Notre rencontre avec le producteur techno et house Camille Rodriguez remonte à 2011, au moment où il fait ses toutes premières dates. Pour nous, il se raconte, des premiers disques de musique expérimentale empruntés à la médiathèque de Béziers à son attrait pour les musiques dansantes. Avec cette nécessité de créer, constamment créer, et de jouer la musique « live ».
D’abord, la question jeune public : quels sont tes premiers souvenirs avec les musiques électroniques ?
Enfant, j’enregistrais des émissions des radios le soir, Skyrave sur Skyrock, les sets de Laurent Garnier sur Fun Radio notamment. On n’avait malheureusement pas Nova à Béziers. Après il y a eu la phase médiathèque. J’avais hâte d’arriver en sixième pour avoir le droit d’y aller vu qu’elle était en face du bahut. À partir de là et pendant 4 ans, j’ai rincé tous leurs disques de la partie électronique, et ça m’a fait mon éducation. Et dès 12 ans, je me suis retrouvé avec des Aphex Twin, Underworld, Orbital, Autechre et Plaid. C’était hyper pointu comme médiathèque. Elle a déménagé aujourd’hui, mais j’adorerais revoir le personnel. Ils me connaissaient bien, ils me laissaient louer des disques plus que je devais et je passais toutes mes fins de journée après les cours.
Autechre à 12 ans… Ça va ?
Ouais, nickel. Quand j’ai découvert ça, j’ai arrêté la dance pourrie des années 90.
Tu as fait comme une fixette sur la musique électronique très jeune. Ça te vient d’où ?
Je sors ça de nulle part, y’avait pas de chaîne hi-fi à la maison, mes parents n’écoutaient pas particulièrement cette musique, mais en même temps ils n’étaient pas du tout bloqués. Contrairement à la majorité des parents, écouter les vieilleries de leur époque de type Beatles ou Rolling Stones, ça les saoulait.
Qu’est-ce qui t’a attiré là-dedans ?
Ma découverte de la musique électronique a toujours été liée à l’idée de la création. J’ai tout de suite eu envie d’en faire. Alors j’ai cassé ma tirelire. C’était soit j’achetais des platines, une mixette, des disques à 50 balles et partir à Montpellier – parce que je ne crois pas qu’il y avait de disquaires avant à Béziers, ou du moins je les connaissais pas – ; soit je décidais d’acheter des machines, parce que j’avais pas d’ordinateur. J’ai choisi la deuxième option. Et je suis tombé directement dans la création. À 15 ans, je me suis acheté ma première Groovebox (un séquenceur de chez Roland) qui coûtait le prix d’une mobilette. Du coup, mes potes me portaient derrière.
Tes potes en écoutaient de la musique électronique ?
J’étais un peu le farfelu. J’étais un peu seul tout, je viens d’un petit village à côté de Béziers, j’avais un petit complexe d’être solitaire, dans mon coin. Et quand je me suis mis à faire de la musique, je me suis confronté à beaucoup de barrières. J’aurais kiffé avoir un réseau et pouvoir partager mes expériences avec des potes. Rien que pour apprendre ma machine, j’allais à la médiathèque pour acheter des magazines de son. À l’époque, tu avais encore les petits feuillets, notamment ceux de Star’s Music, une boutique (d’instruments et de matériel pour dj et sonorisation) énorme à Pigalle. C’est là que je l’ai achetée, enfin, par correspondance.
Ce relatif isolement t’a permis de te constituer ton petit monde musical. Tu en tires de la fierté, avec les années ?
Bien sûr, ça a forgé mon parcours.
Tu avais fait de la musique, en école ou en conservatoire ?
Non, je n’ai aucune notion de solfège. J’ai simplement 15 – 20 ans d’écoute hyperactive de musique non stop. Et encore aujourd’hui, rien n’arrive au-dessus de certaines musiques électroniques, en terme d’art ou d’émotion. Et je me suis souvent posé la question. Mais non.
Certains créateurs ou compositeurs se ferment naturellement à l’art ambiant, parfois pour ne pas laisser leur oeuvre se faire influencer. Ça n’est pas ton cas, donc ?
C’est une autre question que je me suis souvent posée, mais à laquelle j’ai arrêté de réfléchir. Je suis vraiment un boulimique. J’en fais une force. J’ingurgite énormément de musique. J’adore les mélanges, donc ça contribue à ma production. J’aime l’idée d’inconsciemment régurgiter tout ce qui a doucement mijoté dans mon esprit.
Au risque de reprendre certains codes ?
Justement, mes morceaux peuvent paraître dans les clous mais il y a des expériences hors cadre, à l’intérieur. Je ne fais pas de musique expérimentale, mais je lorgne constamment dans cette direction. Oneohtrix Point Never et Aphex Twin n’ont pas une incidence directe dans mes productions, mais pour moi, ils sont partout.
Tu parles de mélanges des genres, peux-tu m’en citer ?
Dans mon premier EP sur Timid Records, j’ai samplé de la musique classique, par exemple. Ça m’a éclaté de rendre du Wagner acid (ici), et de récupérer la musique médiévale de Jordi Savall pour en faire un track techno (ici), en essayant au maximum de ne pas rendre ça vulgos. Et ça m’éclate plus que d’en faire un morceau expé ou trippé. Là, dans mon dernier EP pour le label Scandium, la face B – « Future Soul » – est à base de samples d’un gros tube des années 80, qu’on ne discerne pas du tout parce que je l’ai complètement démantelé. Il y a des gros synthés FM, et ça m’a éclaté.
Peux-tu me raconter l’histoire de Scandium, le label sur lequel tu sors cet EP ?
Scandium, c’est un label du sud de la France qui a eu son quart d’heure de gloire dans les années 2000. C’était sur l’impulsion d’André Dalcan et Paul Nazca, qui est un gros artiste techno. De là, tout un crew en a découlé : Maxime Dangles, Bastien Grine, Southsoniks et Electric Rescue, entre autres. À l’époque, c’était une grosse référence techno. Laurent Garnier était l’un des grand soutiens du label. Je suivais tout ça, étant ado. Ensuite, pendant quasiment dix ans, ils ont mis le label en sommeil. Et puis cette année Paul Nazca a sorti un gros tube « Memory » joué et compilé par Sven Väth et promu par Garnier. Ça a été le déclic pour relancer la machine, mais avec de nouvelles signatures et un nouveau son. Et par chance, je m’inscris dans cette veine-là.
Camille Rodriguez sera en live le 27 janvier à l’affiche de la soirée « Sourdoreille présente » à Petit Bain, en compagnie de Levon Vincent et Dr Jr’s. V’nez donc.
Crédits photos : Niko pour Sourdoreille
Bravo Camille, continues sur cette voie. Tu mérites ton succès. Gros Bisous.
Lucie de Nice