« Toujours placé, jamais gagnant. ». Dans une scène hip-hop où l’esprit de compétition a toujours été placé en valeur centrale, cet adage sportif aurait pu s’appliquer au duo Fixpen Sill. Alors qu’ils étaient quasiment sortis des radars, ils ont préparé minutieusement leur retour pour sortir FLAG un album soigné, s’appuyant sur leurs différences pour sortir une œuvre commune.
Lorsqu’ils se rencontrent à Nantes au début de la décennie, Kéroué et Vidji ont déjà constitué leur duo quand ils se retrouvent dans le projet 5 Majeur, avec notamment un certain Nekfeu, qui donnera lieu à un EP et un album, Variations. S’ensuit un EP sorti de leur côté, avec au passage un feat avec JeanJass, puis un nouveau projet en 2014 : Fixpen Singe, fusion de Fixpen Sill et du projet Le Singe Fume sa Cigarette, porté par Caballero et Lomepal. Puis, en 2016, ils sortent leur premier album, Edelweiss, qui jouit d’une certaine reconnaissance, grâce à certains morceaux très aboutis, comme « Tel Quel », « Edelweiss » ou « Après moi le déluge ». Pourtant, rien qui ne leur permette de percer à un moment où le rap francophone – notamment porté par leurs partenaires d’antan – est en train d’exploser ; et ce n’est pas l’EP A4637 qui changera la donne. Alors pourquoi ce nouvel album FLAG devrait les amener, cette fois-ci, vers les rives du succès ?
Depuis leurs débuts, le duo a toujours eu une réputation d’être un groupe qui faisait du rap à l’ancienne, qui savait kicker et se refusait à dériver vers la trap, le cloud rap et des effets technologiques trop audibles. Sur ce nouvel album, ils auraient pu garder la même recette et conserver un succès d’estime auprès de puristes auto-proclamées. Mais ils livrent un album charnière, un pied dans le passé, l’autre dans le futur, tout en regardant droit vers l’horizon.
D’une certaine manière, FLAG est en premier lieu un album de retour aux sources, sur les terres finistériennes où ils ont traîné leurs sneakers durant leur jeunesse. Cela s’affiche clairement avec cet artwork basé sur les signaux maritimes et avec le clip de « Le Piège », tourné dans leur région. Cela peut être perçu comme anecdotique mais revenir sur les terres de son enfance a toujours été propice à l’introspection et aux réflexions sur le temps qui passe et les actes manqués. Le duo est conscient d’être resté à quai quand certains de ses anciens comparses faisaient flamber les plateformes de streaming « La bande s’efface sur la cassette/Quoi faire de tout ce talent gâché ? », « J’suis dans l’18 à faire des tours avec un pote en bagnole, ouais/J’me demande tout c’que ces zéros sur un chèque occasionneraient » se questionne Kéroué sur « Le Piège » et « Drôles d’histoires ». Dans ces conditions, la tentation est forte de rester bloqué dans cette mélancolie brumeuse qui empêche d’avancer. Pourtant, lucides sur le fait que cet album constitue quasiment leur dernière chance, ils souhaitent tout donner, sans se renier, comme ils l’expliquent notamment sur le puissant « Attila » ; même si pour l’instant, ils ont plutôt une vie d’apparents galériens (« Deux fois trois clopes sur le tableau d’bord de la Clio/Eh, j’pense à quand j’aurai les moyens d’rire de cette vie » lâche Vidji sur « Mes Clopes »).
Cette sensation d’être à la croisée des chemins transparaissait déjà en conclusion de leur dernier album dans « Après moi le déluge », mais plus que jamais, Fixpen Sill joint le geste à la parole. Depuis leurs débuts, Vidji s’est toujours chargé de la production. Néanmoins les morceaux avaient plutôt tendance à mettre en valeur Kéroué, naturellement plus à l’aise pour rapper. Sur FLAG entièrement composé et enregistré dans leur appart montreuillois, Vidji a pu prendre plus de libertés : les prods sont plus complexes, son écriture est plus directe et l’autotune lui permet d’enrichir les mélodies sur ses couplets. Quant à Kéroué, il a toujours son flow très rentre-dedans – qui apporte le piment nécessaire – mais il alterne également avec les passages chantés, apportant plus d’ampleur à ses couplets, comme sur « Bye Bye » en feat avec Lomepal. Par ce nouveau processus, chaque morceau est pensé comme un tout au lieu d’avoir une juxtaposition de deux voix aux styles différents sur une prod linéaire.
Qu’on le veuille ou non, le rap a énormément évolué ces dernières années, apportant souvent plus de soin à la forme qu’au fond. En véritable éponge, Vidji recrache les influences du rap actuel mais va bien plus loin et pose ses prétentions musicales sur des morceaux comme « HAYDN » (« Le rap c’est périssable ouais, j’écoute du Bach, j’écoute du Haydn ») dont l’instru est inspirée d’un mouvement du compositeur du même nom ou sur « Juice » dans lequel il rappelle qu’il vient du reggae. Cette influence du reggae explique peut-être la présence de ces basses très rondes et profondes tout au long de l’album, allant même jusqu’à sonner comme de la bass music, surtout sur le très club « Vos soirées », sans doute le morceau le plus osé de l’album mais de fait, un des plus réussis. Même les morceaux plus « classiques » ont ce supplément d’originalité et cette consistante qui font la différence, comme cette production inspirée du blues touareg sur l’excellent « Touareg », en feat avec Népal.
A une époque où l’abondance est faussement synonyme de qualité, ne pas réaliser une sortie d’au moins quinze pistes tous les ans est vu comme un aveu de faiblesse. Fixpen Sill aura pris le temps de soigner les dix-sept morceaux qui forment un album pensé dans sa globalité, guidé par l’envie de bien faire et laissant peu de déchets sur la route. Pour la suite des événements, il n’y a plus qu’à leur souhaiter « bon vent ».
Crédits photo en une : Gerzso Myriem
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