Propos qui dérangent ? Discrimination ? Coup du destin ? Beaucoup de raisons peuvent expliquer l’incapacité d’un·e artiste à entrer dans la postérité. Autant de raisons qui n’ont parfois rien à voir avec la qualité ou l’ampleur de l’œuvre en question. La chanteuse, musicienne et militante Colette Magny fait partie de ces oublié·es et son œuvre considérable a encore trop à nous apprendre pour être réduite au silence.
Colette Magny est née en 1926 à Paris d’un père épicier et d’une mère qui deviendra comédienne. La vie professionnelle de la jeune femme est marquée par un poste de dactylo bilingue pour l’OCDE, qu’elle finit par plaquer ainsi que tout le reste pour placer le chant au centre de sa vie. Alors que son obésité semble être un handicap à sa reconnaissance dans les modèles alors en vigueur, les standards negro-spirituals, jazz et blues qu’elle interprète permettent à son timbre et sa personnalité de s’exprimer. On peut citer les classiques « Saint James Infirmary » ou « My heart belongs to daddy », résultats de réelles prouesses vocales ou encore la reprise vibrante de « House of the rising sun » qui illustre ses qualités vocales démentes.
Quand Melocoton sort en 1963, ni plus ni moins que son premier album à succès auprès du public et classé au hit-parade, Colette Magny cherche à se renouveler et son engagement politique l’éloigne peu à peu des rayons du showbiz.
Son éveil militant démarre quelques années plus tôt, aux alentours de ses 30 ans – il n’est jamais trop tard pour essayer de comprendre – alors que l’Algérie et le Vietnam font tour à tour couler de l’encre, en France et ailleurs. Sa voix et ses chansons se joignent aux révoltes de mai 68, certaines réunies dans l’album Vietnam 67 – Mai 68. Magny reprend aussi des chants populaires tels que « Gracias la Vida », véritable hymne chilien que Joan Baez s’approprie également, de l’autre côté de l’Atlantique où les luttes ne manquent pas non plus, entre ségrégation raciale et violences policières. Mais si elle est reconnue et très respectée dans les milieux militants, les médias ne lui offrent que peu de visibilité, hormis quelques interviews, dont l’une réalisée en 1977 et disponible sur l’INA. À l’occasion de cet entretien, elle rappelle sa liberté artistique, et prône son indépendance en ne se revendiquant d’aucun parti politique. Jusqu’à sa mort à la fin des années 1990, Colette Magny exprime son indignation dans les usines en grève, les maisons des jeunes et de la culture ainsi que dans de nombreux rassemblements politiques.
Néanmoins, son œuvre continue de se diversifier : elle multiplie les hommages aux grands poètes français et chante Aragon, Rimbaud, Hugo, Verlaine ou encore Louise Labé. Chanter la poésie, c’est donc la rendre accessible, surtout lorsqu’on mesure le gouffre qui sépare le grand public des soirées poésie plutôt très élitistes. Au cours de sa carrière, Colette Magny partage sa passion aux côtés de nombreux autres artistes : Catherine Ribeiro, Ernest Pignon-Ernest, Léo Ferré, Bernard Lavilliers…
Libre-penseuse ayant près de 12 albums à son actif, prenez ce papier pour la faire revivre un instant. Il faudrait plus d’un article pour rendre hommage à cette femme au talent incontestable mais aux convictions incompatibles avec la bien-pensance de certaines grandes maisons de disque d’hier et d’aujourd’hui. En 1989, invitée par Aline Pailler pour l’émission Paroles de femmes, elle évoque notamment le fait qu’on lui reprochait, dans ses chansons politiques, des thèmes jugés « antipoétiques » tels que l’usine.
Son combat s’est prolongé jusqu’à la fin de sa vie et elle lèguera ses droits d’auteur à la Fondation de France pour contribuer à la lutte contre le sida. Que faire de plus sinon vous inviter à écouter et réécouter Colette Magny ?
Céline Fabre
Photo en une de JPRoche
Merci pour votre retour ! Si vous ne l’avez pas vu, il y a aussi celui ci : https://sourdoreille.net/une-autre-carmen-a-marque-lhistoire/
Article impressionnant et complet, une écriture claire et sympathique à lire. La voix des Femmes et de la sagesse féminine pour mener le Monde et en faire un endroit de Paix et de Justice doit resurgir (Nous sommes fans de Greta Thunberg). On attend d’autres articles du même style Sourdoreille! Quant à ce premier article, à partager sans modération sur tous les réseaux sociaux! Bravo Sourdoreille! Continuez!