Evénement incontournable de ce petit lopin de terre situé à l’extrême ouest du Finistère, le Bout du Monde, rendez-vous tant attendu de la presqu’île de Crozon, est enfin arrivé. Pour son 20ème anniversaire, le festival a revêtu ses plus beaux atours et a accueilli 60.000 festivaliers sur 3 jours. Quelques mots doux choisis.
Vendredi 2 août, jour 1. Il est 10h et les premiers festivaliers affluent aux portes du camping. Dans la file de sécurité, la première conversation philosophique est lancée : « tu préfères avoir des bras en mousse de 1m50 de long ou des dents en mousse ? » On sait qu’on est bien arrivé. Comme prévu, des débats épiques vont rythmer le week-end. Les festivaliers sont heureux, prêts à en découdre et se préparent à honorer, à la bretonne, des dizaines d’artistes venus du monde entier. Chanter et danser seront nos préceptes.
Imprimé léopard, Cuba et trompette d’impro
Pour sa 20ème édition, le festival du Bout du Monde reste fidèle à ce qu’il sait faire : être le point de rencontre de toutes musiques, d’ici et d’ailleurs, un lieu d’échanges humains forts, et un trait d’union entre les générations suffisamment rare pour être énoncé. Dans le genre, Kimberose est bien placée pour connecter son public. Pour nous, la jeune artiste franco-britannique ouvre les hostilités, sans sourciller. À la fois douce et pétillante, elle est ce rayon de soleil du vendredi. Elle a l’air contente d’être là. En même temps, quelle communion entre le public et ce diamant brut. De la lumière à l’ombre, on enchaîne avec le groupe Canine. Habillées en noir, les choristes enchaînent des chorés plus ou moins maîtrisées. Elles jouent avec la lumière, les harmonies. L’univers est onirique mais il est impossible de s’endormir. Canine croque le festival à pleines dents (vous avez saisi ? non ?). Le public est fasciné. Puis c’est au tour d’Ibrahim Maalouf de mettre les festivaliers sur vibreur. Un concert au croisement de plusieurs musiques, la poussière s’envole, s’arrête, suspendue. Maalouf sait renouveler son répertoire et bluffe par ses capacités d’improvisation.
Pas le temps de faire de pause en festival. C’est un problème. A noter dans le carnet des tracas de la vie. Bref, on se retrouve à courir au concert de Yemen Blues, tels des ados à leur première soirée Despe. Et là c’est le coup de cœur, le coup d’amour, l’évidence. Difficile de faire plus classe, le chanteur arrive avec un pantalon en cuir et une veste en velours, et il termine son concert en sortie de lit imprimé léopard. Il nous fait perdre la tête ; les jambes comme elles peuvent ; les bras battent le vent (lutte inutile) et la tête acquiesce. L’apothéose de la soirée ? C’est possible, s’il n’y avait pas ensuite eu Cimfunk, le groupe cubain qui a mis un feu historique. Avec des inspirations afro-cubaines, il se laisse aller au chant comme au rap avec la décontraction d’un paresseux en sortie de sieste. À la fin du concert le public, subjugué et ivre, n’a aucune intention d’aller se coucher. Ça tombe bien puisqu’il lui reste encore à affronter le groupe de hip-hop français Hocus Pocus, dont le succès commencé dans les années 2000 n’a pas bougé d’un iota. Procédure habituelle : ils font décoller le public infatigable qui scande les paroles et se remue au rythme des titres qui ont traversés les années sans prendre une ride. Un moment joyeux, authentique qui résume plutôt bien cette première journée de festival.
Feu!, musique balkanique et afro-beat
Samedi 3 août, jour 2. Le soleil rayonne sur les visages collés aux toiles de tente. Bientôt, la prairie de Landaoudec se remplit, doucement mais gaiement. On repart au combat. Ouverture des hostilités avec la belle Mayra Andrade, joli moment musical qui apporte un peu de douceur dans ce monde de brutes. Celle-ci, sans surprise, entre en parfaite harmonie avec un public totalement sous le charme.
On enchaîne tout doucement avec Robin Foster et ses musiciens, une invitation au voyage. Un sentiment de plénitude envahit le public qui se sent bien. Puis c’est le frisson lorsque Dave Pen, chanteur d’Archive, puis Madeline Anne, jeune chanteuse du coin, s’invitent sur scène. Si la musique instrumentale se suffit à elle-même, elle est sublimée par ces deux voix. L’une vibrante, l’autre envoûtante, le tout soutenu par une musique planante. C’est décidé, il faudra retourner les voir au set de 23h. En attendant, passage obligé sur la grande scène où Feu! Chatterton a lâché les fauves, avec toute la poésie rock, le romantisme et la sauvagerie qui les animent. Un moment tellement unique qu’on aimerait qu’il se prolonge toute la nuit, sous la pinède.
Mais non, après un peu repos (finalement quand on prend le temps, on le trouve) on retrouve Stéphane Eicher. Il n’est pas venu seul mais avec le Traktorkestar. L’objectif est clair : mettre la pagaille. Le défi est relevé haut la main. Stéphane Eicher et ses musiciens ont retourné la prairie de Landaoudec, secoué les foules. Le public sort reboosté et prêt à accueillir les prochains artistes de la soirée. Coup de projecteur sur Violons Barbares, trio atypique, généreux sur scène, constitué de musiciens qui haranguent la foule, l’invitent à danser. Pari 100% réussi. Les festivaliers choisissent le déhanché qui convient à cette musique intrigante mêlant influences balkaniques, mongoles et françaises. Le public est survolté. Ovation bien méritée. On termine cette soirée avec Femi Kuti, fils de Fela, monument de la scène afrobeat. Qu’il est drôle de voir à quel point le public est ensorcelé. L’artiste nigérian a ses aficionados, ne déçoit jamais et invente de nouvelles couleurs, de nouveaux tons qui vont si bien à l’esprit du festival du Bout du monde. C’est dit : il n’y a pas de meilleur moyen pour se coucher le cœur gonflé à bloc.
Soufisme, fanfare techno et carnaval
Dimanche 4 août, jour 3. Fanna-Fi-Allah ouvre le bal. Ces musiciens nord-américains, rubans de dreadlocks sur la tête, interprètent des musiques traditionnelles indiennes et pakistanaises, des chants de dévotion islamique soufie. Ils intriguent, surprennent mais sont drôlement convaincants. Les chanteurs impressionnent par leur technique vocale. Ils sont accompagnés d’un derviche tourneur qui entraîne le public dans sa transe. Leur rôle : transmettre un message d’amour. Message reçu 5/5. Le public leur en a rendu fois 10.
Sur la grande scène, le public découvre Calexico and Iron & Wine, la collaboration de musiciens talentueux rassemblés par une amitié indéfectible et une passion commune de la scène. Ils mêlent avec brio le folk moderne à des envolées psychédéliques. La lumière est belle en cette fin d’après-midi, beaucoup de festivaliers s’assoient et semblent se laisser dériver. Un voyage vers les grandes étendues d’Arizona. Une parenthèse douce et nécessaire, jour 3 oblige, qui fait le plus grand bien puisqu’on enchaîne avec Yuri Buenaventura qui trouve le combo parfait en mélangeant allégrement chansons latino-américaines et reprises de chansons françaises célèbres.
Le festival du Bout du Monde se termine sur Technobrass, une fanfare techno franco-brésilienne. Armés de cuivres et percussions, ses membres font entrer les festivaliers en transe, testant ainsi leurs dernières limites après 3 jours à rude épreuve. Le résultat est bluffant, la foule n’est plus qu’une vague de milliers de personnes, sautant au rythme d’une musique carnavalesque. Heureux mais rincés on repart de ce concert, subjugués par 3 jours magiques. Pour cette 20ème édition, ni révolution, ni stagnation, mais beaucoup de passion, d’impertinence, de curiosité, de détermination et d’émotion. Le festival garde cet équilibre entre grands noms de la scène internationale et découvertes carrément convaincantes, dénichées ça et là, qui font toute la saveur du Bout du Monde. Comme à son habitude le festival se distingue par ses sa palette de couleurs et sa capacité à animer les passions au plus grand nombre.
KENAVO AR WECH ALL LE FESTIVAL BOUT DU MONDE !
Photo en une Dionysos © Nicolas Le Gruiec
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