Pour ce premier week-end de 2013, nous avons décidé de nous rendre à Notre-Dame-des-Landes, pour le Festizad. Un festival de soutien à la ZAD, à quelques centaines de mètres des installations de squat. Au programme : autogestion, militantisme, fête et gadoue.
Notre-Dame-Des-Landes en janvier. Taux d’humidité de 98%. Pas forcément les conditions optimales pour organiser un festival en plein air. Sauf que sur la ZAD (zone d’autonomie à défendre), la difficulté ne fait pas peur. Bien au contraire.
On arrive le samedi midi sans trop savoir si le festival a bien lieu. La veille, les forces de l’ordre ont empêché les festivaliers d’accéder au site et bloqué le transport du matériel nécessaire pour monter les scènes. On se gare sur la place centrale de Notre-Dame. Une cinquantaine de punks et teuffeurs s’agglutinent autour du bar/PMU du village. Pour eux, la nuit n’est pas encore terminée. Les moins cramés nous expliquent qu’il vaut mieux lâcher la voiture ici et faire une petite heure de marche pour arriver sur le site du festival. On apprend que la préfecture a finalement décidé dans la nuit de laisser passer les festivaliers pour éviter tout débordement. Le matériel, lui, est toujours filtré. Les premiers concerts n’ont commencé qu’à 1h du mat. La fête, elle, n’a visiblement pas attendu les premières notes pour s’emparer de la zone.
Notre randonnée dans la forêt nous permet de rencontrer une armée de festivaliers répondant globalement au même portrait-robot : look punk, en gris ou kaki, rempli de boue. Accessoires favoris : un chien et/ou un camion. A moins que ce ne soit la bière à la main. L’ambiance est bonne. Ça chante du Gilbert Montagné (bah quoi ?), ça joue de l’accordéon, ça se réchauffe en plein milieu de la chaussée grâce à un feu de camp.
On se dit que ces gens ont du se vautrer volontairement dans la boue pour en avoir autant sur eux. Mais l’arrivée sur le champ nous donne une toute autre explication : le site du festival est une véritable piscine à boue. Impossible de marcher sans s’enfoncer, parfois jusqu’au bassin. On est d’ailleurs plus proche de sable mouvant que d’une simple boue. Joie de l’autogestion, les moins cramés des festivaliers sont déjà à pied d’œuvre pour ramasser un maximum de branches à disperser sur le site pour tenter de limiter le carnage. Quelques bottes de foin arriveront en cours de journée. Vivement que Vinci vienne nous bétonner tout ça pour qu’on puisse profiter pleinement de l’endroit.
En attendant, un cimetière de bottes est construit pour que chacun puisse déposer sa chaussure orpheline (beaucoup ont perdu une botte, impossible à sortir de terre). On croise des gens pieds nus, ou avec des sacs plastiques comme chaussures, marchant en quête d’une solution pour passer la nuit décemment. Dans la forêt, la vision de ces éclopés/zombies couverts de boue donne une couleur très « guerre des tranchées » à cette ZAD.
Pas d’entrée, pas de sortie, pas de barrière, pas de sécu. Rien. Le festival était totalement ouvert et gratuit. Enfin, à prix libre, puisqu’il était possible d’aller à une table d’information pour donner de l’argent en soutien à la ZAD. Même chose pour le bar et la cantine où tout était à prix libre. Il était en revanche conseillé de ramener un maximum d’éléments sur place : tente, duvet, nourriture, boisson ainsi que verres, sacs poubelle et même son cendrier. L’avantage, c’est qu’on a pas à se prendre la tête pour savoir comment faire passer la bouteille de vodka.
Autre particularité : impossible de savoir quel groupe allait jouer à quelle heure, quel jour où même sur quelle scène. L’événement se voulait un prétexte pour lutter de manière festive contre le projet d’aéroport. Les artistes passaient au second plan, derrière le soutien aux militants en lutte depuis des mois. Pourtant, au sein même des Zadistes, l’évènement ne faisait pas consensus. Les opposants à la tenue de ce festival craignaient que certains ne respectent pas leur lieu de vie. A tel point que des affiches déconseillaient très fortement (à défaut d’interdire formellement) aux festivaliers de se rendre sur les différentes zones de la ZAD.
Au fil de la journée, et à l’approche des premiers concerts, le public se fait de moins en moins uniforme : plus de familles et plus de jeunes roots. On croise ainsi une famille sur 3 générations, tous bien habillés, cherchant l’accès le moins accidenté, puis quelques mètres plus loin, des têtes brulées qui organisent une mini guérilla à base de boules de boue. Mais tout ça se passe dans une ambiance bon enfant et festive. De tout le week-end, on entendra pas la moindre personne se plaindre de la boue ou de l’organisation quelque peu bordélique.
Niveau concert, le début de soirée sera particulièrement chaotique. Des artistes se produisent sur la « grande » scène, parfois pour moins de 20 minutes. Le son est plus que moyen, quand son il y a (nombreuses coupures de courant). Personne ne sait qui joue et qui va jouer. Mais au fond, tout le monde s’en fout. Lorsqu’il n’y a pas de son, le public entonne du « Mort aux vaches ! Mort aux condés ! » de Parabellum puis « Les rues de Panam » des Ogres de Barback. Et puis, pas mal de monde commence à réclamer la venue de Keny Arkana. La Marseillaise est présente depuis quelques heures sur le site. Dans l’aprèm, elle s’est même rendue sur le site de la ZAD pour apporter son soutien. C’est la seule « tête d’affiche » à ne pas avoir annulé sa venue. Et visiblement, une grande partie des festivaliers l’attendait de pied ferme. Vers 23 heures, les groupes Unité Mau Mau puis La Jonction se chargent de chauffer comme il se doit le public avec leur hip-hop enragé. Quand Keny Arkana arrive pour prendre la relève, c’est du délire et plus personne ne pense à la boue qui s’entasse petit à petit sur ses affaires. Fumigènes, cris, sauts de partout. L’engouement est tel que certains crient « Pas de starification ici, pas de fan attitude !«
https://youtu.be/cZ4AjjebDVU
Sans surprise donc, le concert sera un enchaînement de titres ultra-efficaces. De nombreux festivaliers connaissent les paroles sur le bout des doigts. Même les titres du dernier album, particulièrement mielleux et décevants (hormis son très bon Indignados), font mouche. Si engagée et enragée soit-elle, on ne pensait sincèrement pas que Keny Arkana avait un tel succès. Surtout auprès d’un public pas forcément hip-hop. Son tube La Rage terminera le concert dans un délire total.
A la fin du concert, dispersion générale : certains rentrent chez eux, d’autres filent au bar. Les plus excités vont sur la scène techno qui balancera du son bien violent jusqu’à 8 heures du mat’. Au final, pas le moindre incident. La ZAD annonce 20 000 festivaliers pendant que la préfecture n’en compte que 8 000. Qu’importe. Vu le terrain, vu l’organisation chaotique (bien que motivée) et vu les blocages opérés par les forces de l’ordre, le succès de ce FestiZAD ne fait aucun doute. Tout le monde est sûrement bien content de retrouver un lit bien chaud (et sec). Peu seraient prêts à refaire un tel week-end dans les semaines à venir. Mais personne ne semble regretter sa venue. Les Zadistes, les vrais, retrouvent désormais leur forêt, leurs cabanes et leur tranquillité.
Crédits photos : Le cri des peuples et Le Télégramme
0 commentaire