Ça n’aura échappé à personne, le Guadeloupéen, le rappeur, l’homme engagé, le saccadeur de mots, le pilonneur de consonnes, Kery James fait parler de lui en 2016 avec son nouvel album Mouhammad Alix, dont l’arrivée dans les bacs à disques est prévue pour le 30 septembre. Comm’ béton, clips egotripés, imagerie aussi marquée que le verbe, Kery James n’a pas un cheveu de travers sur le crâne pour son retour sur le devant de la scène. En témoigne « Musique Nègre », dernier classique en date et passé au peigne fin.
Ambiance en noir et blanc, atmosphère sombre, radicalité et popularité, oui, Kery James est de retour. Quinze ans de carrière dans les pattes, des saillies rendues publiques, un consensus parfois mou, une justesse parfois dure, Kery parle au petit, au banlieusard, au stigmatisé sans faire de détours, n’en déplaise à l’intelligentsia qui le trouve soit trop scolaire soit trop vénère. Faudrait savoir. Rebelotte avec « Musique Nègre ».
En filigrane dans le titre de son nouveau morceau (qui fait suite à « Racailles » sortie le 14 juillet dernier), « Musique Nègre » fait écho à une déclaration du patron de Radio Courtoisie Henry de Lesquen, candidat autoproclamé à la présidence en 2017. Son parti ? PNL, pour Parti National-Libéral. Non, mais vraiment. Son programme ? Abroger la législation antiraciste, détruire la Tour Eiffel, expulser 2 millions d’immigrés, etc. Même Zemmour est un parasite pour lui.
La hyène à particule a proposé de bannir la « musique nègre » des médias. Forcément, le soufflet est total, le duel inévitable. Kery tique.
Pour donner sa vision de la musique nègre, l’ancien membre d’Ideal J ne lésine pas sur le casting de collaborations résistance : Youssoupha et Lino, qui ne sont pas à leur premier coup d’essai dans la tribune anti-raciste, fut-elle toujours juste ou riche d’idées. Le trio n’a pas non plus lésiné niveau figurants : Hayce Lemsi, Rockin’ Squat (Assassin), Sadek, la MZ, Vald, James Izmad, les 2 Bal 2 Neg, Expression Direkt, Bigflo et Oli ou encore Orelsan ont répondu à l’appel dans le clip de Leila Sy pour SutherKane Films. De quoi parler aux jeunes et aux moins jeunes.
Sur les costumes, on retrouve les tenues des blancs colonialistes et des noirs colonisés, des t-shirts à l’effigie du morceau, des meubles dont on dit qu’ils sont « d’époque coloniale », d’accessoires de domination divers. On notera aussi la mise en scène du célèbre podium des Jeux Olympiques de 1968 de Berlin avec Kery à la place de Tommie Smith et Youssoupha et Orelsan à ses côtés (photo en une).
Dans le texte, mélange de premier degré brut, de jeux de mots finement trouvés et de références connues de l’histoire des discriminations des noirs, ça fuse sévère. De « Michel Audiard écrivait ‘les cons, ça ose tout et c’est même à ça qu’on les reconnaît » à « Depuis le bruit et l’odeur, je sens que je dérange la France », Kery ratisse large. Des piques plus ou moins fortes sont également adressées à la LICRA et au CRAN : « Qui va défendre tous nos écrits ? / C’est ni le CRAN, ni même la LICRA » mais aussi aux éditions Fernand Nathan souvent accusées de maintenir les idées coloniales dans les manuels scolaires dans « Je rallume le feu de la révolte / Je brûle les bouquins de Fernand Nathan. » Michel Leeb, qui s’est fait connaître avec ses sketchs d’imitation caricaturale de noirs dans « L’Africain » ou « L’Epicerie Africaine », s’en prend une petite bien placée une nuit où « dans mon cauchemar, j’avais giflé Michel Leeb », tout comme Guerlain et Sarkozy.
Côté hommage, on retrouve les grandes figures de l’anticolonialisme et de la lutte contre l’esclavage : Rosa Parks, Toussaint Louverture, Martin Luther King, mais aussi le nom du bien moins résistant mais tout aussi haï par Radio Courtoisie… Black M. Il rappelle enfin l’histoire d’Adama Traoré, mort le 19 juillet dernier des suites d’un contrôle de police musclé (une affaire toujours pas éclaircie): « À trop respirer le rejet, j’ai le poumon perforé / Je pourrais mourir d’infection comme un Traoré. »
Si l’on voit du prévisible dans certaines attaques (Leeb et Sarkozy) et certains hommages (Parks et Luther King) et la forme des punchlines parfois au détriment du fond (mais après tout ce sont des punchlines), on s’est bien plus laissés convaincre par le rappeur. Déjà plus que sur « Racailles », coup médiatique à tendance « les politiques, tous des pourris » balancé le 14 juillet. En reprenant une expression de Sarko unanimement détestée de la population et redigérée onze ans après, Kery ne risquait pas gros. Le propos musical et littéraire n’est pas au top, mais les excellents retours du public prouvent bien que le constat social est toujours le même en 2016 qu’en 2005. Et que ce disque est un pur produit de l’année.
Ne nous en voulez-pas mais sa diction le rend de temps en temps aussi spécial qu’énervant et il n’est pas rare de rencontrer sur notre route en sa compagnie des portes ouvertes ré-enfoncées. Pourtant, la puissance du mot n’a pas mis longtemps à nous mettre d’accord dans « Musique Nègre », certainement l’un des meilleurs morceaux jamais écrits par Kery James.
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