Retour en trois actes sur le nouveau spectacle de Camille, actuellement au Café de la Danse.
Engagement des corps, jeu et interprétation en mouvement permanent, trouvailles scénographiques et subtiles mises en espace : depuis bien longtemps chez Camille, on ne parle plus simplement de concerts. Trois actes pour un spectacle qui marque.
Acte 1. Les ombres portées.
Entrée en scène avec Aujourd’hui, qui ouvre également le dernier « Ilo Veyou ». Une ampoule suspendue et un grand tulle annoncent cinquante minutes d’un jeu d’ombres d’une finesse rare. Puisqu’elle sait s’amuser de tout, Camille en exploite d’emblée les formidables possibilités. C’est cadré, millimétré, mais aussi plus apaisé et aérien. Exit la puissance gospel de la tournée « Music Hole ». La poésie a, depuis, gagné du terrain.
A ce moment-là du spectacle, Robyn Orlin a veillé sur les moindres gestes de Camille , la chanteuse ayant fait appel à l’illustre chorégraphe sud-africaine. Et le résultat est là : la mise en scène est exceptionnelle, et laisse filtrer des moments de grâce filmés et subtilement projetées en temps réel au fond de scène. On devine alors que ce set sera entièrement dédié à ce quatrième disque, qui n’est pourtant pas un concept-album. Mais sur scène, il est pensé comme un tout. Le Berger, puis le single L’étourderie affirment la place des trois musiciens qui l’accompagnent sur cette tournée : une violoniste, un pianiste et un contrebassiste. Voilà pour leur mission première, du moins. Camille en fait surtout des compagnons de jeu, des acteurs au cœur d’un théâtre d’expressions musicales au service d’une présence vocale absolument inouïe. On a souvent dit de Camille qu’elle savait tout chanter. C’est vrai jusqu’à l’absurde.
Bien sûr, elle reste aussi cette femme fascinée par l’enfance et ses excès : entre gimmicks parfois agaçants et grimaces, cris et colères feintes, la petite fille qu’elle n’a jamais cessé d’être a fait de la scène son perpétuel terrain de jeu. Depuis un an, elle est aussi devenue une mère. Un statut qui nourrit inévitablement ses nouvelles inspirations, « Ilo Veyou » en porte la marque évidente. Fin du premier acte, qui a vu l’intégralité de l’album se dérouler sous nos yeux.
Acte 2. Le récital.
Camille revient pour un tour de chant incontournable : Ta Douleur, Paris, Au Port, et Baby Carni Bird et leurs interprétations respectives nous ramènent en contrées plus familières. De l’aveu-même de son staff, ce deuxième acte est moins emballant dans son expression scénique. Manque de temps. Il faudra peut-être attendre les résidences à venir et son retour au Trianon du 10 au 16 mai pour voir l’ensemble se peaufiner. Camille a pourtant bien marqué la rupture en changeant de tenue, en guise d’avertissement. Il faudra patienter jusqu’aux Pâle Septembre et Mon petit vieux, interprétés seule au clavier et dos au public, pour décoller à nouveau. C’est parfois le revers : à placer la barre trop haute d’entrée de jeu…
Acte 3. La récréation.
Dernier acte. Deux rappels, où il est temps de lâcher les chevaux et de libérer les esprits taquins. Camille s’approprie le Wanna Be Starting Something de M. Jackson, mais peine réussir son moonwalk. « Ça ne glisse pas assez, il me faut des chaussettes« . Un fan kamikaze au deuxième rang lui transmet ses belles chaussettes de sport qu’on portait encore fièrement en cours de gym en 1992. On attend de Camille qu’elle chambre. Mais non, elle sent, ne s’offusque pas de l’odeur, enfile les deux cadeaux et s’exécute pour un résultat à peine plus concluant. « La prochaine fois, je prendrai des bas ». Tout dernier moment : un public qui récite l’alphabet made in Camille, presque empathique, sans cette distance sarcastique et espiègle qu’on lui connait. Clap de fin, après deux heures. Avec une impression nette : tour à tour petite fille, femme, et mère, Camille est surtout devenue, au fil des disques et tournées, une grande dame capable de tutoyer le sublime, cinquante minutes durant.
Camille, c’est la classe !