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Chinese Man, assis à ne rien faire ?

Voilà près de quinze ans que le premier titre de Chinese Man est sorti. Depuis le pèlerinage du trio français a fait bien des émules. Les pères fondateurs High Ku, Sly et Zé Mateo ont, année après année, foulé bien des terres et fait voyager bien des bacs à vinyles. Le sillon de leurs traces de doigts est partout. Déjà de nombreux disques, un label qui a fêté ses dix ans (Deluxe, Scratch Bandits Crew, Baja Frequencia) et depuis neuf mois un second album au titre mystérieux « Shikantaza ». En compagnie de Zé Matéo, véritable gourou zen de l’Ardèche, revenons sur ce dernier projet hors-norme, consécration de deux ans de travail.

« Shikantaza, c’est avant tout un retour aux sources, une confrontation artistique avec Racing With the Sun », premier album du groupe (2011). En privilégiant avant tout les tracks instrumentales (10 titres sur 16 au total), le processus de création, voire de méditation, a pris du temps au prolifique trio. Deux ans précisément, trois avec la scénographie. Une lenteur qui sied à ravir à l’état d’esprit animant ce nouvel album.

En japonais, « Shikantaza » signifie « être assis sans rien faire » décrivant ainsi la posture de la méditation Zazen. Tout le contraire donc de la léthargie. Les Chinese Man convertis aux préceptes zen ? « On avait envie de refaire plutôt des instrumentaux parce que c’est une grammaire assez lente de faire des morceaux uniquement axés sur des arrangements qui vont se suffire à eux-mêmes. […] Aujourd’hui on est plus dans une tendance à consommer de la musique via des EP, du single, des trucs très segmentés. Shikantaza est là pour montrer quelque chose dans l’unité mais avec un lien au présent, du ‘on prend le temps de le faire’. Puis cela signifie aussi être prêt à accueillir » nous explique Zé Mateo

La maturité de Shikantaza est poignante et exprime la force du collectif qui a toujours habité le groupe. Tout d’abord, la liste des artistes collaborant à l’album est tout bonnement effarante. Il y a bien sûr leurs compères de toujours, A State Of Mind, Youthstar, Taiwan MC ; deux chanteuses distillant un charme magnétique, Dillon Cooper et Mariama ; des rencontres faites de respect mutuel, A-F-R-O, Illaman, R.A. The Rugged Man ; et enfin les collaborations inattendues et riches de musique et d’humanité, le quatuor à cordes Elixir et le musicien indien Naviin Gandharv.

En 2011, la composition de Racing With the Sun a été précédée d’un inspirant voyage en Indonésie. Cette fois, nos Chinese Man aux bottes bien usées ont décidé de bouger un peu plus, mais une destination les a profondément marqués : « Aller en Inde et jouer avec Naviin c’était une très belle rencontre. C’est un musicien qui joue un violon très ancien avec deux manches et qui est le seul à savoir en jouer. C’est juste la classe de vivre ça. Naviin Gandharv, il a ce truc de vouloir amener quelque chose d’hyper fort dans une sorte de musicalité fabriquée de plein de choses. Donc on est très alignés avec ce qu’il fait et ça nous permet de l’intégrer à notre composition ». Le titre « Mälad » où l’on entend le ‘belabaharr’ du musicien indien porte d’ailleurs le nom du quartier de Bombay où ils ont enregistré. A noter que ce titre s’ouvre aussi avec la voix du cinéaste Alejandro Jodorowsky. Classe.

Ensuite, c’est sur une île beaucoup moins exotique que le trio de l’Ardèche a trouvé d’autres collaborateurs de choix, dénichés par Zé Mateo lui-même : « J’avais travaillé avec Célia Picciocchi il y a trois ans pour un court-métrage inspiré de la musique de Schubert, La jeune fille et la mort. Ça a été une rencontre très inspirante et on avait envie de travailler avec des cordes. Puis on a passé du temps en Corse pour enregistrer, dans ce rapport à la Méditerranée ». Vous l’aurez compris, les sources d’inspirations du groupe, qu’ils abordent avec humour dans le titre « Step Back » provient d’une multitude de voyages, de Montréal à Tokyo, de Bombay à Bastia. Sans oublier l’une de leurs destinations préférées où la carte fidélité est de mise : le disquaire Galettes à Marseille.

Chinese Man – Maläd

Le sampling et digging (pratique consistant à chercher des pépites oubliées sous forme de vinyles) sont deux activités au cœur de leur travail. Dans les samples utilisés, transformés et pitchés sur cet album, tous les continents sont présents. Seulement, ils sont assemblés avec une logique bien à eux. Au milieu de ce melting-pot, l’empreinte des Chinese est bien là. Et cela se constate tant dans la transe qui nous agite que dans les rêveries que suscite la musique : « Oui il y a des sonorités hyper variées et qui viennent un peu des quatre coins du monde, mais ce qui lie tout ça, c’est la basse et la rythmique ». Sans oublier les voix enregistrées ou extraites de BO qui guident l’auditeur à travers l’album : « Quand on fabrique les morceaux, on ne sait pas où cela va nous amener. Les voix amènent quelque part, elles nous guident sans qu’on le sache. Il y a un grand travail pour aller chercher des voix, parfois ce sont des enregistrements, de la récupération, de la restauration aussi. Dans les instrumentaux c’est aussi ça, on utilise les voix en tant que sons autant que comme éléments qui vont nous mettre dans la poésie ou dans la légende de quelque chose. C’est une étape hyper importante ». Et autant dire que dans Shikantaza, elles sont nombreuses et de toutes les provenances. On retrouve notamment dans « Goodnight » un sample extrait de la série américaine The Wire.

Même si on a tendance à l’oublier, la force de Chinese Man, c’est aussi le concert, la performance. Grands bourlingueurs de festivals, ils ont peaufiné au fil des ans un univers graphique proprement envoûtant. Fort « d’une équipe vidéo très talentueuse », Zé Mateo se confie sur la recette d’un show élaboré sur-mesure alors que la troisième tournée de l’année touche à sa fin : « On est six en permanence sur la route (avec ASM et Youthstar) et pour les dates à Lyon on va avoir Illaman de la scène anglaise et Mariama qui est sur le titre Stone Cold. On est hyper content de les avoir avec nous et on aura notre petit quatuor. Avec aussi quelques surprises pour Paris. Ça fait quand même trois ans qu’on travaille sur comment l’amener sur scène. On a aussi un dessin fait par un illustrateur. Ça a donné des références et la création lumière est très forte ». Attention, donc.

Chinese Man – Escape

Bon, si Shikantaza veut vraiment dire « assis sans rien faire », ils ont une drôle de manière de nous le prouver. Alors si vous êtes ce jeudi 2 novembre au Zénith de Lyon ou Samedi 4 à Paris, n’hésitez plus et venez voir ce trio d’hyperactifs avant que les trois compères ne retournent méditer sur les contreforts de la Méditerranée.

Crédit photo en une ©Leo Berne

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