Le petit blanc du 19ème qui paradait avec son sourire de gamin insolent est de retour. Rappelez-vous, c’était 2011 et les Rap Contenders s’agenouillaient devant le membre de L’Entourage, sautaient et beuglaient devant l’enfant prodige. Sept ans après, Jazzy sourit toujours et, parce que ça lui réussit bien, il s’affiche avec des zygomatiques plus musclés que ceux du Joker.
Alors, le rendez-vous est pris pour parler musique. On le voit débarquer au Café A, bar branchouille à deux pas de la Gare de l’Est, à Paris. Dans cet ancien couvent reconverti en temple du menu gourmet et de l’afterwork dégoulinant, Jazzy est à l’aise. En fait, Jazzy est à l’aise partout. Et si sa nonchalance n’a d’égale que la rapidité de son cerveau affûté, on doit dire qu’il a pris le temps de parler, pesant chacun de ses mots. Au détour d’une phrase, il se fait appeler Monsieur Bazz par un jeune serveur, semble-t-il ravi de faire un sandwich au jambon de parme à son héros du verbe.
Le garçon qu’on rencontre n’est plus totalement un garçon. A l’approche de la trentaine, en survet’ casquette, Jazzy Bazz sort son second disque, quatre ans après P-Town qui l’avait révélé au grand public en solo. Cet ultra parisien fan de Kubrick et Lynch, Magritte, Camus et The Handmade’s Tale, a écrit, écrit, tourné, connu des insomnies. On peut le voir tard le soir à la lueur d’une bougie, avec ses musiciens Loubenski, Monomite et Benjamin Benamou, ou encore ses potos de L’Entourage, jamais très loin. Jazzy, Nekfeu, Alpha Wann, Deen Burbigo, une génération de Jeunes Entrepreneurs qui a cassé la vitre du rap par des mots collés les uns aux autres.
On a donc discuté de l’importance de rester grouper, on a tenter d’élucider certains mystères de l’écriture et de la création, dressé des analogies douteuses entre la sortie d’un album et une séance de psychanalyse, parlé de la nuit, doux moment suspendu libéré des chaînes du jour, et enfin parlé d’indépendance, et de la chance de vivre de sa propre musique. Son nouvel album Nuit étant sorti le 07 Septembre 2018 chez 3,14 Production / Idol, on a volé une demi-heure au temps. Voici la retranscription de cet entretien.
Interview de monsieur
Jazzy Bazz
On voit bien avec les collabs de L’Entourage sur ton nouveau disque que les liens sont toujours forts. Où en est le collectif aujourd’hui ?
Rien n’a changé. On est un collectif de 10 rappeurs, chacun peut lancer ses propres projets et a la liberté totale de faire ce qu’il veut en solo. On a sorti le disque Jeunes entrepreneurs en 2014, avec l’idée qu’il y en ait un autre un jour, mais rien de pressé. On défend la même bannière.
Quel regard tu portes sur l’évolution de ce collectif ?
On a parcouru un petit chemin. C’est déjà sympa ce qu’on a pu faire et vivre. Dans nos têtes, c’est que le début. On essaie de rester humbles. On a du pain sur la planche, le meilleur reste à vivre.
En bossant sur ton nouveau disque Nuit, t’es-tu rendu compte que tu arrivais à dire des choses que tu n’arrivais pas à dire par le passé ?
Non. Je ne me suis jamais posé cette question. J’essaie que les textes soient proches de moi, et où j’en suis. Je fais un point sur moi-même. Parce que oui, on change, on grandit, beaucoup de choses arrivent entre deux albums. Mais j’aime aussi me rendre compte des choses qui n’ont pas changé pas en moi. L’enjeu de l’écriture, c’est d’être toujours fidèle à soi-même. Le Jazzy Bazz de 2012, il est mort et enterré. Maintenant c’est le Jazzy Bazz de 2018. J’explore de nouvelles méthodes, des thèmes. D’ailleurs, si tu les vois très larges les thèmes, c’est toujours l’amour, l’egotrip, la révolte. Et à l’intérieur, il y a toujours des dérivés, des sous-dérivés en fonction de chaque personne. Tu peux faire un thème que tout le monde a abordé mais de façon très originale.
Faire un disque, c’est une psychanalyse ?
Grave. C’est pas forcément pour le mettre sur le papier d’ailleurs. Le rap est très personnel, on parle beaucoup à la première personne. Moi je, moi je. Et pas dans le sens péjoratif. C’est autocentré. Même si certains rappeurs se mettent dans la peau d’un personnage, c’est forcément en réaction à cette réflexion. C’est sain. C’est pas donné à tout le monde de réfléchir sur soi-même.
Alors, en plus tu as nommé ton disque Nuit. Les liens entre la création et la nuit sont nombreux. Quel est le tien ?
Les moments où une magie rentre dans le studio, c’est toujours au plus profond de la nuit. Ça te tombe sur la gueule, tu t’y attends pas. J’ai un souvenir nocturne à te raconter, ça concerne le morceau « Sentiments » avec Lonely Band. C’est Monomite qui nous avait proposé de rapper à deux sur sa prod. On a dit carrément. J’ai proposé à Lonely Band : « Viens, on ne réécoute pas cette putain d’instru, tu passes à la maison dans 15 jours et on s’y met. » Il est venu un soir vers 22h, et je lui ai dit : « Viens on fait un son à la Diam’s et Vitaa ». C’était ma référence. Ce son est génial parce qu’il est super direct. C’est ultra « écriture-automatique » c’est même plus du rap, c’est du parler qui glisse bien. Comme on a tendance à trop complexifier les sons, cette ref assez lointaine était parfaite. Ce qui fait que tu ne comprends rien au thème de ce morceau à la première écoute, et après ça vient. On tenait un truc nouveau, pour nous en tout cas. Dans ce genre de moments, t’as pas envie de lâcher et de te coucher. Du coup, on l’a fini à 2h, on a appelé les gars au studio, on est arrivé au studio à 3h, on a enregistré, on a peaufiné… et on a fini à midi. C’est important de capturer l’instant.
C’est une technique comme une autre ?
On parle souvent des techniques des rappeurs, des multi-syllabiques, etc, mais ça aussi c’est une technique. Ne pas avoir écouté la prod, c’en est une autre. C’est la nuit qui te porte. La création, au début c’est dur, tu la subis, et tu débloques, t’as repris de l’énergie. Comme la fatigue, la faim ou même l’envie de chier, il y a toujours un moment où ça passe.
On n’est pas dans le concept album ?
Ah non pas du tout. Et je ne me suis pas dit « Ah j’adore la nuit, nique sa mère le jour ». En fait, il n’y a rien d’original à parler de la nuit. C’est un thème omniprésent. Chez beaucoup de gens qui créent, c’est récurrent. Mais c’est ma vie, c’est ma réalité. Et je ne sais pas pourquoi c’est une réalité chez beaucoup de gens qui créent. Ma cover, elle me fait penser à Magritte. En peinture, j’aime beaucoup la nuit. J’ai jamais su pourquoi. Les ambiances nocturnes de David Lynch, genre dans « Blue Velvet »… pfff.
Comment ça se fait que la création soit un animal si nocturne ?
C’est hyper intéressant mais je ne saurais pas y répondre. Mais j’aimerais bien qu’un expert intervienne dans le papier et nous dise pourquoi (plus tard, promis, ndlr). En tout cas, c’est un moment de liberté, la nuit. Déjà à l’école, si j’avais pu faire ce que je voulais, je me serais toujours levé à 13h et couché à 6h du mat. Maintenant, j’ai la liberté du branleur, j’adopte ce truc qui peut paraître laxiste, je vis différemment. L’école nous a poussés à accepter ce cadrage – qui est bon pour le corps hein, il faudrait se coucher à 22h et se lever à 6h – mais c’est aussi pour te donner cette habitude de la vie active, alors que c’est pile à un moment où tu voudrais profiter du calme, de la nuit avec tes potes, tranquille, sans voir le temps passer, sans avoir peur du réveil du lendemain.
Tu arrives à vivre de ta musique depuis longtemps ?
On a toujours vu l’argent rentrer avec le rap, donc tout de suite, on a pu en profiter. C’est une grande chance. Il y a beaucoup de rappeurs qui ont un boulot à côté. Moi, je suis en indépendant. Mon cas de figure, c’est que j’investis sur moi-même. Dès qu’il y a une rentrée d’argent, elle est réinvestie. Tout ça pour pouvoir rivaliser avec les mecs les plus pros qui des fois ont des investisseurs, des majors, des moyens. C’est beaucoup d’argent de faire un, deux ou trois très beaux clips. ça va vite. La production d’un disque, ça va vite aussi. Ce que je veux te dire, c’est qu’on ne s’enrichit pas. Mais j’en vis, je suis entrepreneur, ce qui veut dire que je fais ce que je veux et que je crois en moi. Et si j’arrive juste à me maintenir dans le temps, c’est déjà gagné. Si on gagne un gros pactole, on ne crachera pas dessus, mais pour l’instant c’est pas le cas.
Crédits photos : David Delaplace
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