Il se passe quelque chose autour d’Eddy de Pretto. A ce stade, parlons de frétillement, peut-être même d’une lame de fond. Nous verrons. En attendant, depuis quand n’avait-on pas vu un artiste à la fois si jeune et si affirmé ? Le mot, le geste, le message, tout y est. Bien sûr, il laissera certains de marbre. Il en énervera d’autres. Mais celles et ceux qu’Eddy de Pretto arrivent à toucher le sont au cœur. Une rencontre s’imposait. C’était à Rennes, à l’Antipode, à l’aube d’un chemin à tracer comme autant de pages blanches à écrire. Avec un tel potentiel, on aimerait franchement chiper les pouvoirs d’une fée pour se projeter et découvrir ce qui l’attend.
Il est en train de percer. Percer cette bulle qui n’attendait qu’une chose : être éclatée pour de bon, en faisant du bruit si possible. Comme une inéluctabilité. Car c’est bien ce qui frappe chez Eddy de Pretto dès les premières minutes de discussion. La surprise n’a ici aucune place. Le gaillard de 24 ans, venu de Créteil, laisse à d’autres le soin de s’étonner de ce qui lui arrive : trend topic sur Twitter après sa prestation dans Quotidien, top 3 des meilleurs démarrages des téléchargements itunes à la sortie de l’EP en octobre, etc. C’est encore le début du commencement, bien sûr. Cela ressemble tout de même furieusement, aussi, à une ascension. Le vertige n’aura pourtant pas lieu. L’intuition était nette, ça allait fonctionner, ça ne pouvait que fonctionner. « J’avais tellement l’envie et l’acharnement de réussir. Au delà de vivre de ce que j’aime, je souhaitais transmettre mes messages, ce qui me questionne. J’y croyais dur comme fer. Je savais qu’un jour, ça allait marcher, car au jour le jour, il y a eu de nouvelles raisons d’y croire, des gens de plus en plus importants, du moins à mes yeux, s’intéressaient à mon projet. Au bout d’un moment, tu te dis qu’il va se passer un truc. »
Eddy de Pretto nous parle avec la sérénité de celui qui se prépare à tout, avec l’air du type sûr de sa force sans vouloir un instant qu’elle écrase les autres. Une reconnaissance tranquille, humble mais sans fausse modestie, comme un juste fruit du travail accompli. La besogne plus que la gloire, si proche mais encore si lointaine. Il sait bien qu’il n’est encore personne et que la route s’annonce périlleuse pour espérer entrer un jour dans la mémoire collective. On lui avoue quand même que la séquence de vie qu’il traverse a tout de la conquête. Il rebondit du tac ou tac. « J’adore la conquête, monter sur scène comme on monte sur un ring. Aller chercher les gens un par un et leur donner un uppercut en douceur. » Un ring. Un combat. Y aurait-il donc quelque chose à gagner ? Après tout, Eddy de Pretto s’est révélé aux Bars en Trans l’an passé, a ensuite raflé la mise aux Inouis du dernier Printemps de Bourges. Des prix, il en a gagné, il en gagnera d’autres. Mais au fond, on ne parle pas de ça. C’est si désuet.
« J’ai toujours été mélancolique. J’adore être dans ce climat monotone et regarder les choses de façon maussade, avec une pointe de pessimisme. »
Quand on a un talent pareil, il y a mieux à faire que d’empiler les trophées. Tant de territoires sont à embraser. D’abord seul, avant de s’entourer plus tard de la crème du métier. « J’ai très peur de la solitude, je suis un angoissé. » Mais c’est davantage de mélancolie dont il s’agit quand on l’écoute, quand on le regarde. « Je l’ai toujours été. J’adore être dans ce climat monotone et regarder les choses de façon maussade, avec une pointe de pessimisme. C’est mon état de base et ça me rend heureux, je crois. » Sur scène, on pourrait alors imaginer une atmosphère pesante pour accompagner cette profondeur de texte qui émeut, qui explique pourquoi autant de personnes sont en train de s’attacher à lui. Fausse piste. « Non, sur scène, il n’y a justement plus de place pour ce temps-là. Il s’agit d’être incisif, direct, vif, et ne pas en perdre une miette. Il faut être le plus brut. » C’est son urgence du moment. Car la pression du temps est nouvelle et dépasse même le cadre de la scène, puisque c’est au cœur de la création que la donne a désormais changé. « Je tortille les mots dans ma tête, globalement sur un temps court, maximum une journée. Mais les mots changent tout de même parfois plus tard dans ma bouche. C’est quelque chose qui devient assez angoissant quand tu es signé car quand personne ne te connaît, tu as tout le temps de te laisser aller à tes inspirations capricieuses, jour après jour. Quand t’es signé, on attend des résultats. »
Ce sera pourtant un problème pour plus tard, car le sacro-saint premier album est déjà prêt et paraîtra même plus tôt que prévu, dès le printemps. C’est plutôt, déjà, le deuxième album qui le préoccupe. « Imagine, si j’ai plus rien à dire. Un deuxième album, c’est dur. » Avec une ressource comme la sienne, il ne parviendra toutefois pas, ni maintenant ni plus tard, à nous inquiéter une seule seconde, tant le sentiment de voir naître sous nos yeux un artiste important est puissant. Un artiste qui réussit le tour de force de réunir les amoureux du rap, du r’n’b et de la chanson. Pour la chanson, on dit merci maman. « Quand tu rentres chez toi, que ça gueule encore plus fort que l’aspirateur, que ça balbutie comme disait Brel, avec une technique qui n’est pas celle de notre époque. Quand tu as 13 ans, tu as envie qu’il ferme sa gueule. Tu détestes ça. Soit j’en voulais à ma mère, soit j’en voulais au chanteur. Ensuite, j’ai fait beaucoup de théâtre, donc beaucoup de diction, d’articulation. J’avais envie qu’on me comprenne. Petit à petit, cet amour de la chanson s’est dessiné. »
Ma diction ? C’est la première chose qu’on me dit. Je trouve ça dingue. Cela voudrait dire qu’on est donc une génération où on ne comprend pas les autres chanteurs ? Ou que c’est tellement codifié qu’on doit sortir un lexique à côté ?.
La diction, dit-il. Nous y sommes. Voilà le principal compliment adressé à Eddy de Pretto et il ne s’en explique toujours pas. « C’est même la première chose qu’on me dit, tout le temps. Je trouve ça dingue. Cela voudrait dire qu’on est donc une génération où on ne comprend pas les autres chanteurs ? Ou que c’est tellement codifié qu’on doit sortir un lexique à côté ? En tout cas, j’aime cette idée qu’on me comprenne. La musique, c’est partager des émotions. On peut entendre ce qui résonne dans ma tête et peut-être que ça résonne aussi dans celles des autres. » Il semblerait que oui, tant l’émergence du bonhomme semble cadrer au millimètre avec les humeurs d’une société en plein vacarme, où affirmer ce qu’on est, ses fêlures comme ses forces, est susceptible de prendre aux tripes ceux qui attendent d’eux-mêmes et des autres le même courage. En cela, son titre « Kid » ne pouvait naître que devant quelques regards sidérés. Serait-il donc si simple d’affronter droit dans les yeux celui qui vous bloque la route ? Bien sûr que non. C’est même la lutte qui rend la bataille encore plus belle, peu importe qu’elle résonne ou pas avec les affres d’une époque vrillée. « J’ai reçu beaucoup de messages des féministes lorsque « Kid » est sorti pour me remercier. Mais à la base, je voulais simplement raconter mon histoire avec mon père. Je ne me suis pas dis que j’allais faire le coup malin ou efficace en touchant les tendances de société. Je ne veux pas non plus m’enfermer dans un manifeste. J’ai pas envie d’être un porte-drapeau. Comme un chanteur de gauche à la fête de l’Huma. »
On osera à peine lui demander comment ses parents vivent l’éclosion d’un fils devenu artiste, le verbe haut et la parole fière. « On est pas trop dans la discussion avec mes parents. Je pense que ma mère écoute ce que je fais, mais pas qu’elle entende le sens. Cela doit être dur pour une mère d’entendre ça. » C’est dur pour une mère. C’est dur pour tous ceux qui refusent de se coltiner un monde qui juge les différences, qui chamboule les âmes, qui sait aussi redéfinir le périmètre des possibles. Dans ce monde là, Eddy de Pretto ne prétend pas se situer mieux qu’un autre. Sur scène en revanche, il domine, capte l’attention. Ce qu’il dit est entendu, retenu. A-t-il conscience qu’ils sont rares, les artistes à détenir ce don ? Sans doute que oui, même si les retombées sont parfois plus inattendues. « J’ai reçu un message d’une prof de français qui fait bosser le texte de « Kid » à ses élèves de première pour une étude de textes. C’est intéressant d’avoir des répercussions si académiques. » Au contraire d’un Miossec, qui a toujours considéré qu’un mot devait résonner dans l’air pour faire sens, Eddy de Pretto semble s’accommoder des différentes vies que pourraient prendre ses textes à l’avenir. Mais la scène, le plateau, l’adresse au public, c’est là et bien là, selon lui, que les cœurs doivent vibrer. « Un mec comme Brel, ça sonne toc sur le papier. Ne me quitte pas, trois fois, quatre fois, huit fois, ça va mec » illustre-il pour enfoncer le clou. En toute logique, il nous précise que les paroles n’apparaîtront pas sur le livret de ce premier album, autant par conviction que par choix esthétique.
Sur scène justement, ils sont deux. Lui préfère corriger : « Nous sommes trois, avec mon iphone. Je voulais quelque chose de minimaliste et une silhouette avec un câble, pour être au plus simple, entendre le mot au plus près. » Va pour l’iphone, alors. Sur scène toujours, il avait rodé un set de trente minutes. Ce sera bientôt une heure, dans les prochains jours. Dans une salle où il ne partagera plus l’affiche. Une tournée, ça y est. Parmi ces salles au printemps, la Cigale à Paris. Trois soirs sur son seul nom. Déjà. Lui répondrait peut-être : enfin.
Crédit photo home : Alex Moulin
Crédit photo article : Quentin Devilliers
bel article sur un bel artiste