Eh, nous dites pas que vous n’avez pas remarqué : Alain Chamfort, Jean-Michel Jarre, Arielle Dombasle, Christophe et Étienne Daho sont en plein retour de hype dans les réseaux indépendants, la presse spécialisée et dans les discours en sortie de lieux « alternatifs ». Ça sort pas de nulle part, on vous jure. En plus à y regarder de plus près, on pourrait carrément dire qu’ils sortent d’une grande et même famille. Ces grand-e-s chevelu-e-s dont la France se moquait dans les salons de la branchitude se sont payés le très rare billet de retour dans l’underground après avoir pourtant pactisé avec le diable du grand public. Horreur. Damnation. Enquête.
Alain Chamfort fort lointain
Alain part de loin. Pianiste sur « J’aime les filles » de Jacques Dutronc et pote soixante-huitard de Dick Rivers, il arrive au début de sa carrière à l’image de sa coupe de cheveux : dans l’ère du temps, mais un peu en retard. Il est ensuite repéré par Claude François qui propulse ses titres au kitsch inaltérable comme « L’amour en France » ou « Adieu mon bébé chanteur » et le fait connaître comme un chanteur à groupies que les années yéyé s’arrachent. À la fin des années 70, son nez devient plus fin. Avec « Manureva » écrit par Gainsbourg, il devient enfin le musicien de new wave / disco populaire qu’il a toujours rêvé d’être.
Dans les années 90 et 2000, il enchaîne la douce descente dans l’enfer des charts, se fait virer de chez Sony avec le bonnet d’âne du mauvais vendeur et commence à jouer ses « greatest hits », soit le début d’une carrière passéiste. Mais, mais, mais, mais. Quand on se fait bâcher par les majors, il existe une passerelle vers l’indé. D’abord par nécessité, il va vite prendre goût à une remasterisation de PIAS d’une chiée de titres qui sera par la suite remixée par Paradis, Ivan Smagghe, Chloé, Scratch Massive. Bon, PIAS, c’est le gros indé, mais quand même. A partir de là, les jeunes vont (re)connecter avec le chanteur et voir en lui un père spirituel : regardez Flavien Berger et sa forme de french new wave sexy. Écoutez-vous un petit Chamfort revisité ici.
Arielle Dombasle-au-prisonnier de son image
Jusqu’ici, on n’avait pas vraiment trouvé de raison de trouver quoi que ce soit à Arielle Dombasle, probablement par son image de snob parisienne, par une déprime liée à une culture télévisuelle qui porte la marque de Michel Drucker et le cinéma des Bronzés et d’Astérix et Obélix, et peut-être d’une façon voyeuriste de sa vie privée qu’elle partage publiquement avec le sauveur de l’humanité Bernard-Henri Lévy. Pas de quoi exciter Télérama et l’intelligentsia, vous avez compris. Mais Arielle Dombasle, c’est aussi l’histoire d’une muse à qui on a moins déroulé le tapis rouge (à l’inverse d’une Juliette Gréco), d’une actrice, celle de Rohmer, de Polanski, de Malkovitch, de Katerine, d’une traductrice du roman Farenheit 451 de Ray Bradbury à qui elle était très liée.
C’est aussi et surtout une fan de musique transcendantale indienne, trance, techno, autant de courants qui furent aussi moqués par leur supposée futilité dans nos contrées cartésiennes et kantiennes. En 2013 et jusqu’en 2016, elle travaille avec le symbole français de la sobriété, Nicolas Ker, leader du groupe d’électro pop Poni Hoax. Trois ans de travail qui ont donné La Rivière Atlantique, un album sorti chez Pan European, soit le petit label parisien qui a fait émerger ses artistes : Flavien Berger, Buvette, Koudlam, Maud Geffray, etc. Le pari est réussi, le public rajeuni, les salles rapetissées. Écoutez un morceau d’Arielle Dombasle avec Nicolas Ker ici.
À la tienne Étienne Daho (pardon)
Né en Algérie, c’est pourtant avec la génération des rockeurs des anneés 80 à Rennes qu’Etienne Daho sort de son trou. On ne reviendra pas sur sa carrière partagée entre tubes rock, punk, pop, chanson ni même sur le nombre de disques et d’or et de platine et de Victoires de la Musique qui trônent dans sa chambre. Il semble pourtant que les générations Y, Z et le milieu indé n’ont jamais vraiment eu la passion de ses disques ou en tout cas s’en sont progressivement désintéressés. Trop mainstream, trop disco, trop référencé « années 80 pourries », trop kitsch.
C’était sans compter sur la machine à recyclage de l’humanité : les modes. Si vous avez été récemment étonnés que le R’n’B 90s-2000 que vous vous cachiez pour écouter était de nouveau la norme (en plus électro), vous n’êtes pas sans savoir que le disco comme la house ou la new wave sont revenus des limbes de l’histoire de la musique contemporaine dans la courbe de la hype des Inrocks. Flavien Berger (encore lui, décidément) est son plus grand fan, Rone l’invite sur son album et on l’a nommé parrain de la french pop. C’est toujours mieux que la Génération Goldman, vous nous direz. Avec Les chansons de l’innocence retrouvée sorti fin 2013, c’est le retour devant les projecteurs. Daho s’affiche en une d’une dizaine de magazines musicaux français. Normal, il s’est quand même payé les services de Nile Rodgers (un autre repêché, tiens), Dominique A, Debbie Harry (Blondie, encore une) et Jehnny Beth (Savages). Écoutez un remix de Rone d’un morceau d’Étienne Daho ici.
Christophe a moins mal au côlon
James Dean, Elvis Presley, Robert Johnson… La version enfant de Christophe rêve très jeune des grands du rock, du blues. Des tubes, il en composera. On se rappelle de ces slows interminables lors des apéros du boulot de nos parents, un petit « Aline » calé juste avant un « Still Loving You » des Scorpions pour chauffer Roger des RH qui adooore faire la danse du ventre collé-serré. On se rappelle aussi de ces innombrables reprises des « Mots Bleus » vous savez ceux qu’on dit avec les yeux, rah mais si ceux qui font que parler nous semble ridicule. Superbe chanson au demeurant. Christophe, c’est ce bluesman à l’air un peu flippant qui a bossé avec des auteurs divers comme Jean-Michel Jarre (autre repêché de la new wave) mais aussi avec Alan Vega (Suicide) avec qui il fera un duo, son idole de toujours.
Mais, on oublie trop souvent son amour de l’électronique. Si en 2013, l’indé n’est toujours pas prêt à recevoir Christophe dans les bras de ses réseaux sociaux – le rock critic et journaliste Bayon en parlera comme du « yéyé minet rockab electro dandy beauf bouliste à pin-up, Christophe serait ce chaînon manquant elvisien entre Adamo et Vega via Juvet » – avec Les Vestiges du chaos sorti en 2016, c’est le carton plein. Hommage à Lou Reed, duo avec Vega, collaboration avec Jarre et remixes only women de Mansfield.TYA, C.A.R., Maud Geffray et Louisahhh, l’indé n’en avait même pas rêvé une minute. Et l’a programmé en salles et en festivals. Retrouvez le remix de Mansfield.TYA d’un titre de Christophe ici.
Jean-Michel Jarre-dîne à la table de l’indé
Jean-Michel Jarre n’est certes pas chanteur (quoiqu’il a écrit des textes) et on l’associe plutôt au milieu électro, mais il évoque souvent cette tranche d’artistes kitsch donc les cheveux longs, les kitsch des synthétiseurs et la puissance des néons n’ont pas eu la même presse qu’ailleurs. Avec Oxygène, il reste l’artiste français qui a le plus vendu à l’étranger en pouvant se payer le titre du pionnier de la musique électronique mondialisée. Mais, on a tendance à l’oublier, Jean-Michel Jarre est aussi rattaché à la musique d’ascenseur, cousin outre-atlantique de Brian Eno qui a voulu transmettre à la nation de Molière et de Brassens le principe de musique ambient, de scénographie laser, et de réhabilitation de lieux médiévaux dans un but science-fictif.
Si ses shows font venir un public toujours plus nombreux jusque dans les confins de l’Orient et des Amériques, les afficionados du rock le confondent avec une marque de shampooing. Comment alors le comble ultime du ringard a-t-il pu devenir populaire dans les milieux indés ? Avec un double album de collaborations nommé Electronica, sorti en 2015 et 2016, avec tout le gratin de l’électronica, la pop électro et la techno européenne et américaine, couplée à un plan promo comprenant des interviews avec une pelletée de blogs musicaux, en plus des grands médias. Malin. Si on oublie certains écarts EDM, on y trouve à la pelle Rone, Siriusmo, Fuck Buttons, Gesaffelstein et même Edward Snowden ! Mais aussi des roublards de l’électro, entre John Carpenter, Tangerine Dream ou Air. Joli coup.
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