Amenra nous est tombé dessus comme le ciel sur la tête, une après-midi de juillet 2014, sous un chapiteau du festival Dour, alors qu’on peinait encore à ramasser les miettes de notre cerveau, meurtri par les élixirs de la veille, trouant et bullant sur les planches de bois au sol. En 2017 au même endroit, la tribu belge en remettait une couche en marquant le concert le plus intense de la dernière édition. Ça valait bien quelques questions.
Psalmodies de prières, messes sacrées et cris à l’agonie, notre petit doigt coupé en deux nous dit qu’Amenra est de retour du bois. Bah alors, les indie rockeurs et le premier rang du come back de la variété française, on est où ? Où qu’il est l’amour du risque et de l’humilité quand vous faites face au dos d’un chanteur en douleur qui n’a même pas besoin de surjouer l’horreur?
Vous pouvez vous passer des morceaux d’Amenra en lisant, c’est pas interdit hein.
Pardon. Le groupe belge le plus pacifique et honnête de la terre sort Mass VI, le 20 octobre prochain et on n’arrive plus à se tenir. Pas de conte, pas de personnage, Colin H. Van Eeckhout, le beugleur torse poil qui sert de frontman (backman ?) ne vous la fait pas à l’envers, ou presque (pardon bis). Il est ici, maintenant, lui-même. Par chance, nous aussi. Alors on a discuté avec lui sur son groupe qu’on aime situer entre post-metal, hardcore et doom en sirotant une Amstel à la paille, en attendant frénétiquement le lancement de la billetterie pour le Hellfest fermée la minute d’après pour cause de sold out annuel.
Mais que nenni. Amenra est tout sauf habitué des cocktails, fussent-ils en rouge et noir. La simplicité est la clé de compréhension de son chantier. Pas besoin de chercher la surenchère d’émotion, la douleur arrive toujours d’elle-même. On a cherché à comprendre nos fantômes, dire l’indicible, toucher l’impalpable. Ça n’a pas fonctionné, mais le principal, c’est qu’on a parlé.
Est-ce que c’est pas ça une vie humaine ? Jacter en prétextant la résolution de nos problèmes, alors qu’en fait on aime tout simplement jacter pour jacter ? Bon.
INTERVIOU
Je me suis toujours demandé : « À quoi bon interviewer des artistes pour lesquels j’ai des émotions brutes et intenses qui pourraient se passer de mots ». Comme c’est pas réfléchi, comme c’est dans l’instant. Mais c’est humain de vouloir en savoir plus, quand on aime. Avec toujours le problème de casser la magie. C’est une tare humaine de vouloir trouver des explications à tout ?
On essaie toujours de trouver des explications. Parfois, c’est très clair dans ta tête, mais quand il faut le traduire en mots, ça devient difficile.
Est-ce qu’Amenra se raconte ?
Oui, j’ai beaucoup raconté. Mais c’est très abstrait, tout le monde doit chercher soi-même ce qu’il prend d’Amenra. C’est universel.
Je partais du principe, probablement faux, qu’un groupe de post-hardcore très abstrait comme le tien, ne se raconte pas. Et pourtant, vous enchaînez les histoires, les interviews, les explications. Tu es à l’aise avec cet exercice ?
Oui, parce que c’est important. Beaucoup de musiciens vont te dire : « Je laisse la musique parler ». A mes yeux, c’est plutôt une manière de se cacher parce qu’il y a probablement il n’y a pas grand chose derrière. Et Amenra, en apparence, on pourrait réduire ça à du métal et des cris, mais il y a une raison, des réponses aux questions, une histoire qu’on essaie de raconter, abstraite certes, mais quand même.
Quelle est l’histoire derrière ce dernier disque, Mass VI ?
C’est la même histoire qu’on raconte depuis toujours. On travaille avec le côté douloureux de la vie. C’est très simple. On prend tout ce qui nous fait mal, on parle des nuages sombres qui planent au dessus de nos têtes, ou de celles des gens qu’on aime. On travaille sur cette lutte avec cet ennemi invisible. Comme une espèce de frustration, de désespoir que tu veux diriger vers un endroit, mais à cet endroit il n’y a rien.
En voulant jouer, artistiquement, sur cette douleur, ça vous arrive de vouloir la rechercher personnellement, l’ajouter à vos vies ?
Non, on n’aime pas cette douleur. Alors on ne va pas la chercher. On attend, et la douleur vient nous voir de temps en temps. Tu le sais. C’est toujours comme ça. Et il y a quelque chose de beau de voir quelqu’un qui a souffert, et qui s’est relevé.
Tu es à l’aise de raconter tes douleurs les plus fortes, tes blessures ouvertes, même en interview ?
Ah ouais, moi, je baisse ma garde à fond. C’est plus inspirant une personne honnête qui se confie à toi. C’est là où Amenra est universel.
C’est un peu à rebours du comportement social basique de notre époque. Aujourd’hui, on a plutôt tendance à refouler nos douleurs, publiquement ?
Carrément, comme sur les réseaux sociaux, tout le monde poste une photo de soi en train de se rigoler. C’est d’un triste.
Et puis, on est à un stade où on a l’impression – souvent vérifiée – qu’on va rapidement ennuyer les gens en parlant de nos problèmes, et qu’on peut facilement détourner du regard devant quelqu’un qui souffre.
C’est le fameux truc du : « Ça va ? – Ouais, ça va et toi ? – Ça va ».
Amenra illustre les dualités entre douleur et amour, lumière et obscurité, vie et mort. Y a-t-il un de ces duels qui vous obsède le plus ?
Pas vraiment, parce que tout est lié. Généralement, on commence nos musiques avec la noirceur et on essaie de finir avec de la lumière.
Est-ce que le processus d’écriture d’Amenra, ce sont d’abord des discussions sur vos histoires personnelles ?
Non, parce qu’on est des amis, on n’a pas besoin de s’asseoir pour savoir comment l’un ou l’autre va. On sait. On le lit sur nos gueules.
Il y a quelque chose de paradoxal : tu fais une musique hyper intense et directe, très circuit court. Et pourtant, via son caractère extrême, elle est une musique de niche, pour initiés. Comment tu expliques ça ?
En Belgique, on n’est pas dans la niche metal. On est vraiment mainstream. On joue dans des grandes salles. On a aussi commencé un chapitre acoustique et là, tu vois un mélange des habituels metal heads, et de temps en temps des gens improbables. Je travaillais pendant un moment dans un magasin et des fois, je rencontrais une personne normale, enfin pas vraiment le type-Amenra, qui me disait : « Rah, c’était cool le week-end dernier ». Et ça, c’est grâce à l’universalité qu’il y a dans notre musique. Quand je suis en train de crier, tout le monde le ressent. Je n’ai jamais eu l’impression que ce soit une niche.
Ben tu vois, à part Gojira, Igorrr, Manu Le Malin, un peu de techno industrielle, et deux, trois autres trucs, on parle rarement de musiques vraiment extrêmes sur Sourdoreille…
Respect maximal pour Gojira. C’est un des seuls groupes metal que j’apprécie, un des seuls trucs contemporains que j’écoute, le reste me fatigue. C’est aussi parce qu’ils sont normaux. Ils sont pas les rois du monde, ils font leur truc, ils le font bien et même mieux que les autres. Fuck off. Respect à fond.
Les trucs contemporains te fatiguent, pourquoi ?
Beaucoup de choses sont tellement vides. Je me dis souvent : « OK, j’écoute du son qui est bien quand il brille, mais qu’est-ce que tu es en train de me raconter ? Rien. Ah ok, cool, merci. » Je donne plus de valeur à la musique, en général.
Tu es super calme. Ça doit étonner pas mal de gens qui te rencontrent après avoir écouté ta musique, non ?
Je suis super zen. Les gens ne s’attendent pas à ce que je sois normal. Ils craignent que je crie.
Tu es dans une posture sans posture. Je suis vrai, je suis là, je suis Colin, je suis comme je suis. Pour toi, c’est le rôle d’un musicien ou le musicien doit surtout créer son personnage ?
C’est différent. Quand tu n’es pas toi-même, les gens regardent un acteur. Je ne suis pas un acteur.
Et hop le nouveau clip.
Amenra jouera le 13/01 à la Gaité Lyrique, Paris.
Crédit photo en une : Stefaan Temmerman
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