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Dunes, mandolines et rock’n’roll

Bel effet de la révolution du net, on n’a jamais autant réédité de sons oubliés. On a décidé de vous parler de la partie de l’iceberg trop immergée de l’héritage de la musique rock garage et psychédélique. Flashback sur ce que les pays du monde arabe ont à offrir en matière de rock.

Le rock, qu’il soit garage ou psychédélique, est en plein renouveau. La fuzz, la distortion et les réverbérations constituent l’adage suprême de tous les groupes actuels de ce style. Si les États-Unis et le Royaume-Uni sont connus pour avoir amorcé le fleuron de cette scène (les Sonics ou les Byrds parmi dix milles autres), il est un peu moins communément avoué que d’autres pays ont aussi ajouté leur pierre à l’édifice. Les années 1960 ont effectivement marqué le début d’expérimentations, ainsi que de multiples avancées créatives et techniques musicales, lesquelles n’ont en réalité jamais été occidentalo-centrées. En témoignent Los Saicos, pionniers du rock’n’roll péruvien très sale et secoué ou encore Erkin Koray, roi du psyché turque. Seulement, certaines contrées ont vu leur héritage musical amoindri.

L’Inde, le Moyen Orient comme le Maghreb, par exemple, ont ainsi connu un florilège de musique populaire à mi-chemin entre sonorités traditionnelles et innovations sonores occidentales. L’utilisation d’instruments locaux ont souvent fait l’originalité de cette musique enregistrée par des autochtones pour les autochtones. Cependant, dans le cas de certaines de ces régions, elle a vite été menacée par les régimes religieux et/ou autoritaires institués qui ont limité la liberté d’expression et de création artistique. Son export à l’étranger a de même été compromis, d’où de nombreux groupes tombés aux oubliettes. C’est l’histoire de la plupart de ceux recensés dans la nuggets Waking Up Scheherazade. Nuggets (non il ne s’agit pas de parler de poulet frit), c’est le titre que l’on donne aux séries de compilations de musiques rock garage et psychédélique. On ne compte plus le nombre de recueils (autorisés et non autorisés) dédiés à faire redécouvrir les trésors cachés et obscurs des quatre coins du monde.

C’est en 2008, que Marthy Huiboki, collectionneur féru de musique « exotique » a voulu ramasser divers enregistrements (à l’échec commercial regrettable) de plusieurs pays qui n’ont en commun que l’héritage historique de l’Empire Ottoman. On vous raconte l’histoire de quelques uns de ces artistes.

https://www.youtube.com/watch?list=PLRHgE_JJTJgvof-uPws6bjncFiHI_z2Ln&v=gN6_BpYqPxo

Deux chansons d’El-Abranis (venant du nom de Branis, nom d’une ancienne tribu berbère) font partie de la compilation : « Athedjaladde » et « Avetheri A L’afjare ». Les membres du groupe se sont rencontrés à Paris après leur immigration au lendemain de la guerre d’indépendance Algérienne. Après avoir parfait leurs looks bigarrés aux puces de Clignancourt et préparé leurs tubes prêts, ils retournent en Kabylie, leur terre natale, où ils décident de jouer plusieurs dates. Malgré la pression qu’ils ont subi pour chanter en arabe (à l’époque Houari Boumédiène entame une arabisation de l’Algérie) et en anglais (pour que leurs sons puissent s’exporter), ils resteront fidèles à leur langue maternelle. Résultat, lors de leur premier concert, El-Abranis n’auront jamais l’occasion de jouer leur quatrième chanson, forcés à quitter la scène. Puis la police interdira un autre de leur concert prévu en 1975, en embarquant deux des membres. Ce qui déclenchera une émeute arrêtée finalement par l’autorisation de leur live. Fin de partie pour le groupe initial même si ces membres continuent la musique.

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La compile présente aussi la chanson « Dil Dasa Per Mesh » de Kourosh Yagmaei, première rock-star persane. Sa carrière débute avant la révolution de 1979 et l’instauration de la République islamique. Il est connu pour son utilisation du santour (cymbalum iranien) et du langage persan dans ses sons dignes des Led Zeppelin et de Pink Floyd. Il s’est reconverti dans l’écriture de livres pour enfants suite à sa censure. Sa musique toujours prohibée en Iran, il continue tout de même à sortir des albums, dont son dernier, Malek Jamshid (enregistré entre 2003 et 2006), sorti en juin dernier. Il s’exprimait à ce propos (comme raconté dans cet article de Libération) : « j’ai dû vendre ma voiture pour financer la production de cet album, alors que je n’avais aucun espoir de le diffuser. Pour être en sécurité dans le studio et éviter de se faire arrêter ou de se voir infliger des châtiments, on éteignait les lumières et on s’enfermait de l’intérieur. »

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Enfin, on découvre deux chansons des Sea-Ders (aussi connus plus tard sous le nom de Cedars, photo en une) : « Thanks A Lot » et « Undecidedly ». Ceux-là ont connu un destin différent. Après avoir migré au Royaume-Uni, ils se choppent un deal avec Decca en 1967 qui leur assure une production pop-psych anglaise inspirée des Kinks et des Beatles. Ils gardent les rythmes appuyés des derboukas, les lignes de guitares orientales et, parfois, les ouds. Il chantent en anglais avec, évidement, un accent prononcé. On entend moins les harmonies et riffs orientaux dans la sélection de la compilation mais on vous recommande leur « For Your Information », issu de leur seul album éponyme. L’histoire ne se termine pas forcément mieux pour eux puisqu’ils sont contraints de revendre leurs instruments et retourner à Beyrouth à cause des dettes que leur ont causé les frais de studio imposés par le label.

10-Sea-Ders-1966

Ces anecdotes explicitent bien les difficultés qu’impliquaient la création musicale moderne dans ces pays, ce qui rend ces titres particulièrement rares. Vous le savez maintenant, rock il y a bien et il y a bien eu, autant en Afrique qu’en Asie. Qu’on ne vous reprenne plus à dire que le rock n’est qu’américain et anglais. La plus-value de ces morceaux choisis n’a pas besoin d’emphase, il suffit juste d’écouter pour la comprendre. Cette première sortie chez Ali Baba And His 40… Records, un label hollandais a connu une seconde édition en 2010 Waking Up Scheherazade vol. II.

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