Un tube dirigé directement contre une maison de nobles multi-centenaires à plus d’1 million de vues, des frasques régulières contre la famille royale, et un emblème pour les atteintes à la liberté d’expression en Espagne, Valtònyc fait chier la justice et elle le lui rend bien. Entretien et portrait.
Le 30 octobre 2017, la figure de l’indépendantisme catalan Carles Puigdemont quittait Barcelone pour échapper à la justice espagnole. Après des aventures rocambolesques largement relayées dans la presse comme une arrestation en Allemagne puis le retrait d’un mandat d’arrêt international, l’homme politique a choisi en Waterloo, en Belgique, son nouveau logis. Le 28 juillet 2018, c’est donc libre de ses actes et ses paroles qu’il se juche sur le balcon de sa méga-baraque achetée l’an dernier et surnommée sa petite Casa de la República, et en profite pour s’adresser à Pedro Sánchez, le nouveau premier ministre espagnol. Mais pas pour lui souhaiter bonne chance, qu’on soit clairs.
A sa fenêtre, Puigdemont n’est pas seul. On compte à ses côtés son successeur à la tête de la Catalogne Quim Torra, ainsi que son ancienne conseillère régionale Clara Ponsatí, actuellement en Écosse pour éviter la justice espagnole. Des soutiens, amis et même… un rappeur catalan de 25 ans, le dénommé Valtònyc, de son vrai nom Josep Miquel Arenas Beltran (qui mixera d’ailleurs quelques heures plus tard dans une sorte de « rave indépendantiste » sous le pseudo DJ Llarena, du nom du juge qui a dû retirer le mandat d’arrestation international de Puigdemont). Et si vous n’imaginez pas vraiment Puigdemont torse poil gueuler à bout portant d’un applaudimètre en battle de rap sur Barceloneta, les cheveux suants, collés sur le front, et le point rageur, sachez que ces deux gus partagent un lot de choses en commun.
De son côté, Valtònyc est un anticapitaliste et antifasciste convaincu, très partant pour un retour de la République d’Espagne et l’indépendance de la Catalogne. Mais il est aussi ce rappeur surdoué baptisé L’Enfant Terrible, dont l’histoire avec la musique n’a d’égale que sa romance avec la justice. Et c’est un pouvoir judiciaire plus violent que celui qu’ont rencontré ses confrères français de La Rumeur qu’il affronte depuis bientôt 10 ans de son côté. On a donc échangé avec le public enemy de la péninsule ibérique, à une époque où le rap manque cruellement de pouvoir dissident. Bon, Ok, à part Bigflo & Oli.
Ni Val de Seine ni Gin Tonic
Valtònyc est né en 1993 à Sa Pobla, une commune de l’île de Majorque où le travail de la terre est central pour les locaux. Vous noterez qu’on parle de l’île plus pour vanter ses hôtels 4 étoiles que ses agriculteurs, alors que c’est bien pour cela que le chaland s’arrête sur ce bout de terre flottant : vin (Binissalem), amandes, olives, légumes, tout y est doux. Sur zone, 70 % du PIB provient du tourisme (et ainsi des inégalités créées) : « Je n’avais aucune conscience politique jusqu’à mes 16 ans, mais n’ai jamais compris pourquoi il y avait de la famine et du racisme dans le monde, même étant enfant. »
Très jeune, Valtònyc aime écrire de la poésie. C’est d’ailleurs la porte d’entrée la plus directe vers le hip-hop : « J’ai découvert le rap avec le Wu-Tang Clan, les Violadores del Verso, Sean Price, Vinnie Paz, Immortal Technic et Keny Arkana. Ce qui m’a attiré avec la culture rap, c’était la possibilité d’écrire de la poésie. » Le rap c’est aussi et surtout la démocratisation de la composition pas chère. Pas besoin de s’appeler Jean-Charles (Juan Carlos, aucun lien fils unique) pour se payer un home-studio, un micro et de l’huile de coude : « Il m’était impossible de créer autre chose que du hip-hop. Tout le monde peut faire du rap, c’est très simple. »
« A-ah! Anti! Anti-monarchique! »
Valtònyc trouvera dans le hip-hop un allier, descendant des classes ouvrières et de la rébellion de la communauté afro-américaine contre le racisme systémique. Et sa lutte puisera ses sources parmi les zones bien cachées de l’histoire du Vieux Continent, celles qu’on a grisées en oubliant ses éminences : « À partir du moment où j’ai compris que la monarchie n’était pas un système démocratique, j’ai commencé à enquêter sur l’illégale fortune de la maison de Bourbon et leur pillage constant de la population qui dure depuis des siècles. » Petit cours d’histoire rapide : en Espagne, la maison de Bourbon est le nom de la dynastie qui règne tranquillou sur le royaume – par intermittence mais quand même un bon paquet de temps – depuis l’accession au trône de Philippe V, petit-fils agnatique (côté mâles donc) de ce bon vieux Louis XIV. Vous remarquez qu’il n’en rate pas une non plus, celui-là. Depuis 1975, la famille règne de nouveau sur le royaume, dans le cadre de ce qu’on appelle la Troisième Restauration. Le roi du moment, c’est Felipe VI, depuis 2014. « Le déclenchement pour moi, avec l’écriture de paroles de chansons sur [le précédent Roi Juan Carlos], s’est fait à la suite d’une série de scandales liés à cette famille et les élites qui gravitent autour d’elle. »
En février 2018, Valtònyc est condamné pour « apologie du terrorisme » et « insulte à la couronne ». Si on entend le premier à tort et à travers ces dernière années, on conviendra de pouffer à l’énonciation de la seconde sentence. Selon un article de Mediapart sur la présence de Valtònyc à la sauterie de Puigdemont, « c’est la conséquence de l’adoption en 2015 par le Parti populaire (PP, droite) d’une loi sur la sécurité publique, surnommée par ses adversaires « la ley mordaza » (la loi bâillon), qui restreint le droit de manifester, interdit de filmer des policiers en service ou encore d’insulter publiquement la monarchie. »
La faute à quoi ? Mais à ses chansons, bien sûr, insérées dans son album Residus d’un poeta : « Je ne fais pas l’apologie du terrorisme, il n’y a d’ailleurs plus vraiment de terrorisme à proprement parler en Espagne. Le seul terrorisme existant est celui émanant des pratiques du gouvernement à travers des violences policières, des inégalités sociales et des ventes d’armes à des dictatures telles que l’Arabie Saoudite, qui finance Daesh. Ce sont des hypocrites. »
Paroles, Paroles
Allez un petit florilège des paroles qui n’ont pas plu aux gouvernants espagnols mais qui devraient être probablement au goût de nos Vald ou Sofiane nationaux. Dans «Non au Bourbon», il balance sur l’impunité d’Iñaki Urdangarin, beauf de l’actuel roi (et depuis été condamné pour détournement de fonds publics), s’imagine la reine Sofia « baiser sur un yacht ». Tout ça pendant que son mari Juan Carlos fait un safari : « Je ne sais pas s’il chassait des éléphants ou allait aux putes ». Ou alors (et voilà l’une des phrases de la discorde) Juan Carlos «a rendez-vous sur la place du village, une corde au cou, pour que le poids de la loi lui tombe dessus» pendant que Sofia est « fusillée ». L’ETA est aussi l’un de ses points de comparaison récurrents, pour évoquer la violence : « Qu’ils aient peur comme un garde civil au Pays Basque » ou plus vague « Je veux transmettre aux Espagnols un message d’espoir, ETA est une grande nation. » (pour reprendre mot pour mot le lapsus de l’ancien chef du gouvernement Mariano Rajoy). Évidemment les interprétations vont bon train, et Valtònyc sait que le rap est là pour choquer les consciences.
Dans une longue interview pour le média indépendant catalan El Crític en mars dernier, Valtònyc leur a dit : « Je vais en prison parce que je suis pauvre et communiste. » Il nous a développé sa parole, lancée comme une lyric implacable : « Avec cette phrase, je voulais dire que les pauvres ne quittent jamais la prison et les riches n’y vont jamais. Avoir les moyens de se payer les services d’un bon avocat n’est possible que lorsqu’on a beaucoup de thunes. Ainsi, être pauvre augmente les chances d’un innocent d’aller en prison. » Il nous rappellera aussi que Manuel Pérez Martínez, le secrétaire général du Parti Communiste espagnol a passé 20 ans derrière les barreaux : « L’Espagne est le seul pays européen dont le chef du PC est en prison. »
Le monde ou rien
Valtònyc a finalement quitté l’Espagne pour la Belgique le jour de son entrée en prison. Aujourd’hui, il essaie de se faire connaître de la scène belge – en pleine expansion – et s’apprête à sortir son nouvel album Piet Hein. Sera-t-il autorisé un jour à revenir en Espagne ? Rien n’est moins sûr : « Lorsque les règles de la Convention européenne des droits de l’homme seront en ma faveur, un précédent sera établi, et je pourrai rentrer chez moi, à Majorque. Mais je pense que ça me prendra beaucoup plus de temps d’y retourner parce qu’avant, j’aimerais voyager en Amérique du Sud. Comme ils avaient confisqué mon passeport à cause de certaines de mes paroles quand j’avais 18 ans, je n’ai jamais pu y aller. »
L’artiste ne semble pourtant pas prêt de penser que l’Espagne opérera ces prochaines années de nettes améliorations, notamment en ce qui concerne la liberté d’expression et la machine judiciaire. Selon lui, il reste toujours un « résidu de fascisme (…) dans les institutions qui n’ont pas été renouvelées, même pas le système judiciaire qui date de l’époque Franco. Non, rien ne va changer. »
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