Le 8/6/2017, 18h45, dans la rue des Petites Écuries, 10ème arrondissement de Paris. Aux abords du New Morning, deux heures avant la montée sur scène du groupe de rap qui a fait le bonheur de tant de voisins dans les années 2000, les troquets sont pleins, les clients tout autant. Les enseignes des bistrots dégueulent de monde avant la grande braderie des dignités. Les uns, la poigne forte et assurée autour d’un gobelet en plastique discutent avec les autres tenant leur canette comme à la prunelle de leurs yeux.
Des mots reviennent à l’esprit : Bavaria, Ponk, Maximator, Krevard, Heineken, Youte, Kro… Certains, attendant leurs acolytes, se laissent aller à une Leffe ou une inoffensive Hoegaarden, la casquette cloutée sur la tête, une chaussure appuyée au mur.
C’est que le public des Svinkels n’est pas vraiment celui auquel on peut généralement s’attendre devant la mythique antre du jazz parisien. Avec quelques kilos en bas du ventre et deux poches sous les yeux, tout au plus, ils sont restés les mêmes. On croise des looks de zadistes, de vieux punks, de roots, de lycéens dont on devine qu’ils doivent être adultes, bref, pas trop le public de rap habituel, non plus. Gérard Baste se rappelle ceux qui les ont suivis depuis le début : « À l’époque, tous les skateurs, tagueurs, teufeurs, squatteurs, branleurs s’y sont retrouvés. » Les metalleux venus en nombre nous rappellent aussi que Gérard Baste a réussi le relatif petit exploit d’être programmé au Hellfest cette année.
Svinkels – Krevard
Avant l’entrée dans la cage aux lions, il fait déjà 28°C dehors et 30°C à l’intérieur. Sans public. Quand les portes s’ouvrent, la tension n’est pas palpable. C’est plutôt l’envie d’en découdre qui domine. L’offre gratuite d’un galopin à tous les entrants ne fait qu’augmenter la condensation de la sueurs de centaines d’âmes.
Les pionniers du rap pavillonnaire
Le 8/6/1997, les Svinkels sont trois jeunes branleurs plein d’enthousiasme. Nikus Pokus, Mr Xavier et Gérard Baste montent ce jour-là sur la scène du New Morning. Le line-up de la soirée n’est pas dégueu : Sept, un groupe de fusion, Trankilou, le duo entre Pepe Bradock et Ark à la pointe de la french touch un peu spé, Ludovic Bource (The Artist, OSS), Vince, à la basse du Dirty Centre Orchestra, Faster Jay d’Alliance Ethnik. Ce jour-là, dans la fosse, DJ Pone a alors 19 ans et réussit à ramener ses potes pour aller voir les Svink’ : « Dans ma bande de potes, on était tous des mecs de banlieue à graffer, faire la teuf et écouter du rap à la House of Pain, Cypress Hill et NTM. Quand les Svinkels sont arrivés, ça nous a parlé direct. Un quotidien à boire des coups, fumer des oinjs, se mettre des gros cartons. » 20 ans plus tard, c’est sur la scène, aux platines, qu’il retrouve la salle.
Aussi brutes que des nouvelles de Charles Bukowski, les bastons en moins, les paroles des Svinkels racontent alors une histoire du rap, et du punk, et de la picole d’ados, et de la vie. Une autodérision qui tranche à ce moment-là avec le rap en vigueur. On entend alors à droite à gauche que les Svinkels ne pourraient pas être pris au sérieux par le rap parce que, semble-t-il, ils ne prendraient pas le rap au sérieux. Pourtant, si on se penche bien dessus, le groupe n’est pas vraiment ce qu’on pourrait appeler un groupe de trolls du rap. Leur quotidien est simplement raconté sans la part cinématographique et dramatique de l’art et ses fioritures. Brut de décoffrage. Simplement bête, simplement tendre, simplement vrai. Et putain de bien écrit.
Svinkels – Cereal Killer
Au milieu des années 90, quand l’équipe-type des branleurs du Svink’ se réunit pour composer ses chansons d’intérêt général, ça n’est pas du bas d’une tour. Gérard Baste y fait d’ailleurs écho : « C’était un peu risqué pour nous de représenter une certaine middle class. » Dans le rap très codé et relativement jeune en France, le droit de parodier, d’élargir ou de changer de discours n’est pas encore accordé aux groupes qui vont devoir eux-mêmes l’obtenir. Nikus Pokus le résume par : « À l’époque, c’était les immeubles sinon rien. » De son côté, DJ Pone met en perspective ce groupe pas si commun qui l’a accueilli à cette époque : « C’était un peu chaud. Les Svinkels, avec TTC ou d’autres étaient les premiers à se défaire de ça, à pouvoir faire du rap du 4ème arrondissement. »
Un phénomène pas fréquentable
Puis, 2003 est arrivé. Les Svink’ connaissent jusque-là une espèce de progression constante. Jamais d’explosion soudaine. Mais avec Bons pour l’asile, leur second disque (après Tapis Rouge), ils créent un certain emballement. Nikus Pokus se rappelle : « On avait signé un gros contrat avec Virgin » ce qui fait passer le groupe dans la dimension des grosses salles et des festivals. Pone se souvient d’un épisode pas vraiment marrant dans la carrière du groupe : « Il y a eu l’infarctus [de Gérard Baste] qui nous a stoppés. Et quand il est remonté sur scène, on s’est rendus compte que tous les gens connaissaient les paroles par cœur. La première date, c’était au Ninkasi Kao. On avait qu’à tendre le micro dans la foule pour entendre les textes. Pour la première fois, c’était la messe. À partir de là, honnêtement, on a tout arraché. »
Les Svinkels délaissent alors les vieilles recettes pour les laisser aux autres, les Ludwig von 88, les Bérurier Noir, très adeptes des shows taille XXL : « Quand on regarde dans le rétro, ça a pris un coup de vieux parfois. On faisait des costumes, des décors super travaillés. On aimait bien, mais très vite on s’est rendus compte – en regardant les Beastie Boys notamment – qu’il fallait arrêter les costumes, les masques. »
Svinkels – Bricolage
https://www.youtube.com/watch?v=M0kEL1gbG1I
En 2004, Svinkels se paie la tournée des grands ducs avec les Vieilles Charrues, les Eurockéennes et d’autres grandes salles. Et devient le phénomène de l’année. À ce stade, tous les lycéens en entendent parler. Tous les types qui savent rouler les citent au mot. Tous les jeux d’alcool prennent une saveur particulière, celle du Ponk. Et tous les lendemains de cuite prennent une forme effervescente, celle d’un Alka Seltzer. Pour cette année 2004, les Svinkels ont une punchline que nous confie Nikus Pokus : « On appelait ça l’été en pente dure » (en référence au film du presque-même nom).
Puis, un troisième album, Dirty Centre, lancé comme une réponse (parodique ou pas) au Dirty South et au crunk d’un Lil’ Jon, qui a probablement un peu plus mal vieilli que les deux précédents albums (quoiqu’un morceau comme « Dirty Centre » reste un hymne par chez nous). Et enfin, dix ans de silence collectif.
Les Svinkels, un groupe sobre
La légende des Svinkels est aussi celle de la picole. Dix ans (et plus pour Gérard Baste) à noircir les pages de centaines et milliers jeux de mots liés à l’alcool et la défonce. Oui, c’est un métier, madame. Cette ode, largement récupérée par ses fans, a participé à rendre le Svink’ sympathique. Sans le connaître, on l’aime bien, parce que c’est un peu nous et nos potes en gueule de bois constante. À travers cette attitude et ses textes, il a aimanté en totale connaissance de cause une armée d’insatiables gueuleurs, de fans de la surenchère, de vieilles poches intarissables. Ce que Gérard Baste confirme par l’anecdote : « Ils nous huaient quand on buvait de l’eau sur scène. »
DJ Pone ramène pourtant à la réalité les divers exploits de son groupe : « Les gens fantasmaient beaucoup sur cette idée. Monter complètement raides sur scène, ça ne nous est jamais arrivé. On a déjà été un peu éclatés mais le show était tellement dense que ça n’aurait pas été possible. » Un groupe finalement tempéré, au mot jamais plus haut que l’autre, qui s’amuse un peu comme tout le monde ? Hmm. Bon, Gérard Baste tempère son comparse : « En fait, c’était : « Pour nous, on y est allés mollo » mais en fait, c’était pas très mollo. Par rapport à un gars un peu normal, c’était déjà un peu tendu. Mais contrairement à pas mal de rappeurs ou de chanteurs, on n’a jamais menti à personne là-dessus. »
Svinkels – Alka Seltzer
Ce qu’on a appelé le rap bourré ou le rap de foncecars a depuis fait des émules chez les jeunes. Jules Gondry alias Julius est le vidéaste qui suit Vald, Alkpote, Biffty et toute une nouvelle génération de rappeurs à l’attitude punk, qu’ils nomment la Souye. Ce type hilarant que vous pouvez trouver devant ou derrière la caméra dans une bonne tapée de vidéos ne sort pas complètement de nulle part. Son père était bassiste dans le Ludwig Von 88, un groupe que les Svinkels connaissent bien pour les avoir souvent croisé et suivi dans les années 2000. Pour la bande de potes de Julius, ce sont tout simplement les parents qui ont fait écouter les groupes de rap alternatif à leurs enfants. Gérard Baste nous l’avoue : « C’est un peu nos fils spirituels, ils font d’ailleurs de temps en temps référence à nous dans leurs morceaux, et Biffty est sur mon skeud. » Alors, la Souye est-elle le futur du rap bourré ? La question n’est pas vraiment là, elle est tout au mieux une déclinaison d’un art populaire de la foncedé et du mot qui claque. De plus, aujourd’hui, la défonce est largement banalisée dans les textes de rap : « Au collège aujourd’hui, les jeunes, ils prennent du sirop à la codéine avec des bonbons », foi de Baste.
Le symbole des crevards : la 8,6
La carrière des Svinkels est surtout étroitement liée à une marque. Adidas ? BMW ? Jack Daniel’s ? Ah ah. Non. Bavaria. Et particulièrement la 8,6. Avec cette fête programmée un 8/6, Svinkels célèbre une énième fois la plus fameuse bière de zonards lancée par Bavaria en 1994 via sa filiale française. Quand le groupe monte sur la scène du New Morning en 1997, la 8,6 commence à devenir dans la culture populaire bien plus qu’une boisson, mais un symbole de la dèche, de la traîne, d’une street culture. Ses hommages répétés par un Doc Gynéco qui chantait déjà en 1996 : « Dans ma rue, à chacun ses délices, à chacun sa 8.6 » (« Dans Ma Rue ») à un Orelsan en 2011 : « Sortez les 8.6 on vient fêter la fin du disque » (« Raelsan ») la consacrent au-delà des espérances du brasseur néerlandais.
Quand DJ Pone nous confesse que pour lui, « c’était la bière des cailleras », Gérard Baste en vient aux faits : « C’est la bière fauchée. T’en bois une, t’es chaud, t’en bois deux, t’es complètement bourré. »
Svinkels – Réveille le Punk
Les membres du Svink’ deviennent alors pipelettes quand il s’agit de raconter des anecdotes liées au brasseur qui a donné son nom au groupe et tapé sur tant de fronts trop peu préparés au tohu bohu qui s’annonçait. Lorsque les lascars atteignent la première petite gloire de signer leur gros contrat chez Virgin, voilà ce qui leur arrive : « Le jour où est entrés pour signer le contrat, ils avaient pas acheté du champagne, mais des 8,6. On leur a dit : ‘Putain les gars, vous auriez pu amener du champagne !‘ et ils ont répondu : ‘Bah on pensait qu’ça vous ferait plaisir’. »
Si depuis 8,6 a largement rendu au Svink’ ce que le Svink’ avait donné en sueur et en bons mots pour 8,6 (la marque leur a notamment fait savoir que « l’héritage qu’on a de vous est complètement fou »), ça n’a pas toujours été le cas. Gérard Baste se souvient à ce propos du concert au New Morning, il y a exactement 20 ans, en 1997 : « On avait contacté Bavaria pour avoir des goodies. Ils nous avaient dit : ‘Écoutez, on a un peu de matos pour vous, mais vous ne le mettez pas trop en avant, c’est un peu secret mais on essaie de se positionner gastronomique.‘ C’est comme si un jour le guide Michelin était tenu par tous les clodos de Châtelet. » Une histoire qui provoque naturellement un fou rire généralisé en loge.
Relent de soirée
Le 8/6/2017, le New Morning a souhaité un joyeux anniversaire à toute une génération. Une génération qui, aux dires de quelques fins analystes des années 2000, était pourtant bel et bien foutue. Ses protagonistes sont en face de nous. À 21h passées, le DJ set de Dr Vince n’est pas encore terminé mais chaque personne dans le public a reçu en moyenne trois pintes de rosé sur ses fringues trouées, a participé au pogo permanent de milieu de fosse et a une chance sur cinq d’avoir tenté un slam.
À force d’être utilisé à tort et à travers, le mot « déchaîné » pourrait ne pas avoir la saveur qu’on voudrait lui infuser. Alors, très sobrement, on s’arrêtera sur ce constat qu’on vous laisse en guise de report de concert : le public était en état scission interne foudroyante, comme si chacune des parties du corps des personnes présentes tentait désespérément de s’échapper, mais se heurtait aux parois caoutchouteuses des peaux salies par la vinasse renversée. Au fond des yeux des participants, on ne pouvait rien lire parce que le langage de l’instant est illisible pour l’être humain. La suite, on vous laisse l’imaginer. Peut-être avec un Olympia en avril 2018 ?
Crédits photos : Non2non
Franchement j ai raté leur retour, ça me donne envie de le prendre, 44 ans, fan absolu, ont ils prévu d autres dates svp…
Un Olympia en avril 2018.