Born Bad Records, ce n’est pas que du rock : c’est aussi une vaste entreprise de (re)découverte d’une histoire musicale hexagonale parfois méconnue. Dernière en date, la compilation Dynam’Hit, Europop Version Française 1990-1995 qui explore l’arrivée d’une musique nouvelle dans notre beau pays.
Chez Born Bad, on compte : une compilation sur la bossa nova chantée en français, une sur le French boogie (intersection de funk, groove et disco chanté là aussi dans la langue de Molière), une sur le cha-cha… Et la liste est encore longue.
Born Bad Records, label indépendant spécialiste d’un rock brut et ferme (Frustration, Cannibale, Vox Low ou encore Le Villejuif Underground), s’échine à trouver aux fonds des brocantes des pépites bien de chez nous et contribue à faire revivre avec brio et goût du décalage un patrimoine musical au mieux inconnu, et au pire sous-estimé. Et ce n’est pas la dernière compilation maison, Dynam’Hit, Europop Version Française 1990-1995, qui nous fera dire le contraire. Dix titres qui sentent bon les (premières) boites à rythmes, le club et la dance mais aussi, et c’est là tout l’enjeu, la variété bien de chez nous et une bonne dose de légèreté. Dix titres qui explorent par la face B la rencontre d’une nouvelle musique avec nos pratiques et notre patrimoine. Une musique qui n’a d’ailleurs plus grand chose à voir avec ses origines quand Anne Zamberlan, Claire An, Fred de Fred ou Michel Moers s’en emparent.
Car depuis les États-Unis où elles sont nées, Chicago, puis Detroit pour être tout à fait précis, la house puis la techno ont franchi l’Atlantique et ont trouvé en Angleterre et en Belgique des terreaux fertiles, qui les ont adaptées aussi vite. Parmi tous les genres, sous-genres, vagues et styles qui sont apparus, il y a cet agrégat plus ou moins disparate de chansons. On va très vite et on prend une autoroute de raccourcis sans limiteur de vitesse, mais vous saisissez l’idée. Il faudrait toute une vie pour tenter de raconter tout ça.
C’est donc dans un milieu musical en perpétuelle recherche de renouveau que ces tentatives house chantées en français apparaissent. Une Europop Version Française, comme le décrit bien le sous-titre de la compilation : des titres qui ont quelques petits succès mais qui ont pour beaucoup été rapidement oubliés, enfouis sous la production électronique en pleine ébullition. Autre particularité : tous ces titres ont été faits entre 1990 et 1995, soit l’espace-temps entre la découverte de la musique électronique et l’assimilation totale par le Top50 de ses gimmicks et pratiques.
La compilation intégrale
Benjamin Leclerc et Nils Maisonneuve aka Belec et Sainte-Rita, les deux DJs et têtes pensantes de la sélection, nous expliquent cet ouvrage à remonter le dancefloor.
Comment la compilation est-elle née ? Le label est-il venu vous chercher ou aviez-vous déjà le projet en tête ?
Benjamin : Nils et moi on est copains, et on s’envoie ce genre de musique depuis longtemps. Le projet a germé d’abord entre nous, on l’a proposé à JB (Jean-Baptiste Guillot, le patron du label, ndr).
Cela a représenté combien de temps pour vous de collecter tous ces morceaux ?
Nils : L’idée a été formulée en septembre 2017. On avait commencé à trouver quelques morceaux qui nous semblaient intéressants, qui nous donnaient l’impression que ce genre existait mais qu’on ne l’entendait pas trop. Un an après, on a décidé de vraiment chercher.
Comment avez-vous cherché et diggé tout ça ?
Benjamin : On est à la recherche de beaucoup de musiques tous les deux, et dès que l’on tombait là-dessus, cela créait une espèce de « case » qui n’existait pas avant, une toute nouvelle catégorie. Je trouvais des disques en brocantes qui avec l’air un peu rigolo, avec un « club mix » dessus.
Nils : Je me suis mis à regarder toutes les dates par exemple.
C’était à la fois du hasard et une recherche méthodique ?
Nils : Il y a eu un changement de style en fait. Toutes les musiques de clubs un peu italo-dance, avec des réminiscences disco, très italo disparaissent en 90, sauf quelques disques mais qui sonnent un peu en retard justement.
Benjamin : Il y avait déjà dès 86 des maxis avec des remix clubs mais c’était souvent une version un peu extended (allongée). Il y a évidemment eu la new beat en Europe et les premières raves mais dès 90, cela sonne différemment. C’est fait différemment, et les remixes sont des vrais remixes, il y a un vrai travail de studio.
On sent une volonté de se tourner vers le club, dans la production et la forme du morceau. Comment vous avez fait vos choix sur, j’imagine, une sélection de base assez large ? Est-ce qu’il y a eu des contraintes ?
Benjamin : C’était notre discussion avec JB quand on lui a présenté le projet. Il nous disait « il doit y avoir d’autres choses ». Les choses très très bien tombaient sous le sens. Ça s’est fait assez facilement en fait, il n’y a pas eu beaucoup de débats houleux.
Nils : Tu parlais de contraintes, il y a un ou deux morceaux où les artistes n’ont pas voulu. C’est le cas classique, cela arrive dans toutes les compilations.
Le format est assez court – 10 titres, ce qui est « peu » pour une compilation. C’était une volonté de resserrer la sélection ?
Benjamin : J’étais content que cela tombe comme ça. Il y a autre chose : le genre est rigolo, ça fait marrer beaucoup de gens et beaucoup de personnes aiment ce style, mais dès que tu es un tout petit peu rebuté ou que ce n’est pas ton délire ou pas la bonne heure, c’est un peu indigeste.
Nils : Elle gagne à être courte. Vu les recherches que l’on a faites, on envisageait tous les deux de faire quelque chose de plus rétrospectif, anthologique même si c’est un grand mot. L’idée d’être un petit plus exhaustif, avec des morceaux « phares » et connus par exemple « À La Folie » de Seydinah. C’est un titre qui a été un tube à l’époque.
C’était l’idée d’être aussi plus exclusif dans les morceaux proposés ?
Nils : On aurait voulu que tout soit une surprise. C’est difficile. Une compilation prend du temps, et il y a des morceaux qui sont sortis en cours de route. Cela reste des morceaux qui ont une diffusion plutôt minime.
Benjamin : C’est une mini-explosion dans un petit groupe de personnes qui diggent ces disques. Évidemment cela nous a déçu, cela gâche un peu la surprise. L’idée reste de pouvoir présenter ça au plus grand nombre. C’est aussi quelque chose de présent dans mon entourage personnel, avec le collectif Bruits de la Passion (dont Nils est proche aussi) par exemple qui joue beaucoup ce genre de musique.
Oui j’aillais y venir, cette compilation, c’est très Bruits de la Passion dans l’esprit…
Benjamin : C’est totalement lié, oui. L’idée était de faire exister ce genre et de le présenter dans un objet fini et cohérent. Ça ne l’était pas vraiment à l’époque : il y a plein de morceaux que l’on fait exister comme un genre et je ne pense pas vraiment que ça l’était. Peut-être que certains de ces morceaux étaient des accidents. Il y avait une touche différente : ce n’était pas un genre avec des affinités de pratique – il n’y avait pas des gens qui allaient dans un club où tous ces morceaux ont été joués un même soir. Certains sont très amateurs et très passionnés, d’autres sont beaucoup plus ancrés dans le « showbiz », dans une pratique de studio. Je pense à Claire An : c’était une inconnue, elle est arrivée en studio avec un gars qui lançait son label et sa carrière avec ce titre – il est devenu boss d’une major en Belgique par la suite – et d’ailleurs ça l’a fait rire que je le recontacte pour ça.
Le son est resserré mais en même temps chaque titre explore de nouvelles pistes.
Benjamin : Il y a une continuité d’esprit entre des gens super amateurs, passionnés et bricoleurs – Techno 90, c’est un type seul dans sa cave – et des gens plus engagés dans l’industrie musicale et qui voyaient ça comme un coup à faire. Ils s’emparent d’une traine, du French Boogie par exemple et de quelque chose d’un peu à la mode… Il y a plein de configurations différentes qui amènent cet « air du temps ». Le côté chanté en français rend toutes choses un peu bizarre.
Nils : C’était en train de devenir hyper minoritaire de chanter en français. C’était une intention forte de notre part de rassembler tous ces morceaux-là : beaucoup de producteurs en France à ce moment-là qui essayaient de faire leur « coup » house chantent en anglais, parce que c’est une musique anglophone.
Benjamin : Ce n’était pas chanté, ou très peu. Très vite, ce sont des samples qui sont utilisés. On a trouvé pas mal de choses en français mais cela nous a moins plu.
Nils : Il y a quelque chose de particulier dans cette compilation et que l’on ne saisit pas trop au début si l’on ne connaît pas les disques de cette époque : c’est vraiment une particularité que ça soit des chansons. Avec des couplets, un refrain et des interprètes. C’est pour cette raison que cela nous semblait avoir un rapport ensemble ; c’est-à-dire qu’au même moment, la musique électronique émerge mais c’est un milieu totalement différent. L’engouement house en France par la suite concerne d’autres personnes, un autre public, c’est une musique instrumentale. Ce genre est passé à la trappe car c’est de la variété transposée dans le club.
« Europop », le sous-titre, est donc totalement à propos…
Benjamin : On s’est pas mal creusé la tête là-dessus ; l’appeler « house en français », ce qui était notre propos au début, ça fait sens dans une certaine mesure mais les gens n’auraient pas trop compris. Le terme renvoie à Daft Punk, ou de la French Touch. Les gens auraient été très déçus.
Nils : C’est pour ça qu’on a choisi ce titre qui est légèrement ambigu, mais dit exactement ce que l’on voulait.
Dynam’Hit, Europop Version Française 1990-1995 est sortie chez Born Bad Records
Photo en une : pochette du disque de Jean-Francois Maurice : 28° à l’ombre
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