S’il existait un lieu au détour de la pop mainstream, exactement entre le rap des années 2000 et l’electronica organique anglaise, Simili Gum y régnerait avec douceur et fantaisie. Pour ce chanteur et producteur nomade, la musique s’exprime à travers la spontanéité et une touche de nostalgie que seule l’enfance rappelle.
La première fois que j’ai entendu du Simili Gum, j’ai directement pensé à de la musique composée par un pote. Un son qui rassemble, un morceau qui te fait oublier que la musique doit ressembler à Autechre pour être prise au sérieux. Ce morceau, c’est « Caillou » et il m’a fait rentrer dans un mood de comptines post-adolescente qui réchauffe ton cœur un peu trop serré de sentimental mal assumé. Mais en écoutant plus attentivement, un univers oxymorique s’est ouvert à moi. Une candeur hyper sombre mais presque naïve se dégage de cette musique, comme celle d’un enfant qui grandit trop vite. Une sorte de mélancolie bizarrement empreinte de joie, une sensation de moments féeriques qu’il faut capturer parce qu’ils ne reviendront pas. Il fallait que je rencontre cette personne.
Adieu la raison, bonjour les émotions
Dans le calme d’une journée d’été parisienne à La Recyclerie de la porte de Clignancourt à Paris, Simili Gum revient d’un de ses premiers concerts post-Covid à Strasbourg. Sweat rose à motifs en fleurs rouges et casquette jaune du “Doctor” Valentino Rossi vissée sur la tête, il affiche un sourire timide. Sa fringale de midi est vite oubliée après avoir échangé quelques mots sur son parcours. Il me raconte son odyssée à travers la France.
C’est à Lyon que l’artiste a grandi et passé son enfance. Attiré par la musique depuis tout jeune, il choisit pourtant de s’orienter dans la performance et les arts visuels aux Beaux-Arts. Mais il avoue que cet univers ne le contentait pas et qu’il ne « trouvait pas sa place artistiquement dans sa ville de naissance. » Quand il parle de son cheminement musical, il arrive très rapidement à son arrivée à Marseille en 2019. « À Lyon, je faisais des trucs un peu plus conceptuels, j’avais l’impression que ça ne me connectait pas assez directement aux gens, c’était quelque chose d’un peu trop réfléchi et de pas assez sensoriel. Je me suis dit à ce moment-là qu’il n’y avait rien qui connecte plus que la musique. C’est au-delà de l’intellect, c’est sensoriel, c’est physique. »
Le cadre de sa musique tient dans cette dernière phrase : désintellectualiser l’art et se reconnecter à ses premières sensations. Un mantra qu’il découvre en quittant Lyon pour Marseille. Une ville dans laquelle il a pu libérer ses envies sonores tout en commençant à développer les thèmes centraux de son univers : le rapport à l’intimité, à la communauté et aux émotions. « Arriver dans une ville où je ne connaissais personne ça m’a aidé à vraiment me sentir libéré du regard des autres. C’est quelque chose qui m’a toujours oppressé. Je connaissais seulement deux-trois potes et le fait de me retrouver un peu tout seul là-bas a fait que j’ai commencé à me lâcher, à faire de la musique que je kiffais et de ne pas me soucier de ce que l’on pouvait penser de moi. Quand je suis revenu à la musique, c’était un retour aux sources parce que la musique, c’était la première chose dans ma vie qui m’a fait vibrer et qui m’a fait kiffer. J’ai tellement de souvenirs, enfant, en train d’écouter des disques et de me dire ‘whoua c’est trop bien’ et d’être trop heureux. »
Musique rap, rap musique que j’aime
Pour revenir un peu en arrière, Samuel Gouttenoire – de son vrai nom – avait déjà un passif en matière de musique. Bien avant les Beaux-Arts, c’est le rap et la musique US qui l’ont formé. Il se « butait à Lil Jon, Kanye West et Lil Wayne » ainsi qu’aux clips de Jamiroquai sur MTV. À Lyon, c’est notamment avec Jorrdee qu’il a fait ses armes dans le rap lorsqu’il avait 14 ans, avant de découvrir la musique électronique. « J’ai commencé à m’ouvrir à la musique électronique parce que j’ai commencé à aller en club, en France, pas aux US. A cette époque, il n’y avait pas de son rap en club. D’un coup, je me suis rendu compte que je n’étais pas Américain. Je pense qu’avant que j’aille dans des soirées, dans nos têtes avec mes potes, on vivait à Atlanta. »
S’il faut le caser – contre sa volonté – dans un univers musical, on peut dire que Simili Gum évolue dans celui d’une pop qui s’est débarrassée de ses influences folk. Pas de guitares sèches, pas de batterie rock. De la trap, du R’n’B, de la trance, de l’experimental, de l’ambient, et de la bass au sens clubby du terme. Au même titre que Timothée Joly, Amor Fati, Roseboy666, BabySolo33 et la sphère cloud de Soundcloud, les influences de l’artiste tiennent majoritairement sur les 30 dernières années. Loin de la musique-de-papa-maman, les sonorités de Simili Gum sont novatrices, nostalgiques et générationnelles.
Perdus quelque part entre Brockhampton, Vegyn, Spooky Black, JPEGmafia, pour les sonorités américaines selon mes propres références, la technique vocale et le flow de Simili Gum rappellent foncièrement le hip hop, forcément. Mais de là à qualifier sa musique de rap ? Question futile qui revient apparemment souvent dans la vie du musicien. Ce truchement de journaleux et de distributeurs qui n’écoutent pas de rap (hormis Orelsan, Odezenne et MC Solaar à l’ancienne) ignorent souvent que la pop actuelle, c’est moins Vianney que Jul. La pop n’est que le reflet de la musique occidentale la plus populaire du moment… et c’est le rap, forcément. Quand je lui demande ce qu’il répond généralement à ce dilemme pop-rap, on sent que la question lui a déjà poncé les nerfs : « Personnellement, cette question elle me saoule et encore, je ne pense pas que je suis le plus à plaindre dans cette configuration parce que je suis blanc. Du coup, je suis plus facilement extractible de l’étiquette rap, parce qu’on peut facilement me mettre vers la pop, l’expe pop ou dans l’électronique parce qu’il y a un truc lié à l’apparence. Je pense qu’un artiste qui ferait la même chose que moi en étant noir, ce serait beaucoup plus difficile de dire qu’il ne fait pas à proprement parler du rap. Moi, je pense que je peux le dire et que ce sera accepté que je fais de l’alt pop, de l’alternative pop. »
Dans ses textes, le chanteur caresse les oxymores. Un peu de tristesse, beaucoup d’espoir, énormément de mélancolie, mais toujours avec l’envie d’incarner un message positif. Et quand on l’a en face de soi, Simili Gum incarne une ambivalence entre une timidité parfois hésitante et un formidable bouillonnement d’idées et d’envies. Son parcours prouve un amour profond de l’expérience, des voyages, des rencontres et d’une vie sentimentale un peu secrète qui semble lui avoir laissé quelques plaies presque inavouées. Quand il s’agit de sa musique et de ses projets, il laisse peu de place à l’aléatoire. Il l’avoue, il frôle le “control freak”. Il est à la manœuvre à tous les niveaux de son projet, chanteur, auteur, producteur, monteur, mixeur, communicant… Le résultat est donc cohérent entre des clips vaporeux, des paroles à base de punchlines rap, et d’images cosmiques. Il faut dire que depuis qu’il a véritablement lancé son projet Simili Gum, le producteur n’a pas cessé de diffuser sa musique : Enfin repos début 2019, Salade de Pluies avec M.O.R.S.E, un split EP avec son colloc, Dymanche et Pacifyer le dernier EP en date suivi d’une ribambelle de clips et de collaborations. En live aussi le producteur ne chôme pas. Il a d’ailleurs assuré en 2021 la première partie de la tournée de Oklou, un début de consécration.
Seul comme en communauté
Attaché à son anonymat, le producteur n’est pas moins dépendant de la relation avec ses proches qui guide sa plume et sa musique. Quand il mentionne la solitude, Simili Gum admet qu’il a besoin plus que jamais des autres, de ses managers, de ses potes artistes, et surtout de sa communauté. À l’instar de son colocataire, le chanteur et producteur Dymanche, Simili Gum aime faire participer son entourage dans son univers artistique : « Premièrement, quand je suis solo pendant plus de trois jours, je déprime de ouf ! Ça va pas bien, j’aime bien rencontrer du monde, des gens qui sont dans d’autres énergies que la mienne qui me sortent de moi-même. Ça me plaît jusqu’à un certain moment après j’ai vraiment besoin de solitude, mais quand j’étais plus jeune je pensais vraiment que je pouvais me débrouiller tout seul, que je pourrais vivre comme ça, que j’irais très bien et que je n’aurais pas besoin des autres. J’ai vite compris à quel point c’était faux. »
Dans son rapport à l’individualité, l’affirmation d’être un musicien a été un révélateur sur le plan psychologique. Tout simplement dans sa dimension d’ouverture. « La musique maintenant, c’est tellement 100% de ma vie. Souvent quand je rencontre des gens, ils savent ce que je fais. C’est déjà une frontière de franchie, ça facilite les relations parce que de base j’ai du mal à aller vers les autres. » D’autant plus grâce au live qui est, selon lui, une façon de comprendre son univers plus aisément.
En passant du temps avec lui, je pense comprendre que ce qui influence Simili Gum dans son projet, ce ne sont pas ses choix artistiques, mais plutôt son besoin irrémédiable d’exister à travers ce qu’il sait faire de plus sincère. À la façon d’un Lil B, il pousse la productivité jusqu’à son paroxysme et paradoxalement ce n’est pas pour la fame mais plutôt pour rencontrer des amoureux·ses de son comme lui. À la fin de notre entretien, je lui demande de retenir un mot ou une caractéristique de sa musique : il choisit la spontanéité. À la manière d’un enfant, Simili Gum sacralise l’instant.
Là où se termine l’enfance
Comme pour de nombreux artistes de la scène pop actuelle, j’ai souvent l’impression que l’enfance s’immisce dans le décor de son univers. Peut-être est-ce le trompe-l’œil des sonorités claires, des schémas harmoniques simples ou l’apparente accessibilité des mélodies qui m’emmène vers cette interprétation, difficile à dire. Mais ce qui est sûr, c’est que la pop alternative de 2010-2020 est encore très portée sur des esthétiques multicolores, des typos kitschs de Skyblog et hantée par des voix haut perchées de chipmunk avec des mélodies mainstream à la limite du commercial. Une madeleine de Proust pour notre génération, celle des derniers millenials des années 2000, celle des débuts d’internet et de la fin de l’espoir que le capitalisme ne va pas tout ronger. En tout cas l’artiste ne cache pas que cette période de sa vie est à la source de sa musique : « J’ai tout de suite eu très peu d’espoir en l’avenir. On est sur une planète qui est en train de mourir, dans des sociétés qui partent en vrille avec des gens de plus en plus pauvres d’un côté et des gens de plus en plus riches de l’autre. J’ai le souvenir que quand j’étais gamin, mes parents essayaient de me faire croire que le monde était comme ça et qu’il était bien ainsi, mais je pense que j’étais déjà sceptique sur le réel intérêt de ce monde et du système. »
D’une autre façon, l’enfance est toujours au centre du développement des individus, pas besoin de faire de la psychologie de haut niveau pour comprendre que nos souvenirs musicaux peuvent laisser des marques impérissables. Au cours de notre entretien, Simili Gum admet que le passage entre le Samuel de Lyon avec ses disques d’enfants, et celui de 2021 du Val-d’Oise dans sa communauté d’artistes est difficile à définir.
Durant cette heure et demie passée avec lui, il me raconte une anecdote qui représente, à mon sens, parfaitement sa musique et ce rapport qu’il entretient avec l’enfance. Plutôt qu’une conclusion bateau voici ses mots :
« J’ai retrouvé une boîte à musique que j’avais étant enfant, j’ai commencé à en jouer et ça m’a fait fondre en larme. Je pense que ça m’a rappelé une mélodie que j’avais écoutée quand j’avais trois ans. Mais je ne me souvenais pas de cette mélodie, c’était comme si mon cerveau avait fait la connexion sans que j’en prenne conscience. Les sons de mon enfance, l’énergie de mon enfance, ça m’inspire grave, je pense que pendant cet épisode de ma vie, j’ai vécu comme, tout le monde, un spectre d’émotions que je revis en tant qu’adulte et que j’assimile à des périodes. J’arrive autant à puiser cette sorte d’énergie et de puissance que j’avais à cette époque-là en temps que gamin quand je sortais partout, que j’écoutais du son partout et que je me sentais trop heureux, mais aussi dans les moments pendant lesquels j’étais aussi très mélancolique. Quand je me plonge dans ce sentiment-là, enfantin, j’arrive à capturer tout un tas d’émotions qui sont encore très réelles aujourd’hui parce que, pour moi, rien n’a changé. Ça explique peut-être pourquoi je suis encore dans un mood comme ça, pour moi c’est juste un prolongement. »
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