Dans son nouveau disque « Chroniques et Fantaisies », Catherine Ringer se montre détendue et rieuse. La légèreté des Rita Mitsouko semble s’être de nouveau emparée d’elle. C’est ainsi qu’elle nous a proposé de clôturer 2017 en sa compagnie, entre chansons, variété et pop synthétique. Si pourtant, cette année évoque aussi pour elle les 10 ans de la disparition de Fred Chichin, c’est l’esprit taquine et fantaisiste qu’elle nous a accueilli à sa table d’un bar parisien bien typique comme il faut. Interview du tac-au-tac.
Qu’on y ait pris goût ou qu’on n’ait jamais pu les blairer, les Rita Mitsouko sont une histoire de la musique en France. Une histoire qui est bien décidée à rester dans un coin de notre tête pour la simple et bonne raison qu’ils ont tout fait pour que personne ne soit insensible à leurs chansons, qu’on peut partager entre vraiment radicales, difficilement supportables, ou à l’efficacité pop parfaite. La demi-mesure n’étant pas dans le vocabulaire de Catherine Ringer et son compagnon défunt Fred Chichin, ils sont passés tels des bulldozers sur les années 80, remettant tout le monde à sa place en bonne et due forme, pourrissant la vie des émissions de télé bien propres sur elles tout en foutant une montée d’adrénaline (= audience) dont elles raffolent.
Après un premier album solo, Ring n’ Roll, en 2011, et un passage par le trio Plaza Francia avec deux membres des Gotan Project entre 2013 et 2015, Catherine est donc de retour, cette année avec Chroniques et Fantaisies.
Au-delà de l’oeuvre et de l’envolée solo de Ringer, c’est une grande dame qu’on a rencontré, dont la folie douce, qu’elle appelle sa fantaisie, rayonne toujours, brûle, dans une vivacité de tous les instants. Pas vraiment une hyperactivité, mais une hyper intensité, ou une hyper ardeur. La jeune soixantenaire dit pourtant s’être beaucoup assagie. Vous nous direz, difficile de faire plus nerveuse, au vu des années Rita.
C’est un gars qui rentre dans un bar et là, il rencontre Catherine Ringer.
Votre album explore le fait de vieillir avec apaisement. Aujourd’hui, vous vous sentez apaisée, ou vous tendez à l’être ?
C’est vrai qu’avec le temps et l’âge, c’est courant qu’on est un peu plus tranquilles qu’en pleine jeunesse. Tout le monde le sait, c’est une banalité. Vous avez un chien, vous voyez bien que quand il est tout jeune, il est tout fou, et après il devient plus calme.
Que fait-on de plus fou quand on vieillit que quand on est plus jeune ?
Vous parlez de la folie qui amène à l’hôpital psychiatrique ou plutôt de choses fantaisistes ?
Plutôt de fantaisie.
Oui, c’est une question de caractère. Peut-être que quelqu’un qui n’a jamais fait de fantaisie de toute sa vie, à un moment il va craquer et dire : « Maintenant ou jamais, c’est le moment de disparaître ». Il y a des gens comme ça qui disparaissent ou qui changent de vie, de métier. Ça arrive à tout âge.
Quelles sont les choses les plus fantaisistes que vous ayez faites ces dernières années ?
J’en sais rien. J’en parle peut-être avec un ami ou un pote mais là…
On ne se connaît pas…
Non, c’est personnel.
Bon, en tout cas vous n’êtes pas vraiment l’exemple-type de la femme qui se serait privée de fantaisie et qui se réveille enfin à 60 ans…
Non, c’est pas mon cas. Peut-être que la plus grosse fantaisie serait que je devienne d’un coup complètement calme au contraire. Ça pourrait être ça : « Bon, allez maintenant, je ne bouge plus ». Non, c’est une blague. Je ne sais pas ce qui va m’arriver, c’est ça qui est bien aussi.
C’est bien de ne pas savoir ?
Oui, mais c’est aussi bien de travailler pour les choses qu’on a envie de faire. Prévoir pour l’avenir… Ce sont des super banalités que je vous dis là.
Un peu, oui. L’art, comme prolongement de l’être humain, questionne constamment le temps qui passe. Vous le faites dans votre nouveau disque. Pour vous, le temps qui passe est-il un formidable outil de création ou une contrainte insupportable ?
Le temps peut être tonique, si on a un caractère à ne rien faire pendant un bon moment et se réveiller la veille : « Ah la la c’est demain qu’il faut que je rende ce truc vite ». Alors là, la pression du peu de temps qui reste aide. Ce qui peut arriver quand on est à la fin de sa vie, mais ce qui n’est pas encore mon cas. Le temps, c’est quelque chose d’élastique. Si on s’ennuie, dix minutes peuvent paraître horriblement longues, et si on est torturés, ça doit paraître encore plus long. Alors que si on est dans un monde de plaisir et de joie, ça passe plus vite. Est-ce que j’ai répondu à votre question ?
Pas mal, oui.
En même temps, c’est pas très grave que je réponde exactement à votre question.
Non, on discute.
Voilà.
Vous avez eu l’impression de ne pas avoir vu le temps passer ?
Si. Souvent, les gens me disent : « Ah la la, j’ai déjà cet âge-là. Je me retourne, ça a passé vite. » Moi j’ai pas du tout l’impression que ça ait passé à toute blinde. J’ai fait plein de choses dans ma vie, il y a eu pas mal de périodes différentes.
Vous avez eu le temps de vous retourner sur votre vie musicale ?
Je me retourne de temps en temps à des occasions particulières. L’année dernière, à l’été 2016, je me suis décidée à rechanter des trucs des Mitsouko. Lesquels ? Alors, j’ai réécouté tous les disques, en entier, toute seule, dans l’ordre chronologique. Ça m’a fait un sacré voyage. Sinon, je ne me retourne pas tant que ça sur le passé. Seulement quand il y a besoin, disons, pour quelque chose de précis.
Quelles sont les principales raisons qui vous poussent à écrire ? Attention question large.
Déjà, aujourd’hui c’est mon métier. J’ai toujours aimé écrire des petites poésies, des rédactions à l’école, ensuite des dissertations, des fantaisies, des petits textes, des lettres, des cahiers avec des histoires. Quand j’ai rencontré Chichin, j’étais interprète. Quand il a vu ce que j’écrivais, il m’a dit : « Ben, t’es tout à fait capable d’écrire des chansons, c’est super, t’écris déjà des textes, c’est parfait. Tu fais aussi de la flûte, du piano et tu chantes, c’est bien, on va faire des chansons ensemble. » Moi, j’étais inquiète de ne pas savoir composer de chansons, mais il m’a appris comment il fallait faire, les fondations.
Ça s’apprend la composition ?
Oui. C’est comme si vous apprenez à cuisiner. Ça vient de vous, mais n’empêche que si vous savez pas qu’il faut faire bouillir de l’eau et saler un peu avant de mettre des pâtes, et que vous les foutez dans l’eau froide sans sel, vous allez pas trouver ça terrible. Tout s’apprend.
Tout s’apprend ?
Oui, il y a des techniques, des outils… Et même si on est doué, si on a des idées qui nous passent ou des inspirations, ça ne suffit pas. Après, il faut la transformer en quelque chose d’abouti. Une idée de mélodie, une idée de rythme ou une idée de chanson n’est pas encore l’objet fini.
Vous croyez au talent ?
Je crois au talent. Certaines personnes sont plus douées pour certaines choses. Des gens qui ont des dons, c’est comme ça qu’on dit, je sais pas qui leur a donné, c’est une autre question. J’y crois. C’est même pas que j’y crois, c’est que c’est une réalité. L’autre jour, j’écoutais une émission où ils parlaient d’un gamin de 4 ans qui, à l’écoute d’une musique, savait la jouer parfaitement en entier au piano sans avoir jamais rien appris de mémoire. Il y a des gens surdoués. Et il y a des gens qui sont doués dans d’autres domaines.
Quels sont les écueils à éviter pour continuer à jouer de la musique, 40 ans après ses débuts?
Je ne sais pas. Je suis toujours prête à ce que ça s’arrête. Souvent dans ma vie m’est passée l’idée que je n’avais plus rien à dire qui soit utile aux autres. Il faut être prêt à pouvoir faire autre chose. Par forcément loin de ce métier. Par exemple, si j’ai plus rien à composer ou à écrire, je peux continuer à interpréter des choses. Et si un jour je n’ai plus de voix ou qu’elle est devenue toute moche, je peux arrêter de chanter professionnellement. A ce moment-là, je peux devenir professeur de chant. Ou oublier complètement le chant et aller faire autre chose. Ou ne rien faire. Mais je serais plutôt du genre à m’ennuyer si je fais rien du tout, sans relations sociales. Être prêt à arrêter, c’est une façon de continuer parce qu’on peut rapidement faire des choses sans intérêt, en se copiant soi-même.
Avez-vous regretté certains choix que vous avez pu faire par obligation, par mauvais choix, par mauvais calcul ?
Il y a toujours des choses qu’on regrette dans la vie. Comme tout le monde. Après vous dire quoi… J’ai pas en tête. Ça restera personnel. Mais c’est aussi dans les erreurs qu’on apprend si on est sensible. L’échec peut être formateur. De belles choses arrivent en ratant. Bon, si on rate tout le temps, faut se poser des questions.
Quelles sont les critiques les plus constructives reçues sur votre musique ?
Au niveau scénique, d’être moins dans l’énergie et dans la tension, de prendre les choses plus calmement. Que le feu monte doucement. De ne pas attaquer trop violemment, ça m’a toujours servi, parce que c’est une tendance que j’ai : « TAAAAA ». Non, calme toi.
Vous les acceptez plus aujourd’hui qu’avant, ou inversement, ces critiques ?
Je les ai toujours acceptées. Enfin ça dépend comme c’est dit. On n’a pas toujours envie de les entendre.
Et concernant la presse ?
La presse est libre de dire ce qu’elle veut. C’est le point de vue de la personne qui écoute et qui donne son goût à ses lecteurs, donc c’est bien qu’elle ait un avis, qu’elle aime plutôt ça, moins ça. Si on aime pas, il faut le dire. Sinon, c’est que de la promotion. A ce moment-là, les journalistes ne sont plus des chroniqueurs ni des critiques mais des attachés de presse. Bon, on est quand même un peu en train de le faire, là. Dans le théâtre ou dans la danse, c’est arrivé souvent qu’il y ait des très mauvaises critiques et que ça fasse l’inverse, tellement que la critique est mauvaise, ça attire du monde. « Quoi, c’est si nul que ça ? Je voudrais bien voir ce que c’est. »
Selon vous, le rôle de l’artiste a-t-il beaucoup évolué depuis vos débuts ?
Le rôle des artistes a toujours évolué, entre les périodes. À l’époque de Jean-Sébastien Bach, l’artiste, c’était autre chose. Un peintre, à une époque où il n’y avait pas de photographie, il fallait reproduire la réalité. Une fois qu’il y a eu la photographie, le peintre a dit : « Bah ça sert plus à rien que je fasse des portraits, alors je vais faire des portraits de mes sensations ». C’est là qu’a commencé à arriver la peinture plus abstraite, ou plus déformée, avec des drôles de couleurs. En musique, c’est un peu la même chose. Il y a une musique pour se marier, une pour endormir les enfants, une pour danser, une pour écouter des poésies mises en musique. Cette évolution existera avec sans industrie, avec ou sans reproduction, avec ou sans enregistrement. Avant les enregistrements, il y avait de la musique. Et puis, à partir de 1940, de l’argent a commencé à être généré par les reproductions des objets musicaux. A partir de là, le rôle de l’artiste a changé. Aujourd’hui, c’est encore autre chose.
Aujourd’hui, l’artiste a pris beaucoup du boulot de communiquant en plus de son boulot de création. C’est son rôle ?
Un artiste est toujours un communiquant. Il communique avec des gens.
Qu’est-ce qui vous écœure plus aujourd’hui qu’à vos 20 ans ?
L’autre fois, j’étais en Suisse, et j’ai mangé un truc particulièrement bon, qui s’appelle la double crème de gruyère, c’est de la crème fraîche avec de la crème de gruyère très grasse, et c’est très bon, avec beaucoup de fruits rouges, mais ça peut être assez écœurant. Mais je sais pas si c’est vraiment ça que vous vouliez savoir.
Si, exactement, enfin presque. Par exemple, qu’est-ce qui vous écœure plus aujourd’hui dans la musique qu’à vos 20 ans ?
Ah « qu’est-ce qui me révolte ? », vous voulez dire. Alors, le je-m’en-foutisme. Ou sinon, le travail mal fait. Ça, j’aime pas. Quand on dit qu’on fait quelque chose et qu’on le fait mal. On appelle ça par-dessus la jambe, c’est drôle comme expression.
Vous avez d’autres expressions du même genre ?
Plein, mais là, c’est la seule qui me venait.
Catherine Ringer sera ce soir le 22/11 à La Coopérative de Mai à Clermont Ferrand, le 23/11 au Rocher de Palmer à Cenon, le 25/11 à La Seine Musicale dans le cadre du Festival Chorus, le 28/11 au Bikini à Toulouse, le 02/12 aux Docks de Lausanne, le 13/12 au 106 à Rouen et le 19/12 à La Laiterie à Strasbourg.
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