraiment du mal à les changer. Mais j’y pense et, petit à petit, on arrive à moins gaspiller d’eau. Bien sûr, ce n’est pas moi qui vais changer seul le cours des choses, mais c’est une attitude à avoir.

La politique devrait y arriver. Regarde le tri des déchets ménagers, c’est déjà une belle évolution. On devrait imposer plus aux gens.  La mondialisation, qui devait être formidable à travers l’échange des cultures et des idées, est devenue la mondialisation de l’indifférence. L’album part clairement de ce constat. Même si je comprends mieux le fonctionnement de la société qu’il y a 10 ou 20 ans, d’autant plus, je me dis : « Tiens, qu’est-ce qu’on va leur laisser ? » et c’est un vrai problème de conscience. Et mes petits-enfants, dans quel monde vont-ils vivre ? C’est atroce…

Enfant, le futur te faisait déjà peur ?

Le questionnement de l’album vient de là, car j’étais persuadé qu’on était en train de vivre la pire époque. On parlait un peu du Sida qui arrivait, mais on parlait des progrès de la science. En plus, j’ai réalisé la crise et le Sida qu’à l’adolescence, dans les années 90. Donc les années 80, je cite souvent le journal Astrapi qui nous disait « Finalement, ce n’est qu’une mauvaise passe, ça va s’arranger ». On n’avait pas connu la Parenthèse Enchantée – en plus tes parents te parlaient des festivals, te disaient « Ouais, c’était vachement bien » – donc ça ne pouvait qu’être mieux après. J’avais cette impression d’avoir été privé de la fête des années 70. Le fantasme de l’an 2000 nous donnait de l’espoir grâce à la science, qui a énormément progressé. Mais elle n’a pas progressé avec le développement économique. Pas pour tous… On est revenu au Moyen-Age dans certaines manifs aujourd’hui. Alors qu’avec le progrès sur la recherche du cerveau et de l’univers, il ne devrait plus y avoir de racisme, de mal-logement… Pendant que les scientifiques ont avancé, la société a reculé. L’album part aussi de là.

Denis Podalydès confiait récemment au JDD : « Il faut même savoir écrire sans savoir ce qu’on va dire. Il réside toujours en soi une idée, aussi modeste soit-elle, qui enclenche l’écriture ». Est-ce pareil pour composer des chansons ?

Je répondrai par une citation de mon ami écrivain Arnaud Cathrine« Pour écrire il faut deux secrets, dont un que l’on ne sait pas ». Il y a un côté prémonitoire dans les chansons, dans le sens où on écrit des choses qui sont en nous et qui n’arriveront qu’après. Et en même temps, il y a un côté introspectif dans l’écriture où l’on se découvre. C’est ce que j’appelle « descendre à la cave ». Ce qui m’intéresse dans l’écriture, c’est d’être surpris par l’issue. L’écriture doit être le lâcher prise. Les phrases viennent seules. Ce que je ne garde pas, c’est le moment où j’intellectualise. A force d’écrire, le moment lié à la fatigue fait que ça vient. C’est pareil dans la mélodie. Hop, ça y est, elle est là.

Depuis plusieurs hivers, tu donnes des concerts de Christmas songs. Tu te sens de chanter en anglais ?

Ah non, pas du tout. Il faudrait que j’aille vivre dans un pays anglo-saxon pendant 4 ans. Je choisis une langue liée à l’intime. Que ça sonne juste sur la musique, ça ne me suffit pas. Mais j’adorerais ! Le jour où je rêverai en anglais, ça sera différent. Je connais un Américain qui ne supporte pas d’entendre les Français chanter dans sa langue. Il ne comprend pas cette obstination. Les fautes l’énervent (sourire). Je pense qu’il faut beaucoup d’intimité et de maîtrise pour se lancer dans une langue étrangère.

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