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Florent Marchet, le poids des mots

La version politiquement correcte, c’est qu’on se réjouit toujours de voir un artiste multiplier les projets, s’exprimer en chantant, en écrivant, en composant, en jouant, pour lui, pour les autres. Et c’est vrai, on a beaucoup aimé le Florent Marchet compositeur de musiques de films, on l’a adoré sur scène avec Patrick Mille et dans le second volet de « Frère Animal » et la sortie de son premier roman, « Le Monde du vivant » nous a réjoui·e·s. Mais en vrai, on est fondamentalement des égoïstes, et dans nos petites prières il y avait : un nouveau disque. Les trois singles dévoilés depuis février et une session dépouillée à la Maison de la Poésie en mars avaient encore fait monter l’impatience, et ça y est, on y est enfin.

Le confinement aura quand même eu du bon. C’est en promenant son chien dans les rues désertes de sa banlieue-est que Florent Marchet a commencé à cogiter Garden Party, son premier album solo depuis 2014, qui sort le 10 juin. Treize titres graves et profonds qui portent en filigrane les marottes de leur auteur, ce qui le questionne et le hante depuis ses débuts : la famille, l’amitié, la transmission. Le lien. Comment il se crée, comment il se délite, comment on est cons, parfois.

Si Bambi Galaxy, son précédent album, nous emmenait dans un futur fantasmé, sur une planète B froide et déshumanisée, on retrouve ici des marques bien plus familières. Exit les images satellites, bonjour les caméras de surveillance du quartier, coucou les gens. Ces gens aux vies parallèles, si proches, si semblables mais aussi tellement loin, parce que la retenue, la pudeur, parce que le mensonge aussi, le repli, la méfiance. Des vies d’adultes en somme, dans toute leur réalité, leur brutalité, moins romantiques que prévu, dans ces moules auxquels, enfants, on s’était jurés d’échapper.

A l’origine de Garden Party, il y a des pavillons, des balançoires, des photos, des tablées, des dindes aux marrons. L’apparence du normal, de l’heureux, tout ce décor que l’on met tant d’effort à planter. L’album se faufile au-delà du barnum des journées parfaites, des collègues sympas, des parents dévoués et des conventions sociales, derrière les sourires de façade, il saute les haies bien taillées et écarte les franges toutes droites. Ces instants, ces lieux où le vernis craque et où plus rien n’est simple, les mots pas prononcés et ceux mal compris, les lâchetés et les regrets qui peuvent tuer sont dans chaque mot, chaque rime. De la même façon qu’ils sont partout dans nos vies. En province, en banlieue. De Montargis à Montréal. Avec nos familles dysfontionnelles, nos amitiés qui se font la malle et nos rêves qui se prennent le mur, notre pureté que la vie tache, notre tendresse et notre maladresse à l’exprimer.
Ce coming out tourne mal (« Paris-Nice »), cette femme est battue (« Comme il est beau »), ce père retient son souffle alors que son enfant s’envole (« De justesse »).

Un titre, encore plus que les autres, nous suivra sûrement longtemps. C’est « Freddie Mercury ». L’histoire d’une amitié adolescente, courte, intense, un appel à ce copain subitement volatilisé, le souvenir de sa mère étrange, de sa vie si lourde. Lointaine cousine de « Ton autre chemin » de Goldman, la seule chanson parlée de l’album transmet une émotion rare et touche au cœur, soudain nous aussi on voudrait savoir, le sauver, le revoir.

C’est l’une des forces de Florent Marchet, cette aisance à nous faire traverser l’écran. A aucun moment il n’a besoin de faire les présentations. Les saynètes de son enfance sont aussi les nôtres, son Berry natal ressemble à notre Alsace, notre Lorraine, notre Aquitaine. Devenus adultes, on tond les mêmes pelouses sur lesquelles on organise les mêmes barbecues. « On est tous pareils » chantait-il déjà sur son 1er album, Gargilesse, en 2004. C’est toujours vrai apparemment. L’album dit d’ailleurs aussi la souffrance à trouver sa place, justement, à vivre pour soi alors qu’on se fond tellement dans la masse, parce qu’on a arrêté de se débattre ou parce qu’elle nous avale. Dans « Loin, Montréal », dans « Le Dakota », on se rebelle, plus ou moins bien, on se laisse pas faire, on en paye le prix, on résiste, futilement, magnifiquement aussi.

Aux idéaux de l’enfance comme aux impostures de nos vies d’adultes, Florent Marchet confronte une réalité en forme d’épée de Damoclès. Sur les chansons de Garden Party flotte comme un danger, un parfum d’urgence à profiter d’une époque, à apprécier l’autre, avant que ça s’arrête, avant qu’on parte et qu’on change. Ou avant que la cocotte-minute explose.

Rien d’étonnant à ce que la série du photographe Lee Shulman The Anonymous Projet, dont les clichés illustrent le premier clip extrait de l’album, « De justesse » ait été l’une des grandes sources d’inspiration de Garden Party. Des instantanés, de l’intimité, des inconnu·e·s sans prénom mais qu’on connaît si bien.

Depuis ses débuts, Florent Marchet attrape les clichés et les transforme en vérité. Comme les visages de l’Anonymous Project, comme ceux des photos de Martin Parr aussi, il imprime sur ses chansons bienveillance, humour et honnêteté. Il n’a pas besoin de punchlines pour être percutant. Ses mots justes sont souvent simples, de cette simplicité que les plus grands atteignent, après vingt fois sur le métier avoir remis leur ouvrage, de Renaud à McCartney, de Souchon à Anne Sylvestre. Toutes celles et ceux qui ont compris qu’il valait sans doute mieux rester simples pour parler de la complexité même, de la grandeur et de la décadence des êtres, capables du pire comme du meilleur, souvent moyens, parfois sublimes.

Photo en une : Florent Marchet © Marie Rouge

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