Comment ça personne ne se posait la question ? Ah c’est marrant de se moquer des anciens sous prétexte qu’ils n’ont plus un cheveu sur le caillou mais vous verrez, ça vous arrivera et ce jour-là, les anciens se rappelleront. Ils ne feront rien pour vous le dire, par fatigue. Mais ils sauront.
Rah les belles années, vous vous en rappelez ? Celles d’avant. Ou tout était bien parce que « c’était » bien. Vous voyez ? Comme il est bon de se remémorer ces instants que notre cerveau a enjolivés avec le temps. Tous ces moments d’ennui et d’attente d’un futur incertain, retravaillés sur l’autel de la mémoire pour en arrondir les angles, tel le scénariste hollywoodien se préparant à réécrire méticuleusement un bouquin sombre pour un paquet d’oseille. Le souvenir, c’est ça : un enculé de gringo qui se tape la panse de Downtown LA à la Sillicon Valley pour écrire à sa guise l’Histoire du monde passé.
Parlons musique. Eh bien, les années 2000, c’est déjà difficile d’en répondre objectivement. Suprématie des Wax Tailor, RJD2, Chinese Man et autres beatmakers en mal de trip-hop et d’abstract. Ça faisait se lever des foules grâce à des mélodies rieuses et des nouvelles technologies, avec une musique à la base créée pour les pantouflards et les junkies (Tricky au goulag, Portishead au bûcher, Nujabes au pilori, Morcheeba au cachot). Paf ! C’était la vulgarisation à l’extrême. Et bien plus encore. C’est bien c’est mal c’est bien c’est mal. Qui saurait encore le dire ?
Et tiens d’ailleurs, vous vous rappelez de Mr Scruff ? Rien à voir avec l’appli, hein. Mr Scruff, il était là bien avant. C’était 1999 et c’était « Get a move on » (avec un sample de Moondog), un single tellement tartiné dans la pub et les supermarchés qu’on a eu l’impression d’être beurré des deux côtés. Quelle épique époque (opaque). Tout le monde se balançait bien de savoir s’il fallait mettre du swing dans de la house, si le hip-hop pouvait valser avec Caravan Palace, si le bon et le mauvais goût ça voulait encore dire quelque chose. Nihilisme et dadaïsme se rencontraient alors au TOP 50. « Merde, comment se repérer dans ce monde » disaient les anciens. Que voulaient-ils dire ?
Mr Scruff – Get a move on
Ça n’empêche que si cette trempe de home producers a conçu un son semblable à de la bonne musique d’ambiance (sans trop de renouvellement de prévu à l’horizon), c’était déjà une sacrée histoire. Et quand on se repasse la disco du DJ, producteur et illustrateur mancunien DJ Scruff, on se dit qu’il y a là des idées qui restent pour de bon, dans l’utilisation des cuivres, dans les sons breakés, dans le refus d’un 4/4 qui tendait les bras à l’Europe.
Pour rester dans la course des booking réguliers (faut bien bouffer), Scruff a continué à illustrer ses affiches et flyers, ses pochettes de disques, ses t-shirts et ses mugs à l’effigie de son doodle-patate, un cartoon à son effigie qu’il a créé lui-même et qui participe à l’élaboration de personnage public. Le producteur a tout intérêt à vieillir avec son temps, et l’humour a toujours été son gros point fort. Scruff compose toujours, Scruff mixe toujours. Et maintenant qu’il a 46 balais et qu’il ressemble plus au Walter White de Breaking Bad qu’à un jeune raver anglais dans le vent, on se dit que c’était plutôt un bon pari. Enfin, toujours mieux que d’avoir des actions chez MySpace ou Tidal. Mais oui, faut le dire, ce gars est relativement très hilarant.
Ce qui est marrant avec DJ Scruff, c’est qu’on a toujours pensé qu’il était parrainé par une quelconque association de rouleurs de blunts ou une amicale des fans du film How High alors qu’en fait c’est un gentil bougre inoffensif qui possède sa propre marque de thé, Make Us A Brew (histoire vraie). Faut dire qu’il a le sens du marketing. Le gars a le culot de se ramener avec son stand de tisane dès qu’il débarque dans une salle de concert ou un festival. Infernal. Avec Scruff, la vanne est facile, immédiate, illimitée. Ne dit-on pas que les blagues les plus longues sont toujours les meilleures ?
Avec Ninja Tune, c’est également une histoire qui dure. En même temps avec les centaines de milliers d’exemplaires qu’il a vendu avec le disque Keep it unreal, l’inverse aurait été compliqué. Eh oh, on n’a rien dit. En majors, ils s’égorgent pour des dizaines de millions de streams entre rappeurs et pourtant y’a plein d’argent qui circule. Réduire Ninja Tune à sa volonté d’expansion financière serait complètement délirant et mauvaise langue étant donné le nombre de magnifiques petits disques qui sortent chaque jour. Et avec quelle passion ! Rappelons-nous donc quand même que Scruff a sorti un super disque en 2014, où les synthés croisent un imaginaire de jeux vidéos, de petits bleeps et de quelques fines arpèges, le tout dans un monde intra-corporel. Il s’appelle Friendly Bacteria, parce que :
« I really liked the phrase ‘friendly bacteria’. Bacteria is sort of a bad word, so I thought it would be nice to have my friendly characters in a more sinister setting… for once. »
Scruff, un compositeur militant pour la cause des êtres unicellulaires, dont le combat pourrait rappeler celui des Inconnus et leur réhabilitation des insectes peu ragoûtants. Bref, vous avez saisi, on aime bien Scruff, un gars qui se revendique disciple des Monthy Ponton. Et pourtant, il ne faut pas faire le silence sur le fait que l’artiste n’a pas son pareil pour inviter des chanteurs dans des registres très kitsch rappelant ceux des tubes de tech house (coucou Denis Jones, frère diabolique de Chet Faker). Putain de sénilité qui guette la création à chaque pas, au détour de n’importe quel sentier.
Pourquoi tout ça ? En fait, on vous reparle de Scruff parce qu’il y a quelques jours, et ce depuis un bail, un de ses sets est enregistré et diffusé sur les internets. Et le voilà en grande forme pour Boiler Room, au Dekmantel, ci-dessous en images pour une session de dance bien méritée, où soul, funk, jazz et loleries dont il a le secret, et dont seuls Fatima Yamaha et Nightmares on Wax n’ont – ne serait-ce qu’un peu – approché la patte.
Finalement l’artiste a vécu sa vie à travers les modes, et si on a pu l’oublier un temps il semblerait que tel le Larry Heard anglais, il ait voulu revenir au centre du jeu. Tant mieux.
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