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DJ Hell : « Si tu penses trop, il n’y a pas de connexion »

On s’est assis avec un daron de la techno allemande, l’increvable DJ Hell. Vous le reconnaîtrez facilement, le DJ et producteur n’est pas le dernier pour agiter sa blondeur platine dans les clubs et, même s’il a laissé tomber la moustache 90’s et les photos pour Karl Lagerfeld, il ne lâche toujours pas les platines ni les machines. Amoureux des frictions, adepte de la transpiration, à la recherche de connexion charnelle, il nous parle de culture gay, de David Bowie, de son nouvel album « Zukunftsmusik » et de ses 35 ans de djing. Une époque où la techno, ça ne servait pas encore à vendre des aspirateurs qui ne perdent pas d’aspiration dans les Magasins U participants.

Tu es dj depuis 35 ans, c’était comment de mixer avant même qu’on puisse parler de « mouvement techno » ? Tu te sentais seul ?

Je ne me suis jamais senti seul. Surtout quand je mixe, je joue devant une foule et suis entouré par mes amis. Tu peux te sentir seul si tu joues à un énorme festival devant 20.000 personnes sur une scène immense conçue pour les groupes de rock. Mais pas dans un club. Au contraire.

Dans les années 80, il y avait un public pour la musique électronique ?

Non, je ne jouais pas vraiment de musique purement électronique. Je jouais du Kraftwerk, de la new wave, une sorte de dance music, du punk mais aussi du ska, qui était hyper populaire, de la Northern soul, qui était super en vogue aussi, des débuts du hip-hop, d’avant-garde jazz, de tout en fait.

« Le terme de house a été galvaudé. On essaie de nous faire avaler que la house, c’est ce qu’on entend dans les magasins de fringues, dans les ascenseurs ou à l’aéroport. »

Dans ton dernier album Zukunftsmusik (la musique du futur), tu ne donnes pas l’impression d’être vraiment inspiré par de la musique récente ou nouvelle. Globalement, si tu l’avais sorti il y a vingt ans, ça ne m’aurait pas choqué. Cela veut dire que tu considères que la musique électronique des années 90, c’est toujours le futur ?

La techno des années 90 connaît sa renaissance de nos jours parce que beaucoup de dj actuels expérimentent ce genre de sons rave. C’est hyper à la mode. Je trouve ça chouette parce que beaucoup de jeunes producteurs regardent dans le rétroviseur. Dans mon album, je n’étais pas vraiment à la recherche des années 90. Je me suis plus plongé dans David Bowie, Boards of Canada, Kraftwerk ou alors dans de la techno plus ancienne, comme A Number Of Names [early electro, disco et techno jouées par le groupe de Détroit composé de Paul Lesley, Roderick Simpson et Sterling Jones début des années 80, ndlr].

Selon toi, la techno est toujours la musique du futur, même aujourd’hui en 2017 ?

D’un côté, des gens vont dire que la house et la techno sont les musiques les plus limitées de nos jours. Je n’ai pas dit ça, certains journalistes pensent qu’il n’y a plus beaucoup d’innovation. De l’autre, on dit que la house et la techno ont toujours été connectées avec le concept du futur. Je suis assez d’accord avec les deux côtés.

Donc on peut dire que la house et la techno sont les meilleures musiques pour illustrer le concept de futur proche, mais qu’elles ne sont pas forcément le futur de la musique ?

La techno est le rythme du futur. Et la house… Mhhh… Le terme de house a été galvaudé. On essaie de nous faire avaler que la house, c’est ce qu’on entend dans les magasins de fringues, dans les ascenseurs ou à l’aéroport. Mais ça n’est pas le cas. Ces deux musiques sont devenues un énorme succès commercial. On n’aurait jamais ne serait-ce qu’imaginé que vingt ans plus tôt, on en arriverait là. À Berlin où je réside, on a parfois l’impression qu’il n’y a que de la techno et de la house, rien d’autre.

Tu parlais de David Bowie juste avant. Dans ton morceau « Army of Strangers », il y a clairement du David Bowie dans la façon de chanter, dans l’orchestration. Tu as poussé loin l’hommage…

Pour tout te dire, la chanson a été écrite en premier lieu pour… David Bowie. Je le voulais sur ce morceau. Mais ça n’a pas été possible parce qu’il est mort. Je lui ai envoyé le morceau deux semaines avant sa mort via un ami en commun. Du côté de l’entourage de Bowie, on me faisait comprendre que ce serait pas forcément une bonne chose parce que le morceau était écrit exactement comme un morceau de Bowie. Faut le prendre soit comme un compliment, soit comme pour me signifier que j’ai essayé de lui ressembler trop fort. Bowie est plus qu’une inspiration. Tout l’album respire pour Bowie, même la pochette du disque, les vidéos, les paroles. David Bowie est la plus grande inspiration de ma vie, sur tous les aspects.

bowie

En 1992, tu as donné ta Definition Of House Music. Quelle est-elle aujourd’hui, en 2017 ?

Toujours la même. J’ai beaucoup appris de l’histoire de la house et je suis heureux d’avoir rencontré tous les meilleurs producteurs et DJs qui ont créé cette musique. J’ai appris des maîtres. Je travaille toujours à ma définition. Tout le monde a la sienne. C’était déjà le cas avec le punk. Pour moi, la house, c’est le beat parfait, le groove ultime, la magie d’une ligne de basse, des grandes harmonies, de belles structures. La house a toujours été là pour te faire bouger. Point.

Dans le culture club en Europe, on est relativement passés au-dessus des différences d’orientations sexuelles avec les années, mais il y a une tendance un peu malade à retourner au Vieux Monde. On voit régulièrement des choses apparaître contre les droits des homosexuels.

Les DJs et producteurs qui commencent aujourd’hui ne sont pas toujours au courant de l’héritage et l’histoire du mouvement, comme Kraftwerk, Détroit, la libération des mœurs en Europe, les premières raves. C’est un péché ?

Pas nécessairement. C’est même parfois mieux si tu n’est pas accroché par un passé trop lourd. Tu peux créer quelque chose de totalement nouveau. Et cinquante ans plus tard, tu deviens une légende.

S’ensuivent dix minutes de discussion autour du football, parce que DJ Hell en est un énorme fan. Il a notamment été le dj officiel de l’équipe nationale allemande pendant le mondial 2002, mais c’est un peu long et hors propos à retranscrire. Mais, pour vous la faire courte : la FIFA est une mafia ; Poutine, les Qataris et les businessmen dénaturent ce magnifique sport ; revenons aux racines de la passion sportive. Sans transition.

La culture techno est globalement en faveur de plus de droits et d’égalité pour les homosexuels, les femmes, les minorités, les marginaux-ales. On pourra se dire « c’est un peu normal, c’est de la qu’elle vient ». Dans une interview avec la dj chicagoan The Black Madonna datant de mai 2015, elle nous rappelle pourtant que « l’idée que la dance music soit quelque chose comme un oasis par rapport au reste du monde n’est juste pas réaliste. » Il reste du chemin ?

Il reste du chemin, évidemment. Les problèmes persistent principalement en Asie ou en Afrique. En Europe, on est relativement passés au-dessus des différences d’orientations sexuelles avec les années, mais il y a une tendance un peu malade à retourner au Vieux Monde. On voit régulièrement des choses apparaître contre les droits des homosexuels. Ça concerne la vie de chacun et il ne devrait pas y avoir à en discuter. Mais en ce moment particulièrement, il faut le dire fort. C’est ce que j’ai fait sur mon album Zukunftsmusik en bossant avec la Tom of Finland Fundation – qui pousse le travail de Tom of Finland [1920 – 1991 / dessinateur et peintre finlandais, qui a influencé la culture gay par ses représentations fantasmatiques et fétichistes d’hommes, ndlr] sur le morceau « I Want You ». J’y fais un hommage à la culture gay et à la culture club. Je le rappelle, mais la house vient de la culture gay, les premiers producteurs et dj qui jouaient de la disco et de la house étaient gay, Ron Hardy, Larry Levan, Frankie Knuckles et ses premiers danseurs. Peut-être que des jeunes gens ne le savent pas, je ne veux donner de leçon à personne, je veux simplement montrer tout mon respect pour les racines de ma musique, mon art et mes influences.

Dans une autre interview, le dj et producteur italien Donato Dozzy confessait : « En 20 ans de djing, je n’arrive toujours pas à réaliser la réelle utilité sociale de ce que je fais, par contre, j’y ai vu la fonction thérapeutique. » Tu peux commenter en quelques mots ?

Pour la fonction thérapeutique, c’est évident. Bien sûr, je mets mon cœur, mon âme, mon sang, mon ADN dans la musique que je mixe. Ce n’est pas le premier à le dire. Pour le reste, c’est son problème. Pour ma part, je suis persuadé de l’effet social de cette musique. Tu joues une musique devant des gens, elle les affecte directement, sans mots. Je n’ai pas besoin de l’expliquer, je la joue. Je lui conseillerais bien d’arrêter de penser autant. Si tu vas dans cette direction, tu en oublieras de jouer de la bonne musique. Je ne m’imagine pas penser, devant une foule, à l’utilité sociale de ma musique. C’est le mauvais moyen de faire de la musique, tu ne dois penser qu’aux gens qui sont en face de toi. Tu ne dois pas les divertir, mais connecter avec eux. Si tu penses trop, il n’y a pas de connexion.

Zukunftsmusik est disponible depuis le 28 avril sur le label de DJ Hell, International Deejay Gigolo Records

Crédit photo : Greg Gorman

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