Plongée dans ce qui devrait rester comme l'un des albums qui marqueront 2012.
Les plus fidèles de Sourdoreille l’auront remarqué : Emel Mathlouthi occupe une place de choix dans nos cœurs. Découverte il y a presque 5 ans sur un concert place de la Bastille, ce petit bout de femme nous avait coupé le souffle par sa voix et son aplomb. Dans un pays muselé par Ben Ali, elle revendiquait sa liberté d’expression, chantant Kelmti Horra (ma parole est libre). Un titre qui deviendra son étendard et qui donne aujourd’hui son nom à ce premier album tant attendu.
Le printemps arabe de 2011 confère à ce disque une forte résonance politique et l’ancre irrémédiablement dans la révolution tunisienne. Et pour cause : Emel est l’une des artistes tunisiennes les plus engagées de sa génération. Elle fut la première à dédier sur scène l’un de ses titres à Mohamed Bouazizi, trois jours après son immolation. C’était à Sfax, distant de quelque 150 km de Sidi Bouzid. Elle était aussi présente lors de la première manif à Tunis. Ses paroles comportent des messages subversifs, qu’ils soient formalisés clairement ou de façon plus poétique. L’album est parsemé de sons de ce printemps arabe (manifestation, extraits de discours, déclaration radio…). Dernier détail qui enfonce définitivement le clou : elle vient de sortir (le 14 janvier dernier) un titre hommage à cette révolution.
Mais considérer l’album d’Emel Mathlouthi comme la bande-son de la révolution de Jasmin serait au mieux réducteur, au pire un terrible gâchis. Car sa révolte se veut universelle : intemporelle et sans frontière. La subversion d’Emel passe par une lutte contre l’aliénation, et contre toute forme d’obscurantisme. Sans réserve, elle explore ses côtés les plus sombres, nous fait part de ses doutes, de ses démons, nous parle avec ses tripes. On passe du rêve au cauchemar, sans trop s’en rendre compte. Un voyage qui ne nécessite aucun passeport. Car l’une des forces de cet album, c’est de pouvoir toucher (bouleverser même) n’importe qui. Pas besoin de parler arabe pour saisir les peurs et les espoirs présents dans Kelmti Horra. Emel Mathlouthi se livre totalement, avec la force et la sincérité qui nous ont toujours touchés chez elle. Aussi complexe soit-elle, sa musique touche immédiatement, explorant les plus obscurs recoins de notre humanité.
L’autre coup de maître de l’album est à chercher du côté de la composition et des arrangements de titres pour la plupart présents depuis longtemps dans le répertoire d’Emel. Fan de Rammstein, ancienne membre d’un groupe de heavy metal, collaboratrice des Meï Teï Sho ou encore de Tricky, Emel Mathlouthi n’a rien d’une chanteuse world. Elle chante (principalement) en arabe et utilise des sonorités orientales, mais ce n’est qu’une petite facette de sa musique. Sans renier ses racines, Emel s’épanouit dans la recherche d’atmosphères beaucoup plus modernes et sombres. L’album est truffé de sonorités trip-hop, d’électro ambient, de lignes de basse lourdes et de changements de rythme rappelant le post-rock. On peut penser à Portishead, puis, la minute suivante, à Ez3kiel. Seul petit regret : que ces incursions trip-hop et électro n’aient pas été poussées encore plus loin tant la formule fonctionne à merveille.
On a beau vouloir limiter l’usage de superlatifs lorsqu’on découvre un album, difficile de rester sur la réserve avec ce premier disque d’Emel. Plus de la moitié des douze titres (de la version digitale) nous ont bouleversés et résonnent encore dans nos têtes. Dhalem et Yezzi vont même au-delà, provocant de véritables réactions physiques dans notre chair. En s’affranchissant des frontières et des étiquettes, en plongeant la culture orientale dans un bouillon de sonorités modernes et radicales, Emel fait de cet album un objet hautement subversif à vocation universelle. Janvier n’est même pas terminé qu’on se risque aisément à considérer Kelmti Horra comme l’un des albums qui marqueront 2012.
Nizar, ton commentaire est assez étrange : en quoi Emel prétend elle être le chantre de la révolution ? Ca n’a jamais été le cas.
Elle avait les mêmes chansons, les mêmes textes sous Ben Ali, et c’est toujours pareil depuis la révolution. Elle fait juste ce qu’elle veut, ce qu’elle aime. Sans chercher à être considérée comme le porte drapeau de quoique ce soit.
Pas d’accord!
Pas du tout d’accord avec monsieur Zed (qui s’il ne travaille pas déjà pour la maison de disque de Emel Mathlouthi devrait le faire; il l’aidera à vendre plus de disque sur le dos de la révolution). Pour ma part, je trouve l’engagement de Emel Mathlouthi opportuniste frôlant parfois le pathétique. La Tunisie post-révolution a même inventé une expression pour décrire les artistes qui essaye de profiter de la situation a des fins personnelles: en tunisien ça s’appelle « Roukoub 3ala thawra » (Traduction littérale: monter sur le dos de la révolution).
Chacun est libre de penser ce qu’il veut de la musique de Emel Mathoulouthi mais je suis désolé de dire que la révolution a eu lieu sans elle et que par respect pour les martyrs de ce pays il faudrait qu’on arrête de nous la présenter comme l’artiste engagé de la révolution. Monsieur Zed trouve que « c’est la seule personnalités qui lui donne de l’espoir pour continuer a oeuvrer pour une meilleure Tunisie…un monde meilleure », et bien tant mieux pour lui. D’autres ont eu cette espoir sans elle et ils ont déjà changé l’histoire du pays en affrontant les balles, alors que Emel Mathlouthi parait-t-il n’était même pas en Tunisie le 14 janvier 2011.
Pour terminer, si sa musique est bonne, cette chanteuse n’a pas besoin de se faire passer pour le chantre d’une révolution, ayons du respect pour ceux qui ont périt dans les rues de la Tunisie pour défendre la liberté de son peuple.
Bonjour,
En tant que tunisien et gouteur de bonne musique, je tiens à remercier « sourdeoreille » de mettre en avant cette artiste largement plus que talentueuse ; une voix d’un autre monde, des paroles écrites avec ses larmes et la chaleur de son cœur et des mélodies notée avec sensibilité d’une virtuose.
J’ai personnellement découvert Emel en 2007, un 14 juillet place de la Bastille où j’ai vu et vécu une des expériences qui m’ont fait prendre conscience que changer ce monde (sans exagérer) est du domaine du possible… Assister à une jeune chanteuse monter sur scène avec sa guitare (on aurait dit son fusil) et chanter « ma parole est libre » et le dédicacer à la Tunisie, à l’Afrique et à tous les peuples libres mais opprimés, m’a juste renversé le cerveau, m’a fait comprendre que se cacher en attendant que ça se passe n’est juste pas possible.
Emel n’est pas l’artiste qui choisit la voie de la facilité ; elle a poussé les tabous, elle œuvre pour changer les limites des choses tant au niveau artistique qu’au niveau des normes de la société … elle a été de tous les combats … pour la libération des étudiants opprimés sous Ben Ali en 2009, pour les journalistes poursuivis en justice en 2010, pour rendre hommage aux victimes de la dictature, elle ne gagnait pas un centimes mais elle n’a jamais hésité une fois à monter au front ; j’ai assisté à plusieurs de ces manifestations où elle prenait le micro et chanter contre la tyrannie.
Personnellement, qui suis un lambda mais engagé pour la Tunisie à plusieurs niveaux, je trouve cet article à la hauteur d’une Artiste Engagée et qui n’a jamais douté un jour que son combat (qui semblait perdu d’avance) … C’est une des personnalités pour ne pas dire la seule qui me donne de l’espoir pour continuer à œuvrer pour une meilleure Tunisie … un meilleur monde.
Il y a effectivement d’autre personnage, mais nous ne pouvons pas, à titre d’exemple, qualifier Bendir Man d’artiste, lui-même l’avoue et rend hommage à Emel Mathlouthi ; El Général fait parti des jeunes artistes qui ont été inspirés par le combat que mène Emel et n’a parlé que pendant la révolution … ça ne pas le doute sur l’engagement mais les termes Artiste (ça se mérite, ça ne se donne pas) et le terme Engagement (est un combat de vie et les témoignages ne manquent pas)… En résumé, il y a des artistes, il y a des engagés … Emel Mathlouthi est une Artiste Engagée non seulement pour sa Tunisie mais pour « tous les peuples libres mais opprimés ».
Je remercie encore une fois « sourdeoreille », d’avoir fait honneur à la Tunisie, à sa révolution, à l’art engagé et surtout je remercie les membres de cette équipe qui ont pris la peine d’analyser et comprendre avant de faire ce choix incontestable qu’est cette artiste.
Pour finir, j’ai écouté cet album … et je trouve que ce n’est pas juste de l’art, c’est de la magie, de l’envoutement … un chant des elfes … un truc de fou.
Je vous le conseille … c’est une pure merveille.
Bien à vous,
Amicalement,
Zed
Faire le lien entre la révolution tunisienne et la musique de Emel Mathlouthi c’est mal connaître la réalité de la révolution et encore plus celle de la scène musicale engagée en Tunisie. Emel a une belle voix, mais le lien qu’elle (ou peut être son entourage ‘marketing’) cherche a faire entre sa musique et la révolution est de l’opportunisme. C’est dommage. Par contre, il y’a de vrais musiciens engagé en Tunisie: Bendir Man, El général, Neyssatou, etc etc. qui critiquait ouvertement le gouvernement bien avant le début de la révolution.
J’en profite par ailleurs pour remercier la Sourdoreille pour les découvertes musicales qu’elle propose régulièrement! :-)
Merci pour la découverte .