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Dakh Daughters, la bombe subversive venue de Kiev

« Chanter, c’est faire de la politique ». Cette citation de la Bolivienne Luzmila Carpio dans le programme de Worldstock annonce la couleur de cette deuxième édition du festival dédié aux musiques du monde aux Bouffes du Nord (Paris). Un festival ouvert de façon magistrale et détonante par une troupe féminine vraiment unique, les Dakh Daugters.

On commence à s’en rendre compte, même en France : rien de plus dangereux et subversif qu’un clown en colère. Les filles du Dakh l’ont bien compris. Le groupe de punk/rap/musique traditionnelle est né en 2012. La plupart des membres sont issues de la compagnie de théâtre du même nom, créée à Kiev il y a plus de dix ans. D’autres étaient dans le groupe DakhaBrakha (groupe ayant pas mal tourné en France l’an passé, notamment aux Trans Musicales). Derrière la fantaisie du maquillage de clown et l’ambiance cabaret, on découvre très vite une démarche artistique très loin de la légèreté.

Avec une grosse dose d’humour noir et de burlesque, Dakh Daughters conte des histoires crues, désenchantées. Un quotidien où la poésie ne semble pas pouvoir s’épanouir. Derrière les musiciennes, des images en noir et blanc défilent. Des paysages, des visages, des usines. On navigue entre un Ken Loach et Les Temps Modernes de Chaplin. Et pourtant, sans trop comprendre quand et comment, la folie et l’espoir prennent le dessus. L’espoir par la folie. La musique devient alors hautement explosive et enjouée. Cette vidéo, réalisée pendant la révolution ukrainienne, restitue parfaitement l’imbrication du groupe et de sa musique à Maïdan. Pour les plus pressés, la musique commence au bout de 5 minutes.

Si la démarche initiale de la troupe n’est pas politique, ses performances et ses créations le deviennent très rapidement. Rétrospectivement, en voyant ces écorchées vives sur scène et la rage portée de façon si belle, il y a presque une évidence. Comme si l’histoire avait provoqué la rencontre de ces femmes avec le destin de leur pays : « Nous sommes toutes allées sur Maïdan, que ce soit en tant que citoyenne ou en tant qu’artiste. Et cela nous a donné envie de travailler encore davantage. En fait, on a senti cette effervescence artistique il y a 10 ans déjà. On a fait notre possible pour que nous et les autres artistes ukrainiens puissions nous épanouir le moment venu. Et tout ce qui s’est passé pendant la révolution est le fruit d’un travail de plusieurs années. Maïdan est le sommet visible d’une montagne. Nous prouvons aujourd’hui que nous avons des choses authentiques, originales, inédites et d’une grande qualité artistique en Ukraine. La révolution est un énorme moteur pour le milieu culturel contemporain ukrainien. Et l’art de « résistance », comme on peut l’appeler actuellement, est toujours plus puissant, plus solide. » (Source de l’interview)

Musicalement, le groupe se permet toutes les fantaisies. Comme mélanger du rap chanté en français avec des mélodies traditionnelles ukrainiennes et des rythmes orientaux à la darbouka. Le tout, sur des textes originaux mais aussi de Charles Bukowski, de Shakespeare ou encore du poète ukrainien Taras Shevchenko. Le grand écart ? Même pas peur. Les changements de rythmes et d’ambiances s’enchaînent à un rythme peu habituel. La dissonance n’est pas du tout tabou. D’ailleurs, rien n’est tabou, rien n’est sacré. Tout est permis.

Il y a quelque chose d’extrêmement fragile chez les Dakh Daughters. On assiste à leurs acrobaties artistiques sur un fil en se disant que l’improbable attelage (aussi bien musical qu’esthétique) peut très vite virer au ridicule. Et pourtant, les Ukrainiennes parviennent à chaque fois à faire mouche. Et leur fragilité devient alors une force terrible. Si la troupe revendique son attachement à la culture européenne, on ressent pourtant une forte filiation avec les récents mouvements artistiques et subversifs venus de Russie, des Pussy Riot à Voina. Une volonté de sublimer l’art par la politique. A moins que ce ne soit l’inverse.

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