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Depuis que tu es née, la vie est musique

Mano Solo en désirait éperdument un, Eric Clapton a tragiquement perdu le sien, et deux des plus belles chansons du monde naissaient. Pourtant, l’enfant est loin d’être le thème le plus représenté en musique, même lorsqu’il s’agit d’amour. Il méritait alors bien qu’on lui consacre une playlist, quelques morceaux choisis autour d’une réflexion sur ce que devenir parent implique, pour notre autrice du moins, pour le meilleur et pour le pire. Avec Kate Bush, Andrea Laszlo De Simone, Ariane Moffat, Buridane, Volo et Daniel Darc. Vous pouvez retrouver la playlist sur YouTube, Spotify et Deezer, et dans le corps de l’article.

Bien avant ta naissance, la vie était musique.

150 battements par minute, comme « Dancing in the dark » que nous avons dansé bien des fois, ou « Just like heaven ». « You, strange as angels, dancing in the deepest oceans, twisting in the water, you’re just like a dream ».

Je ne pensais pas qu’il existait un amour qui soit donné sans effort, sans séduction, sans gestes réciproques d’affection. J’avais lu Élisabeth Badinter, écouté une émission de France Inter sur le sujet, je savais qu’il n’existait pas d’instinct maternel et je me préparais à l’éventualité de ne pas ressentir cet élan d’amour que beaucoup de personnes pensent universel et immédiat. Mais lorsque, quelques minutes avant ta naissance c’est le rythme de « Modern love » que ton cœur épuisé a emprunté, j’ai saisi charnellement que ton devenir et le mien étaient désormais liés. Il aura fallu ces quelques minutes et ton tout petit corps posé sur le mien pour que je cesse de tout intellectualiser. Avant toi, je me demandais si le désir d’enfant était mimétique, dû à la pression sociale, lié à une manifestation physiologique ou psychique. Rien n’était évident, tout était sujet à questionnement. Avant toi.

Aujourd’hui, les sages-femmes qui œuvrent en maternité sont en détresse et avec elles (et les quelques eux) les femmes qu’elles accouchent ainsi que leur bébé. Elles travaillent trop, en trop petit nombre, doivent accoucher plusieurs femmes à la fois, pour un salaire misérable alors qu’elles exercent probablement le plus beau métier du monde. La nôtre s’appelait Marie, je n’irais pas jusqu’à lui chanter du Cabrel mais elle a bien versé sur ma vie des milliers de rose. Marie ne le sait pas, mais elle est l’une des femmes qui a le plus compté pour moi.
Depuis que tu es née, la vie est musique.

Les premières semaines n’ont pourtant pas été faciles, nous n’avions pour toute musique qu’une chanson des Foo Fighters qui étrangement apaisait tes pleurs. Je me sentais seule, m’ennuyais, je ne me reconnaissais pas dans cette nouvelle fonction. Il me tardait de reprendre le travail et en même temps je ne supportais pas l’idée de te laisser. Je voulais que tu dormes. Le plus longtemps possible. Je ne comprenais pas toujours ce dont tu avais besoin. Je t’en voulais, je m’en voulais de t’en vouloir, je regrettais ma liberté perdue et l’époque qui avait encouragé nos mères à user du lait maternisé plutôt que du lait maternel. Je n’écoutais plus beaucoup de musique, j’avais peur de ne pas t’entendre pleurer, le casque sur les oreilles. Mon corps ne m’appartenait plus, depuis mon entrée à la maternité il n’était plus qu’un objet, nourricier et médical, exclusivement maternel et si peu féminin. Il me semblait que pour aimer et véritablement habiter mon nouveau rôle, je devais d’abord me réapproprier mon corps.

Le corps reconquis, l’esprit suit. La joie de vivre revient à mesure que les nuits s’allongent, l’amour redevient évident, on se souvient du petit corps posé à l’endroit où bat le cœur. On reprend le travail, on redevient la femme, on laisse son enfant à une autre femme, le corps reprend forme, on sort à nouveau, on prétend que tout est comme avant même si tout a changé. C’est la période de transition. On navigue entre le désir d’être femme et celui d’être mère, on ne comprend pas que les deux peuvent se conjuguer. On accomplit à temps partiel l’un et l’autre métier, on se demande s’il était bien sensé de se battre pour avoir le droit de travailler, si tout cela est bien naturel, on se dit que l’artificiel a du bon aussi. On commence à tout ré-intellectualiser, c’est une bonne et à la fois une triste nouvelle car cela signifie que nous devenons deux êtres bien distincts, toi et moi. Le corps n’étant plus aliéné, l’esprit est libéré. C’est la transition, la prise de conscience qu’une naissance, c’est aussi un deuil.

Mais tu es la vie et depuis que tu es née, la vie est musique. Rien de plus beau ne peut être écrit après ton rire. Tu incarnes toutes les tendances et toutes les mélodies, tu es « Bohemian Rhapsody » lorsque tu m’appelles pleine de désespoir et « Don’t stop me now » lorsque tu cours après les chats dans l’appartement. Tu n’as pas encore un an et je me demande où tu puises toute cette énergie alors qu’autour de toi tout n’est que cynisme, pessimisme et fatigue. Je souhaite que tu ne perdes jamais ces dix sourires à la minute, cet émerveillement chaque fois renouvelé devant tout ce sur quoi se pose ton regard. Tu aimes danser déjà, tu dodelines devant les vidéos de The Kiffness et je m’émerveille de ton sens inné du rythme. Tu es musique et tu fais danser la vie.

Il est tard, tu dors depuis un moment et, le casque sur les oreilles, je pense à Mano Solo. C’est vrai que la vie, c’est pas du gâteau et tu nous en voudras peut-être un jour de t’avoir donné la vie. Mais Eléonore, que serait la musique sans ceux qui désespèrent de vivre ?

La playlist intégrale, à retrouver :

sur YouTube

mais aussi

sur Spotify

et sur Deezer

Photo en une : Andrea Laszlo De Simone extrait du clip « Dal giorno in cui sei nato tu »

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