Et si le plus grand freak de la planète house allemande était tout simplement le plus simple. Et si l’un des principaux boss de labels que le pays de la Love Parade ait connu était un azimuté dont le travail ressemblait en tout point à la roue d’un paon. Interview d’un neptunien qui a oublié sa mission de détruire la Terre et qui, à la place, a pris les traits d’un dj avec une ombrelle et se fait appeler DJ Koze.
DJ Koze : Ah, tu fais souvent des interviews comme ça ?
Oui, c’est mon boulot, j’en ai fait une ce matin de…
DJ Koze : …Cool, donc tu peux prendre leurs réponses et les mettre à la place des miennes.
Ben non, ça se fait pas tr…
DJ Koze : …Attends je fais de l’eau pétillante. Avec une machine Sodastream, tu vois ? C’est super pratique. Qu’est-ce que tu disais ?
Mais…
Comment décrire DJ Koze. DJ Koze est mon héros. Il me semble qu’il l’a toujours été, mais ça n’est probablement pas le cas. Ça n’aurait aucun sens. Quand je songe a lui, je visualise une espèce de lama très valeureux réincarné en homme. Dans mes rêves platoniques – et uniquement – il est un étalon sans grande dégaine, mais avec une attitude certaine. Tel le mammifère boiteux mais paradant, entre l’heure de la chasse et de la séduction, il s’avance. Sûr de son coup.
Stefan Kozalla est un des gardiens du djing allemand. Pourtant, ne l’attendez pas dans le carrefour de la techno martiale à 130bpm, il n’y a pas qu’Ostgut Ton et le Berghain dans la capitale la plus hip de Shengen. Vous le trouverez, un peu caché, sur les line-ups house de festivals de forêts, au petit matin. Allez-y, vous verrez, on vous y racontera l’histoire féerique de cet oiseau à crête bleue dont le premier track (« Happy Hip Hop » connu de nos services compétents) date de 1998 et se pare d’une d’acid house sonique et d’une jungle en tout point similaire à ce que pourrait faire un dj comme Mézigue en 2018. On vous prendra par la main car il n’est pas de plus dansant et chantant que l’electronica fantaisiste de Stefan.
Vous avez une petite idée du monde rêvé de Kôze, ça y est ? Vous avez parlé à un jeune fakir assis sur une butte sous le grand chêne, celui-là même qui suit le dj allemand sur toutes ses dates, partout dans le monde ? Il vous a raconté la pop de Pampa Records ? La voix d’Ada, la science mélodique d’Isolée, les harmonies de Nils Frahm, les polyphonies de Die Vögel, l’amour du dancefloor d’Axel Boman ? Tant mieux. Il a sûrement dû vous murmurer les noms des artistes remixés que Koze a répandu dans les sélections des djs du monde, de Matias Aguayo à Mount Kimbie en passant par Matthew Herbert. Il vous a rappelé qu’Apparat, Caribou et Matthew Dear avaient participé à son dernier disque Amygdala ? Voilà qui est bien.
Aujourd’hui, dans cet entretien ô combien sérieux, on apprendra également que Kôze aime la folk et le R’n’B, qu’il y a même Bon Iver, Mano Le Tough, Róisín Murphy et José González sur son nouveau disque knock knock.
Et que la vie ne vaut d’être vécue sans humour.
INTERVIEW
Qu’est-ce que tu fais de ta vie ?
Ben, c’est pas super intéressant, je travaille, je voyage, je fais des dj sets, je fais de la musique et je m’interroge sur ma vie ruinée.
Blanc.
It’s a joke.
Tu as le temps de voyager avec toutes tes dates ?
En fait, je voyage PARCE QUE je fais des dates. En dehors de ça, cette année, j’ai uniquement voyagé pour aller à Oman qui est vraiment très intéressant pour les vacances.
Depuis ce voyage, il brûle systématiquement des encens sur scène, selon Pitchfork. À noter qu’il dit ça le lendemain de la mort d’Avicii, à Oman également, et qu’avec DJ Koze, on ne sait pas trop où est la blague et où elle n’est pas.
C’est marrant, je t’imaginais plutôt comme un oisif que comme un fou de travail. Tu ne t’arrêtes jamais ?
Je suis un dingue de boulot, en fait. Je ne joue pas tous les week-ends, mais je pense à la musique tout temps, et je dois aussi préparer mes dj sets. A côté de ça, j’essaie de produire de la nouvelle musique – j’en ai déjà de la nouvelle pour après l’album – et je dois m’occuper de Pampa Records, et des artistes qui y sont signés. Je dois donner mon avis sur leur musique. Ma vie se résume pratiquement au travail et à la musique.
Ça t’arrive d’enchaîner plusieurs jours de dj set ?
Non, je ne peux pas faire ça. Je ne suis pas Black Coffee.
Tu savais que Black Coffee ne jouait qu’avec une main ?
Il joue avec une main ? Et il joue chaque jour avec une main ? Donc s’il avait deux mains, il pourrait jouer deux fois par jour. Soixante shows par mois. Insensé, non ?
Tu as le temps de t’occuper de Pampa Records. Comment gères-tu la maison ?
On se partage avec Marcus Fink. Il s’occupe vraiment du business, de la logistique, de la production, de la distribution. Moi, j’essaie de trouver de la nouvelle musique.
Une semaine-type chez Pampa ?
C’est difficile de splitter mes activités, pour moi, c’est un tout. J’essaie de combiner toutes les choses que je fais.
Ton nouvel album s’appelle knock knock. Certains disques se font dans la douleur, c’était son cas ?
Non, j’ai pris le temps. Je suis très heureux d’avoir eu le temps. Je ne peux vraiment pas fonctionner avec des deadlines. Je sais que beaucoup de gens fonctionnent comme ça, mais moi pas. C’est important pour moi d’être enceint de ma musique. De la faire, la laisser faire, la regarder grandir.
« Composer un morceau de musique, c’est ça : tu décides d’un être Alpha, ensuite, tu ajoutes des oiseaux et des serpents, et enfin tu laisses courir des lapins autour. »
Sur ce nouveau disque, tu as fait le pari des collaborations, comme déjà par le passé. Aujourd’hui, il est possible de faire un album de collaborations, sans jamais rencontrer les artistes. C’est ton cas ?
J’en ai rencontré certains dans le studio directement après quelques allers-retours par téléphone. J’aime aussi l’idée de m’ouvrir à d’autres artistes, d’autres genres. J’ai vu tout le monde.
Entre Bon Iver, Róisín Murphy, José González, Kurt Wagner, tu as pioché comme il faut dans la folk, la discofunk, le R’n’B. C’est parce que tu aimes qu’on chante tes chansons ?
D’une certaine façon oui. C’est excitant d’ouvrir la musique avec des chansons. Avec des voix, ta musique peut parfois aller bien plus loin. Mais pour tout te dire, avec ces collaborations, je n’avais pas prévu que le résultat ressemble à ça. Quand je joues mes morceaux ou que je les envoie, j’ai une idée de ce qu’elles représentent. Mais ce que tous ces artistes ont ajouté dessus a été d’autant plus surprenant pour moi. Certaines, j’ai dû les écouter deux ou trois fois chacune pour les apprécier pleinement et profiter de toutes les nuances. De la même façon que quelques unes de mes anciennes chansons sont redevenues mystérieuses pour moi. Ce qui est sûr, c’est que je ne leur ai jamais dit : « Chante de cette façon, et pas comme ça » J’espère même à l’avance qu’ils vont ouvrir dans une autre dimension qui est la leur. Ainsi, tout est plus brûlant, vivant.
Tu voulais qu’ils te surprennent, donc.
Oui, parce que quand tu fais de la musique, tu ne te surprends pas beaucoup.
En dehors des collaborations, qu’est-ce qui peut amener de la surprise ?
Inclure le hasard, c’est beau. Foutre en l’air les choses. Saboter les structures faites juste avant. Quand tout s’effondre. Quand une machine explose par exemple, mais que tu laisses l’enregistrement se faire, et ensuite tu gardes cette explosion et tu en fais ta structure principale. C’est aussi assez marrant. Parce que ça sonne comme si je ne l’avais pas fait, comme si c’était quelqu’un d’autre.
Sur le clip du track « Pick Up », tu t’amuses à sous-titrer tes pensées. Comme si on était dans ta tête quand on te voyait sur scène, à commenter le public, l’ambiance, la qualité de ton morceau. C’est un jeu auquel tu joues quand tu mixes pour un public ?
Pas vraiment, je n’ai pas le temps. Blague à part, les sous-titres devraient illustrer ce que les gens pensent ou ressentent à son écoute en situation de club par exemple. C’est ce que j’ai trouvé de plus fascinant quand j’ai commencé à mixer. L’effet d’un kick, d’une structure mélodique, d’un changement de rythme… Même l’élément le plus faible peut procurer un changement complet d’ambiance. Tu peux avoir un beat répétitif de trois minutes sans que personne ne sorte de son activité, et il suffit d’un hi-hat pour que tout le monde se mette à crier. Ce tout petit détail. Je trouve ça magique. La musique club joue hélas beaucoup trop sur cette trouvaille : tout est toujours très haut, plein de couches qui montent, qui jouent sur un drop massif. Et ce qu’il faut savoir avec moi, c’est que j’adore le vide et la monotonie de la musique. Surtout dans un contexte de club.
Quelles sont les différences dans la composition d’un album ou dans la préparation d’un dj set ? Peux-tu tout te permettre dans un cas comme dans l’autre ?
Dans un album, j’aime travailler avec de nouveaux éléments, d’autres sons. C’est intéressant de te dire que techniquement des gens vont pouvoir – s’ils le veulent – l’écouter un millier de fois. Dans un club, tu te dois juste d’être vierge de tout, et tu vas écouter un morceau pendant quelques jours ou quelques mois si c’est un hit. Selon moi, tu dois mettre plus de couches sur un album. Mais tu dois décider quels éléments dominent, et ne pas laisser trop d’éléments prendre toute la place. Quatre ou cinq, pas plus : la basse, la mélodie, l’harmonie, le beat, la voix peut-être. Tu peux ajouter d’autres éléments, mais tu ne dois pas les mettre au même niveau. Je vois la musique comme ça : tu décides d’un être Alpha, et ensuite, tu ajoutes des oiseaux et des serpents, et enfin tu laisses courir des lapins autour sur un petit espace.
Il y a certains de tes tracks que tu jouerais en sets ?
Non, probablement aucun. Même si ça m’arrive de jouer certains de mes morceaux, mais rarement.
Bon alors, peut-être un concert live où tu joues tout l’album ?
J’y ai pensé. Ce serait hyper intéressant de faire un liveset. Mais je n’ai aucune idée d’à quoi ça pourrait ressembler. Il faudrait que ce soit assez spécial. Mais c’est un gros challenge, une sorte de nouvelle tâche.
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