Après quelques années et trois albums et demi passés à affiner sa personnalité musicale, Dan Snaith alias Caribou s’est imposé comme l’un des artistes électroniques les plus importants de la dernière décennie avec deux albums devenus des classiques. Cinq ans plus tard, il continue d’explorer sa musique intérieure avec le même enthousiasme et présente Suddenly, nouveau disque touchant, aussi subtil qu’évident. Rencontre.
Ces vingt dernières années, Dan Snaith semble les avoir vécues à la recherche du son qui lui ressemblerait le plus, passant par toute sorte d’expériences, toujours réussies. On a ainsi pu l’entendre suivre les traces de Boards of Canada ou celles de Neu! puis se diriger vers des terres plus psychédéliques inspirées des 60’s avant de resserrer l’étau autour de ce qui a fini par définir Caribou. « Au fil du temps j’ai appris à identifier des habitudes dans ma façon de composer, de chanter, de penser la musique. Et ce sont ces choses-là qui caractérisent mon son, plus qu’un style. Le genre musical n’est pas tellement important là-dedans. » Grâce à ce travail introspectif, Dan a su construire sa discographie étape par étape sans se précipiter, franchissant à chaque album un nouveau palier vers le succès d’estime qui lui était dû.
Et même s’il donne, avec cet album, la sensation d’enfin maîtriser parfaitement son art, le Canadien n’est pas rassasié, loin de là. Il continue d’avancer, de creuser, de tâtonner comme au temps de ses 20 ans. « Je suis toujours aussi passionné et excité à l’idée d’aller en studio, c’est assez fou. J’aime sentir que j’ai encore une petite histoire à écrire. J’en parlais avec Kieran [Four Tet ndlr] récemment, les gens nous traitent comme des vieux maintenant dans la musique électronique, on nous demande souvent comment c’était à notre époque… mais je ne ressens aucune lassitude. » Pour Dan, le temps qui passe n’est donc jamais synonyme de peur ou de frustration mais devient au contraire une vraie source d’inspiration. « Je suis assez à l’aise avec mon âge. La plupart des thèmes de l’album sont d’ailleurs très liés à l’âge que j’ai aujourd’hui. C’est tout bête mais à 20 ans on n’a pas d’enfant et on ne pense pas à prendre soin de ses parents, alors qu’à 40 ans ils ont besoin de nous. Cette situation familiale propre aux gens de mon âge a beaucoup influencé Suddenly. »
Pour exprimer ces thèmes nouveaux, Caribou a composé un véritable album de chanson en laissant à sa voix toujours plus de place. Après en avoir progressivement augmenté le volume à chaque album, Dan semble avoir franchi un nouveau cap à tel point que ce travail de composition vocale devient central dans sa musique. « Magpie », morceau d’une douceur absolue, est une preuve irréfutable du talent avec lequel il transmet désormais ses émotions en chantant. « Même si je suis un producteur, j’ai vraiment l’impression que la voix est un instrument unique. C’est un moyen de communication tellement puissant, c’est ce qui te fait pleurer ou te rend heureux dans un morceau. » Cette voix qui l’a longtemps limité dans ses ambitions artistiques prend aujourd’hui toute sa force. « Je ne suis pas un bon chanteur, mais avec le temps j’ai trouvé des moyens de contourner ces limites. J’ai mis beaucoup de temps à prendre confiance en moi sur ce point, puis j’ai appris à travailler ces mélodies et j’adore ça maintenant. »
Même si le travail mélodique sur sa voix prend une dimension importante, Caribou reste un producteur, perfectionniste et aventurier. Sur son nouveau disque, le plus éclectique à ce jour, il s’essaye même à quelques beats Hip Hop notamment sur le passionnant « Sunny’s Time ». « Aujourd’hui, beaucoup de nouvelles idées de production viennent du Hip Hop, mais j’ai longtemps pensé que je ne serais jamais capable de produire dans ce genre. Aujourd’hui les frontières sont devenues tellement floues entre les styles que ça m’a donné la confiance d’aller dans ce sens. » Ces nouvelles sonorités, il les distille avec parcimonie, tout en subtilité, restant fidèle à sa musique. Sur « Like I Loved You » par exemple, un beat hip hop met en valeur sa voix fragile et mélancolique. Et lorsqu’il se rapproche encore un peu plus du hip hop sur « Sunny’s Time », Dan préfère travailler un sample de voix indistinctes rappelant le flow d’un rappeur plutôt que d’en inviter un sur son disque. « Beaucoup d’artistes électroniques sont allés vers le hip hop, comme James Blake et sa collaboration avec Travis Scott, mais personnellement j’ai du mal à collaborer avec des gens qui ne sont pas mes amis. Je vois mes disques comme des albums photos de ma vie, ça serait bizarre d’avoir un étranger dedans. Je ne dis pas que ça n’arrivera jamais, mais je ne suis pas prêt à ça pour l’instant. »
Finalement, les morceaux les moins réussis de l’album sont certainement les plus « électroniques », où le talent de composition mélodique de Dan s’exprime moins. Sur « Never Come Back » par exemple, Caribou se perd un peu dans des sonorités trop pop agrémentées de samples de voix légèrement démodés, malheureusement récurrents dans l’album. « Ravi » se montre plus intéressant, nous ramenant aux influences club de Caribou, qu’il explore le plus souvent sous son alias Daphni. « C’est très simple pour moi de différencier mes deux projets : je compose la plupart des morceaux de Daphni pour des DJ sets, c’est très fonctionnel. Daphni fait totalement partie de l’univers Caribou donc je peux me permettre d’avoir des morceaux très club dans un album de Caribou. Lorsque j’ai composé « Ravi » j’avais besoin de quelque chose d’euphorique pour conclure l’album, et c’est naturellement devenu un morceau très club. Mais dès le départ je savais que ça serait un morceau de Caribou, c’est vraiment une question d’état d’esprit. » Pour autant, même si ces morceaux paraissent moins séduisants et attendrissants, ils offrent tout de même de vrais moments d’exaltation produisant un effet de contraste bienvenu.
Sur cet album, Caribou traverse les genres, les mélange, les coupe en petit bouts puis les recolle les uns aux autres créant ainsi son disque le plus divers. « J’aurais tellement aimé réussir à mettre toutes mes idées dans cet album. Lorsque je compose je crée énormément, cette fois ci j’avais plus de 20 heures de musique, et ensuite c’est un énorme puzzle à résoudre. Je cherche les points communs entre les morceaux, je cherche quelque chose de nouveau, d’intéressant. » Jamais il n’avait créé une telle mosaïque, qui impressionne autant par sa maîtrise que l’harmonie qui s’en dégage. On plonge dans cet album comme dans un lit douillet exhalant une agréable sensation de familiarité, nous sommes à présent chez nous dans la maison Caribou. Et sa musique, toujours douce et positive même dans la mélancolie nous câline de bout en bout. « Il y a beaucoup de choses hostiles dans la vie, donc je suis fier de pouvoir apporter cette douceur aux gens. Même si ces nouveaux morceaux sont plus personnels, j’espère qu’il y a une certaine chaleur universelle en eux. Il y a beaucoup d’artistes qui essayent intentionnellement d’éloigner des gens, de leur faire sentir que cette musique n’est pas pour eux, je ne suis pas comme ça et ma musique non plus.«
Suddenly sort ce vendredi, 28 février, sur City Slang et Caribou sera en concert à L’Olympia de Paris le 27 avril prochain.
Crédit photo en une : Thomas Neukum
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