Les 22, 23 et 24 août 2019 se tient le festival Check-In Party, première édition du nom, sur un site de festival exceptionnel en la qualité de l’aérodrome de Guéret, made in Creuse baby. Avec une tête d’affiche de choix, Patti Smith, mais surtout un festival de grande ampleur qui ne lésine pas sur sa prog pointue, notamment en rock.
Quel département français représente le mieux une certaine idée du calme ? Ennui pour les uns, repos pour les autres, la Creuse est l’emblème d’une qualité de vie de plus en plus prisée, ses habitants bien contents de détenir un secret de famille, et les néo-ruraux, bobos et hippies, débarquant de plus en plus des centres urbains, quittant bullshit jobs et heures de pointe pour un carré de nature.
Pourtant Guéret, chef lieu de la Creuse, a une forte envie d’attention. La commune de 13000 habitants a l’habitude de déranger les sauterelles. Entre ses Nuits d’Été (concerts, cinéma en plein air, feu d’artifice), la course en autostop Mad Jacques ou les gros rassemblements sur son aérodrome, elle a le chic pour faire des bringues version XXL. Dans tes dents, l’exode rural.
L’aéroclub de la Creuse
L’aéroclub de la Creuse, situé sur l’aérodrome de Guéret, est à lui seul un pan d’histoire du département. Contacté par téléphone, Johan Dalot, son actuel président et infirmier libéral, nous redirige : « Le bazar il a 96 ans, quasiment centenaire, donc l’historique est très trèèès long. Je ne suis pas au fait vu que ça ne fait que 2 ans que je suis à la présidence du club. Pour ce genre d’infos, je peux te renvoyer vers l’ex-président qui lui a 74 balais et il est au jus. C’est Jacky Vieira. » Alors on a appelé l’ancien, qui lui en a vu d’autres : « L’aéroclub de la Creuse existe sur le papier depuis 1926, mais sans terrain à l’époque. Il y avait toute une organisation d’aviation civile et sportive, c’était l’aviation populaire de Guéret. » En 1939, la ville de Guéret achète un terrain à la commune de St Laurent. Jacky rallume le tableau de bord : « La guerre éclate. Et entre les deux communes, il y a eu des tranchées de faites sur le terrain avant la guerre, pour que les Allemands n’y viennent pas. Bon, après il y a eu l’occupation, rien ne s’y passait. Et en 1946, c’est reparti. » Dans ce club d’aviation civile, Jacky connaît un certain âge d’or, à son entrée en 1960, où il débarque avec une équipe de jeunes. Un quotidien original, voire carrément singulier pour qui n’a jamais songé à s’envoler pour le plaisir : « J’avais 17 ans et j’ai passé mon brevet en 1961. A l’époque on ne pouvait conduire de voiture ni de moto avant 18 ans, donc voilà je pilotait un avion D112 avant ma première bagnole.«
Perdido en el corazón de la grande babylon
Outre les mille et une histoires que Jacky aurait à raconter sur sa vie à l’aéroclub, il y a celle, plus proche de notre époque, de l’ouverture à des événements culturels de grande ampleur. Ainsi du El Clandestino, un festival mené par Manu Chao, qui a eu lieu en 2017 sur le tarmac. Johan Dalot n’était pas présent lors de la fête mais n’a pas oublié : « On a surtout retenu l’inorganisation, c’est à dire qu’il y avait – entre la route du rond point d’Intermarché jusqu’à l’aérodrome, d’environ 4, 5 kilomètres – 4h de route pour faire le tronçon. » Ce que confirme l’ex-président du club : « C‘était la communauté d’agglo qui avait voulu ça, mais ils s’y étaient pris un peu tard, à peine 2 ou 3 mois avant. » Et pourtant le festival ramène 20000 personnes, et introduit les réflexions autour des grosses fêtes sur l’aérodrome : « J’étais allé voir Manu Chao, sourit Jacky Vieira pas forcément habitué aux jauges géantes, c’était assez impressionnant parce que j’étais au milieu de tout un groupe et quand on veut s’en aller, c’est pas facile.«
Check-in imminent
C’est avec cette relative pression que le festival Check-In Party, répondant comme El Clandestino à un appel à projets de la région, a envisagé de déjouer la malédiction. Et d’éviter, tant qu’à faire, de se faire pourrir par 20000 personnes pour ses défauts logistiques. David Fourrier co-directeur et co-programmateur du Check-In, nous raconte : « Le président de l’agglo a donné son feu vert pour que le festival se déroule sur l’aérodrome, tout en déplorant l’organisation d’El Clandestino. Il est venu nous chercher en mode ‘voilà les gars, Clandestino, ils ont mis la clé sous la porte, ça ne s’est pas très bien passé avec les prestataires, les fournisseurs, les bénévoles… Est-ce que vous voulez réfléchir à une possible organisation d’un festival sur ce lieu ?’ » La réponse fut évidemment banco.
Et pourtant, il faut aller au charbon quand vous vous attaquez à l’orga d’un gros festival sur un terrain pas vraiment prévu pour. Ça demande une bonne dose d’imagination et de réflexion, dans la mesure où il y a l’embarras de la place : 40 hectares exploitables… Vous vous intalleriez partout, ou simplement une petite partie ? Réponse de David : « si tu veux une image, on va venir poser un timbre poste sur une feuille A3 pour que soit convivial pour les artistes et le public » pour qui le choix n’est pas forcément simple vu qu’il a aussi « envie qu’il y ait du monde… un vrai casse tête chinois. » Pourtant, avouez qu’il est rare dans notre monde moderne d’avoir un souci de trop-de-place, et David en est bien conscient. Il se régale d’ailleurs dans l’agencement du camping, du parking, des lieux de vie, tant le champ des possibles est grand. De son côté, Johan Dalot a hâte que le festival commence : « Le côté qui m’embête le plus, c’est qu’on soit exproprié pendant 15 jours, on a une perte d’activité liée à ça qui n’est pas du tout dédommagée par notre communauté de communes. Sinon je trouve ça super qu’il y ait un truc pareil chez nous, c’est génial pour la Creuse. Je le défends à fond. »
Vous pouvez retrouver le maximum d’infos sur le site du festival ou sur l’event Facebook.
Un festival « associatif »
Avec son binôme Sébastien Chevrier, qu’on suivait de très près à la direction du festival Nouvelles Scènes à Niort et qui officie aujourd’hui à la programmation de La Sirène à La Rochelle, David et leur équipe, Cécile, Romain, Frédéric et Nadine, ils réfléchissent à un fonctionnement qui leur ressemble depuis deux ans. Pour eux, il est clair que la manifestation doit avoir un appui local fort pour ne pas débarquer avec ses grands souliers sur un territoire dans lequel ils ne sont pas – tous, du moins – habitués. « A été créée une association Terre du Milieu, confie David, une association quasi-exclusivement composée d’acteurs du territoire de Guéret, qui porte réellement le projet et qui sont les chevilles ouvrières de la manifestation. »
Alors on les titille un peu – ben oui sinon c’est pas drôle, mais c’est vrai, finalement : en quoi un festival comme le vôtre qui travaille avec les associations du coin est plus à même de gérer un événement qu’une grosse machine productrice de spectacles qui arrive trois jours avant pour monter son site ?
Si David reste prudent et attend d’avoir passé l’épreuve du feu pour prouver ou non les fruits de cette méthode, il ne peut taire la philosophie qui anime son équipe. « On a organisé des festivals sur des territoires ruraux quand on était très jeunes, un festival rock à Fontenay-le-Comte en Vendée dans les années 90 qui a mobilisé la population locale en ayant jusqu’à 200 bénévoles. On sait quelle importance ça a pour un territoire, comme ça peut résonner, comment ça peut faire sens. » L’oganisateur ne tient d’ailleurs pas à se comparer avec de « vrais » producteurs de spectacles. Il rappelle que « c’est pas notre métier initial » et conclue que « la dimension associative, militante, sur un territoire comme celui de Guéret où il se passe des choses mais pas d’événment phare, c’était pour nous un vrai moteur, d’autant qu’on avait envie avec les copains de rebosser ensemble. » Sans parler d’une alternative musicale bienvenue sur le territoire.
Patti Smith VS la Creuse : rencontre au sommet
Check-In évitera-t-il les 4 heures d’embouteillage sur ses routes à proximité ? Offrira-t-il les spectacles qu’il annonce, comme prévu ? On peut difficilement en douter, connaissant la team de choc, et ce même si elle essuiera les plâtres relatifs à toute première édition. Comme le rappelle Jacky Vieira : « Les gars ils sont là depuis janvier quand même. » Et puis malgré la présence d’un seul hôtel 4 étoiles et un autre 3 étoiles dans le coin, il n’a même pas eu de difficultés avec les artistes de renommée internationale : « Même pas de demandes exubérantes, ni de la part de Patti Smith, Deerhunter, The Blaze ou Etienne de Crécy. »
Bon, avouez quand même que le débarquement de Patti Smith en Creuse, c’est un bilboquet réussi, l’assurance d’une osmose généralisée et le comble du comble de l’histoire mondiale hippie. Johan ira la voir, pour sûr, au moins « par curiosité. Mais moi mon truc c’est plutôt U2. Je leur ai demandé à ce qu’ils passent l’année prochaine mais c’est pas gagné. » Bono, trop occupé à sauver des bébés requins d’une main et à éteindre les feux de forêt de l’autre, ne privilégierait donc pas la Creuse pour son cachet annuel à 5 zéros ? A suivre en 2020. Mais en attendant, il y a 3 jours de festival à se cogner tous ensemble avec la récompense de profiter des vidéos que notre collectif va y tourner. Elle est pas laide la vie, hein ?
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