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Concerts, festivals, teufs : notre collectif raconte son manque

Petit exercice collectif : on a demandé aux membres de notre chère coopérative Sourdoreille (producteurs·rices, administrateurs·rices, journalistes, vidéastes, ingé-son, community managers, etc) d’écrire un petit texte. L’idée : de quelle manière, à titre individuel, la musique live (concerts, festivals, teufs) vous manque-t-elle ? Loin de la politique et du professionnel, place à l’intime, l’anecdotique et l’amour. Parce qu’on a besoin d’affect.

Justine : Le parfum de la rosée sur l’herbe

Le printemps 2020 s’annonçait pimpant, avec une programmation qui sentait bon le retour des beaux jours. Le festival L’Ère de Rien, la dernière création de Damon Albarn, le Hellfest, quelques concerts dans des rades encore non explorés… Tel le jardinier qui au printemps observe avec plaisir les valeurs sûres de son jardin reprendre avec vigueur et les nouveautés qui poussent, le confinement va me priver de ce plaisir intrinsèque. L’odeur de la nuit qui tombe, le parfum de la rosée sur l’herbe après un concert qui t’a transportée, le plaisir de partager ces moments avec tes amis, les discussions à n’en plus finir, la découverte d’une énième bière locale bio mais ô combien appréciable à n’importe quelle heure de ta soirée…

Des sensations qu’on espère pouvoir revivre pour respirer à nouveau.

Erwan : Sans mon amoureuse

La semaine dernière, je devais amener mon amoureuse à un concert à l’Olympia. C’était son cadeau d’anniversaire, une date que l’on attendait depuis plusieurs mois. Pas uniquement parce qu’on aime beaucoup l’artiste en question, James Blake, mais parce qu’avant tout, se rendre à un tel événement permet de créer des souvenirs communs. Comme ceux que l’on a créés en festival, où je pouvais serrer mes amis, les porter sur mes épaules et essayer de beugler des paroles que l’on ne connaissait pas. A ce moment où le chanteur du groupe était porté par la foule et où mon amie avait l’impression qu’il la regardait, elle, dans les yeux. À la fois, où je l’embrassais pendant cette musique, au milieu de cette immense foule. Peut-être qu’il ressemblait à des milliers de baisers qu’on a pu avoir, mais pour moi, il avait un gout spécial. À cet instant après 6h de musique, quand je me demandais dans la navette du retour, si je devais être raisonnable et me rendre dans mon lit de fortune, ou suivre mon pote, aussi joyeux que moi, dans un rare troquet ouvert. À la fois, où j’amenais mon père à un concert pour lui faire découvrir mes goûts, sans être certain de ce qu’il allait en penser, et que je le retrouve à la fin, aller féliciter l’artiste en question.

J’écoute, pour la énième fois, l’album de l’artiste que l’on devait voir à l’Olympia. Mais sans mon amoureuse et sans mes amis autour, ces souvenirs et cette musique ne provoquent pas vraiment la même sensation.

Cindy : Chaque été, c’est Noël

Chaque été, c’est Noël. Les retrouvailles en famille, la famille de copains, et sans le tonton raciste. La fête, jusqu’au bout du petit matin. On enchaîne les festivals, 3 jours en Bretagne, 3 jours en Creuse, 3 jours où vous voudrez tant que la musique nous fait danser. Comme chaque année, mon festival préféré me fait rêver, autant pour sa programmation que pour ceux que je retrouve. La Route du Rock, ce festival où je lâche tout, toute la pression de l’année, où je perds ma voix qui est pourtant mon outil de travail. Peu importe, c’est mon moment. C’est notre moment. Celui où on se dit tout notre amour, où on se serre fort dans nos bras, où on se partage nos paillettes, où on danse sur les tables qui cassent à cause de la pluie.

Que ferons-nous cette année ? J’ai peur pour nous, que nous n’ayons pas notre bol d’air suffisant pour une nouvelle année de travail. Et j’ai surtout peur pour eux, qu’ils ne reviennent plus, alors qu’ils sont nos Pères Noël.

Loucas : Où sont les sourires ?

La musique m’aide beaucoup en ces temps de confinement. Elle adoucit ces moments bleus inévitables, à me défouler en faisant du sport foutraquo-dansé, à envoyer l’esprit vagabonder… La musique de ma solitude qui ne m’a jamais quitté est là pour moi et m’aide comme elle l’a toujours fait au quotidien. Mais la musique est plurielle et est toujours reliée à un contexte. La musique, c’est aussi mes potes et une communion autour d’une vibration. Cette musique qui s’adresse du bout des doigts, du bout des lèvres à une oreille, à un corps, qu’elle enveloppe, cette musique qui grogne, mord, caresse, berce… qui se vit dans un présent, dans un espace, me manque. Alors je regarde les concerts comme je regarde la rue, à travers une fenêtre. Son épaisseur rend tout ça bien fade… Je me souviens du concert de Nick Cave et sa main tendue attirant celles du public, de Fairmont à Astropolis qui avait fait resurgir une énergie alors que je pensais n’avoir plus aucune sève, du cri « DOURRRREEEUUHHH » qui se mêle aux rythmes, des afters parking, de l’esprit free party… Ces rassemblements où on danse tant que les jambes nous portent, où on se laisse porter par le groove d’un artiste, où on prend nos marques sur sa proposition, avec ses potes, avec tout le monde, me manque. Et je me languis de retrouver cet état d’esprit d’amour mis à disposition, qu’on donne, qu’on prend et qu’on fait grandir ensemble.

Mais je le crie : Où est le partage ? Où sont sont les sourires ? Où sont les têtes qui se balancent, les pieds qui tapent, les slams, les p*** de portables levés, la bière chaude renversée, la bière fraîche bue, les pogos, les mains en l’air et les danses foutraques ? D’ailleurs, tout musicien qui fait un concert en direct sur internet souligne cette gêne face à ce vide virtuellement plein… L’été est déjà fané et on ne sait pas quand reviendront les bourgeons. Mais j’aime les fleurs et quand elles reviendront, ce sera la fête.

Sami : La musique est vitale

On peut vivre sans musique, sans concert, sans festival. Mais que vaut une vie qui ne se résume qu’à la survie ? Ce qu’on retient de nos vies, ce sont des moments d’amour, de partage, de fous rires. Des sensations. La musique me fait pleurer, de joie et de tristesse. Elle amplifie le goût de tout ce que je vis. Sans elle, tout aurait moins de saveur. Elle m’a fait rencontré une grande partie de mes amis. De mes amours. Alors même si cela paraît excessif, je n’ai aucune honte à clamer que je ne veux (et ne peux) pas vivre sans musique. Et donc sans musiciens, sans concerts, sans festivals.

Thibaut : Comment on fait sans ?

Je ne comprends pas… A bien regarder, il n’est pas si loin ce temps ou j’ignorais tout de cette sensation de bonheur tangible que seuls m’apportent les concerts. Et pourtant, pour moi, ça remonte à une éternité. Il y a eu les festivals. Ceux où mes parents m’emmenaient à reculons. Ceux où je me retournais la tête face à un public qui s’écartait pour laisser place à mes premiers pogos. Ceux où ces groupes dont je n’avais jamais entendu parler s’apprêtaient à devenir mes nouvelles idoles… Il y’a eu la MJC, leurs concerts, la rencontre avec ce mec de mon lycée qui portait des t-shirts Stupeflip. Ce même mec avec qui j’ai partagé notre premier groupe de rock. Il y’a eu les 2h30 de noctilien pour rentrer de l’Olympia, la Cigale, le Trabendo… Il y a eu les groupes qui m’ont déçu et ceux que que j’ai vu plus de fois que de raison. Il y a eu les teufs aussi. Faire la fête tous ensemble au rythme des kicks. La danse toute la nuit. Mon regard émerveillé la première fois que j’ai vu un artiste jouer live sur un modulaire qui faisait deux fois sa taille. Il y a eu le déclic. La découverte des autres salles de concert. Les « plus petites » comme on dit. Cette période où tu pouvais être sûr que de 19 à minuit, il n’y avait personne chez moi, cause : JE SUIS EN CONCERT. Il y a eu toutes ces rencontres improbables. Ce festival que j’ai monté avec les copains. Ces blessures de guerre indélébiles récoltées a coup de slam foireux et de pogos honteux…

Partout, il y avait ce bruit constant, toujours plus présent dans ma vie, toujours plus fort. Et maintenant c’est le silence… Comment on fait sans ? Je ne comprends pas… C’était hier tout ça, et pourtant c’était il y a toute une vie.

Laure : Les concerts de rue

Est-ce que la musique me manque ? Les concerts oui, pour ce qu’ils promettent de communion entre les êtres. Debout parmi les autres, j’y ressens souvent les liens qui nous unissent. Sauf que la musique s’est infiltrée dans mon quotidien sous une nouvelle forme. Elle s’est immiscée de façon inattendue en s’appropriant le bitume, et elle unit ici des voisins. De gens qui se croisaient en lançant un sourire en coin, les concerts de rue, rendez-vous de 20h, ont créé quelque chose de nouveau où riverains échangent en se réappropriant la rue. On y chante, on y danse ou on y écoute dans un silence ému le son produit par un violoncelle, une voix, une clarinette ou un accordéon. La musique réunit toujours les êtres. La musique a aussi ce pouvoir d’apaiser. Et elle est rentrée dans ma maison bien plus forte qu’avant. Elle y comble les espaces laissés vides par les absences de voix. Le poste ne retransmet plus les informations mais du classique ou du jazz. Au hasard des rediffusions, elle emplit l’espace. La musique devient enfin tueuse de temps lorsqu’il s’agit de l’apprivoiser. Elle se pratique au n’goni et émet des sons d’une douceur infinie. J’y effleure les cordes pour trouver les notes qui résonnent ensemble, pour retrouver la beauté d’une mélodie qui rentre délicatement par mon oreille et emplit finalement mon cerveau de bien-être.

Enfin, vivement les concerts quand même.

Thomas G : Je me prends pour un électron

Je crois que ce qui me manque le plus, ce ne sont pas vraiment les concerts en eux-mêmes. Non, c’est ce moment qui se situe généralement entre le troisième et le dernier morceau. Ce moment où l’excitation des premières minutes est retombée, ce moment où je me jure de faire durer cette pinte jusqu’au dernier kick pour ne pas retourner au bar, ce moment où chaque ami·e autour de moi rentre dans sa bulle respective. C’est alors que, discrètement, je recule d’1,5m pour me fondre dans une nouvelle masse d’inconnus, et je me tais. A l’abri de tous les regards complices et toutefois chaleureux de ma bande de potes, je divague. Bercé par les accords de la guitare électrique et les arpeggiators du synthétiseur, je me prends pour un électron circulant librement dans cet immense câble qui longe le plafond, là, juste au dessus de la scène. Au fil des allers-retours entre la console son et le tableau électrique, je gamberge à 300 0000 km/s. Je retourne dans la cour de récréation de mon école maternelle et je vois mon frère se péter le cubitus sur le toboggan, si seulement j’avais pu amortir sa chute. Je me revois au skatepark de Treillières, en sueur et le jean déchiré, demander à Marion si elle veut toujours sortir avec moi, comme convenu. Dans le garage de Dorian, je m’acharne maladroitement sur la caisse claire en pensant à Nick Mason. Au fond de la classe, je m’insurge contre Mickaël qui fout la misère à Arthur depuis la rentrée et je me dis que, moi Président, je réglerai toutes ces injustices. Je retourne sur le Machu Pichu et je me dis que j’y retournerai. Je regrette mes échecs amoureux mais je me console en me disant que ça m’a fait grandir.

Je repense à mon premier appart et BOUM. Lumières. Applaudissements. C’était le meilleur live de toute ma vie. Bref, en fait, les concerts me manquent terriblement.

Sarah : Coupée, l’herbe sous le pied

La musique m’a été enlevée au moment même où je commençais à la laisser rentrer. On ne peut pas dire que j’ai baigné dans la musique étant jeune et je n’ai pas assisté à énormément de concerts et événements musicaux de petite ou grande ampleur dans ma vie. Quand je suis arrivée dans mon master il y a deux ans, j’ai eu un sentiment de retard à rattraper. D’abord parce que j’ai découvert un univers qui ne m’était alors pas familier du tout. Depuis que je suis arrivée à Paris, j’ai l’impression d’être plus ouverte et d’en apprendre chaque jour un peu plus. Et le confinement me pousse à aller en écouter encore et encore. Mais uniquement sur internet. Là où la frustration est la plus grande, c’est quand je vois toutes ces soirées (dans une ville où je viens juste d’arriver, où la bière aurait dû couler à flot et où la musique aurait été la plus forte) sont annulées une à une. C’est toutes ces nouvelles rencontres que j’avais imaginées faire dans ma tête qui ne se feront pas. C’est aussi l’impossibilité que j’ai d’aller voir des concerts où d’aller à des festivals au moment où j’en ai le plus envie et besoin. Je me sens empêchée, j’ai l’impression d’avoir l’herbe coupée sous le pied. Mais d’un autre côté j’ai jamais été aussi proche de la musique qu’auparavant et le confinement y est pour beaucoup.

Une chose est sûre, c’est que l’année à venir sera beaucoup plus riche de mon côté en concerts, en festivals… J’ai trop pris pour acquis ces événements, comme si ils nous étaient dus naturellement. Et quand tu apprends que tu vas passer plusieurs mois sans rien, le désir est d’autant plus grand et la hâte de plus en plus difficile à contenir.

Thomas D : Nostalgie quand tu nous tiens

Nostalgie, tu m’habites. Même si j’écoute davantage la radio en ce moment, ce n’est pas de la FM favorite des anciens où ce bon vieux Francis Cabrel chante « est-ce que ce monde est sérieux » qui me vient à l’esprit. Rappelons-nous des images mentales de concerts. Souvenez-vous lorsque nous attendions 15 minutes un demi éventé payé 5 €, qui plus est pour financer la bière du grand capital. Sauf qu’aujourd’hui la nostalgie vous colle à la peau, comme le t-shirt de votre voisin trempé à l’odeur de sanglier en rut. Ah les fameux concerts du mois de juin… Nostalgie quand tu nous tiens.

Clément : Ce monde peut être beau

Je vis seul. Mes amis sont cette famille que j’ai choisie. Un beau et grand groupe soudé par l’amour de la fête. Elle se joue sans déclaration et est toujours là pour ceux qui veulent s’y joindre. Or il n’y a pas de bonne fête sans musique. C’est à travers elle, dans ces moments bruyants pleins d’énergie, que l’on peut parler sans les mots. Car c’est sur les chemins qui nous mènent aux pistes de danse, ceux qui nous ramènent, pressés contre un bar poisseux ou au milieu des basses alors que nos corps ne répondent plus à personne mais parlent à tous, que nous nous disons le plus. Parce que toute l’émotion que nous inspire le ronron insipide du monde explose ici. Dans ces espaces résistants véritablement libres, on hurle ce que les mots ne peuvent pas dire. Quand les citadins que nous sommes peuvent enfin frapper le sol de leur pieds et crier leur vie, la musique ne les réprime pas, elle les encourage. Alors je regarde mes amis. Leurs yeux qui se plissent, leurs lèvres fumantes, le bruit de leurs rires, et leurs bêtises qui volent à mes jours et mes nuits la force de traverser la léthargie des heures banales qu’il reste dehors.

Du bref temps d’un concert à l’expérience quasi-libertaire d’un bon festival, j’ai le sentiment profond que la musique vibre en nous et dans ce qui fait de nous des humains, enfouie dans nos gênes, sous des couches millénaires. Par leurs gestes, alors que la musique sature nos tympans et que les lumières cognent nos pupilles, je sais que ce monde peut être beau, peut-être. Donnez moi tout l’argent et le gras du monde, sans ces moments, je suis une plante sans eau ni soleil. Ai-je vraiment besoin de te dire si tout cela me manque ?

Pauline : Les scènes s’envolent

« En 2020 tout ira bien ! » se disait-on en se claquant la bise le 31… Au énième jour de confinement, la donne a changé. Après avoir déposé mes cartons dans ma région natale, je me faisais une joie de profiter d’une belle saison estivale dans les Côtes-d’Armor avec sa pléiade de festivités musicales en tout genre. En commençant par Art Rock, durant le week-end de la Pentecôte : rendez-vous inconditionnel des Briochins. 37ème édition annulée et de belles scènes s’envolent. Tristesse. On oublie une ville grouillante, on oublie les tergiversations pour savoir « qui va voir quel artiste et à quelle heure ? », les apéros avec les copains, les débriefings d’après concerts autour d’un kebab ainsi que les pauses pipi devant les longues files aux toilettes où on se fait d’autres copains. On oublie, les frissons devant la musique d’un artiste jamais vu en live, les rappels de la foule, les apartés de concerts dans les bars avec des groupes du coin, les pogos endiablés à la Passerelle, sans oublier les afters (im)mémorables : pourvu que la fête ne s’arrête jamais.

Aujourd’hui la fête et la musique sont en stand-by. Coup dur. Il y a les gros festivals, des plus petits et aussi des artistes, techniciens qui se retrouvent sur la touche. Jusqu’à quand ? Pour ma part il me tarde de reprendre la caméra pour filmer la sueur du chanteur, le riff du guitariste, la clameur du public. En attendant j’ai réparé la chaîne hifi et je me passe de vieux CD de l’avant CoviD. On se console en se disant que (cette fois-ci) en 2021 tout ira bien.

Maxence : Demain, dès l’aube

Demain, dès l’aube.
Demain dès l’aube, à l’heure où rugissent les bars
Je larsen-erai, Vois-tu, je sais que tu m’entends,
J’irais par les caf-conc’, j’irais par les bars,
Je ne peux m’épanouir loin de toi plus longtemps.
Je hurlerai les yeux fixés sur un micro,
Sans rien entendre au retour, hurlerai toute la nuit,
Je t’aime, oh oui concert je t’aime,
Triste sera l’été 2020, sans festival, c’est la Nuit.
Je ne regarderai ni la vide billetterie,
Ni cet ampli silencieux en arrivant au Cargo,
Et quand j’arriverai, j’inscrirai ici,
Mon Bonheur s’est éteint, apporte moi un whisky.

#DDLA FREESTYLE #1 – MC Hugo Vik
(PS : le Cargo est la SMAC de Caen)

Note d’intention :

La musique est probablement la chose qui compte le plus dans ma vie, qui la rend moins triste, plus amusante, plus galvanisante. La musique cristallise la moindre de mes émotions. Elle me permet d’affronter le monde, rester vivant. Alors si MONSIEUR Covid-19 voulait bien se donner la peine de rentrer chez lui, ça serait furieusement sympathique, ça commence à m’ennuyer de jouer à Minecraft.

Alix : Un été sans amour

Si on m’avait dit ce que cet été on serait privé de concerts et de festivals, j’aurais rigolé et imaginé que ce pourrait être le scénario d’une mauvaise dystopie. Pourtant nous y sommes, cette période c’est normalement celle du coup d’envoi de l’habituel marathon culturel et festif mais nous voilà coincés entre quatre murs. Comment trouver un sens à notre été s’il n’est pas rythmé par ces moments où le cul posé dans l’herbe on planifie le week-end de concerts en sirotant une 86 tiède ? Planning qui reste rarement respecté puisque certains concerts nous auront décollé l’oreille interne, endoloris le muscle de la dance et envoyé dans la stratosphère nous en faisant louper d’autres. Tant pis puisque qu’on aura vécu ce fameux moment de plénitude avec un artiste, coincé au milieu d’une foule euphorique et ivre de joie. J’avoue, j’ai pleuré devant Scorpions et leur guitares en feu à la fête de l’Huma puis fait des grands coucous à Bachar Mar Khalife parce qu’ultra fan et p’têtre même un peu amoureuse pour terminer bras dessus bras dessous avec des inconnus sur « Je danse le Mia ». Les festivals l’été, c’est plus qu’une fête. A côté le nouvel an, mon anniversaire et celui de ta grand-mère c’est du chiqué. Les festivals c’est la claque que tu attends de recevoir tout l’année. Cette claque musicale et alcoolisée qui te fait supporter une année de dur labeur, cette claque qui te met les poils dès que tu y repenses, cette claque qui te dit que la musique, les potes et le ti-punch c’est la vie.

On vient d’en recevoir une autre, les sourires ont disparu. Alors certes on planifie le off dans un jardin mais la certitude est là, notre été n’aura pas la même saveur.

Paul :

Les flashes qui marquent nos rétines. Les basses qui nous bousculent. L’adrénaline. Les rythmes effrénés. Les paillettes qui subliment nos minois. La dopamine. Les cheveux qui se meuvent. Les bassins qui ondoient. Les bras qui oscillent. L’élévation. Les sourires. Les éclats de rire. Les battements de cils au ralenti. La bienveillance des regards échangés. La puissance du groupe. La force de la tribu. La famille, les frères, les sœurs. La clameur. Nos cœurs qui battent la chamade. La liesse. La brûlure de l’alcool fort. L’excitation. Les confessions. Les étreintes. L’incandescence de nos baisers. La fièvre. Les miaulements. Les lèvres chaudes et humides. Les étoiles dans nos yeux. L’extase. L’art de la fête. Le plaisir. Le jeu. Les pyramides humaines. Les crabes. Le camouflage végétal. L’usine à saucisses. Les karaokés sous hélium. Les déguisements. Les costumes de T-Rex. L’allégresse. Les textos qui préviennent : “Régie gauche.” Les cœurs avec les doigts. L’extravagance. Les visages crispés qui rugissent : “Han mais j’adore !” Le diamètre d’un verre à pinte. La bière comme désaltérant. Boulimie houblonnée.

Before. Dire au revoir au soleil. After. Dire bonjour au soleil. Les réjouissances diurnes. Les festivités nocturnes. La fête qui dure des jours. Les cervicales éreintées. Les pieds fatigués. Les baskets usées. Les lendemains difficiles. Dormir. Recommencer. Voilà ce qui me manque.

Jules : Je ne réalise pas encore ?

J’ai l’impression que ça ne m’affecte, pour le moment, pas tellement… Est-ce parce que je ne réalise pas encore ? Ou bien c’est peut-être juste mon aisance à me contenter de vivre ce qui arrive, quoi qu’il arrive, quand ça arrive. Profiter, quoi ! Et s’adapter. Bon, c’est vrai que mon microcosme actuel s’y prête. En coloc’ à cinq, une danse frénétique nous anime régulièrement le matin ; cafés à la main, le soleil fonce sur la boule disco pour envoyer valser un millier de paillettes sur les murs, des déguisements jaillissent de toutes parts, chaises, tables, canapés, deviennent des obstacles sur lesquels grimper. C’est presque magique. Ça fait un bien fou. Alors non, Annie-Claude (Duchess Says) ne me fera pas monter sur scène cette fois-ci, Olivia (The Dø, Prudence) ne me répondra pas d’un sourire quand je ne lui crierai pas niaisement mon amour pour elle (si, si, c’est moi qu’elle regarde, j’en suis sûr), je ne fondrai pas devant Klô Pelgag ou Izia, je ne ferai pas de chouettes connaissances lorsque je ne déambulerai pas à 5h du mat’ perdu au milieu du camping.

Mais il y aura autre chose, hein ? Un p’tit apéro dans le jardin, une idylle éphémère, une connerie à faire, des ami·e·s avec qui partager, profiter, aimer. L’été est fait pour ça, non ? Avec ou sans concert. La vie est là pour ça. À nous d’imaginer la bande son idéale pour chaque moment.

Ronan : Le fardeau

Le manque,
c’est ce germe qu’on traîne comme un fardeau,
c’est la part obscure,
ce qui n’est plus,
ce qui n’est pas,
ce qui ne sera peut-être plus jamais,
c’est ce vide qui nous bouffe,
c’est ce que seule la mélancolie peut venir, pour un temps seulement, combler.
L’art du concert me manque.
L’émotion,
L’ivresse.
Mais puisqu’il y a du beau en toute chose,
le manque contient sa part de beau,
s’il y a manque,
c’est qu’on a vécu,
c’est qu’on a vibré
c’est qu’on a trompé l’ennui
c’est qu’on a saisi la chance offerte,
c’est qu’on saura retrouver le chemin,
c’est qu’on est même déjà en route.

Romain : Le Magellan de la chouille

J’avais un programme pour ruiner mon printemps-été 2020. Ils s’appelaient Yeah, Paco Tyson, Bon Air, Fusion, Astropolis. Bien sûr, c’était sans parler des annuelles respirations au Parc de la Villette à Paris, ou de toutes les fêtes libres et en plein air. Dire que ce sont elles et uniquement elles qui font d’un été en Ile-de-France la meilleure récompense à 9 mois de transports collés-serrés… Tous ces noms de festivals et d’orgas sonnent pour moi comme des symboles d’abandon, tellement que ça en devient christique dans ma tête de laïcard. J’entends des gens qui font des célébrations au soleil en se postant devant leur fenêtre les mains jointes, ma célébration à moi c’est la destruction méticuleuse de mes pompes. Ce qui me manque là-dedans ? La sensation du devoir, lorsque je me prépare, puis sors de chez moi, peintures de guerre sur le visage, le vent soufflant dans mes cheveux tel le Magellan de la chouille. Mes amis, masse mouvante de formes et de cris, loin de la plate simulation 2D d’un apéro Skype, représentent ma boussole complètement déréglée. Si parfois nous visons le nord, une seconde suffit à nous décaler à l’ouest, de dériver quart nord-est pour finir au centre du monde.

Comment expérimenter aujourd’hui l’échappatoire au temps autrement que dans ces quelques heures de pure déconnexion ? Si le monde a une alternative à une vie sans fête, je ne suis pas preneur. En attendant, je marge.

Mario : Lettre à M.

Salut toi,

J’attendais ce moment où j’allais serrer Christophe dans mes bras,
En bas de son donjon, j’en suis sûr, tu aurais été là
Au petit matin tu disais toujours « on continue, ça passe »
On riait en rejoignant le parking et ses infréquentables carcasses

Tu sais cette année la cour du château restera de marbre
Pas de boule à facettes accrochée sur le grand arbre
Je ne pourrai pas te raconter cette fameuse matinée,
Où le soleil réveille nos petits esprits perchés,

En lisant cela, tu t’interroges j’en suis sûr,
En nous imaginant coincés entre quatre murs,
Surtout ne t’inquiète pas pour nos aubes chéries,
On s’y recroise bientôt, et tout sera permis

Photo en une, prise à Astropolis © David Boschet

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Marty 04.05.2020

Mon dernier concert au moment où les.microbes ont commencé à nous envahir, aura été Lysitrata au Metronum de Toulouse…..
Parti de Rouen au petit matin, j ai conduit 800 bornes sous un déluge incessant…. arrivé vers 16hoo, j ai garé ma voiture près du canal du midi de mon enfance et le soleil était bleu comme le ciel…..
Mon cousin était venu de Carcassonne pour me rejoindre….et nous avions siroté quelques bières locales pour nos retrouvailles ( ma famille se trouve à Carcassonne )….
La soirée musicale fut un retournement de nos sens face à trois jeunes qui produisent une musique essentielle, aux accords et harmonies parfaites pour le vieux briscard de 49 ans que je suis……
La foule dans la salle n avait pas encore des consignes de distance et le mec à la chevelure immense qui se trouvait à côté de moi face au groupe aurait pû me refiler des miasmes…… à un moment j y ai pensé…….mais on était encore imprudent…..
Ainsi, le confinement a été décrété une dizaine de jours après……soit dix jours de vacances dans ma famille, au milieu des vignes et auprès des rivières…..comme une ultime fois de profiter de notre nature abîmée…….
Depuis, les disques tournent sur ma platine pendant mes périodes de repos car je travaille pendant cette période difficile…..
J ai eu mon cousin un soir sur une messagerie vidéo instantanée et nous avons calé tous les deux le même disque et le même titre sur nos platines à 800 bornes de distance…..
C etait Boot on the thistle de …..Lysitrata…
Notre dernier concert d avant……

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