Fatigue et ivresse, l’esprit n’arrive pas à se faire à la réalité retrouvée : la faute à Burning Man. Une semaine d’expériences avec 70.000 personnes dans un désert à 1.200 mètres d’altitude, avec une poussière envahissante, sans eau ni l’ombre d’un arbre. Reportage dans un espace imaginaire, où tout prend une importance incroyable car tout est éphémère, a été et n’est déjà plus.
Le monde des bisounours
Comme tout gros rassemblement (et celui-ci est un bon morceau), il est ardu de décrire ce qu’est Burning Man car chacun vit son propre Burning Man, le rendant de facto unique. La façon de l’appréhender reste la clé pour en tirer le plus que l’on peut : plus on est actif et participatif, plus on découvre et expérimente, plus on se sent libre d’essayer tout ce qui nous passe par la tête. Et tout passe par le don.
Ici et pendant une semaine, le jugement ne semble pas de mise. Ce sont plein de petites expériences tellement absurdes, uniques et imprévues qu’on les apprécie au centuple : se faire tamponner la fesse au « stamp camp », jouer avec des ballons gonflables géants, faire du bowling avec son vélo, assister à une séance de méditation, manger de la soupe miso sous une barre de pole dance, observer une troupe de gens qui ne font que miauler, se bâfrer de barbe à papa, jusqu’à manger des chilis et péter dans un mégaphone (la liste est interminable et le programme regorge de choses aussi saugrenues les unes que les autres). En résumé, personne ne sait ce qui va arriver dans les cinq prochaines minutes. Le conglomérat humain devient enfin une sorte d’antenne d’énergies positives. Cela explique pourquoi les gens vous disent régulièrement « you look great ! » et vous font un « hug » bien serré. On devient vite adeptes de ce boost énergisant.
La survie
Par rapport au rythme, les premières trente-six heures étaient de la survie. On peut lire tout ce qu’on veut mais cela ne prépare pas à la surprise de perdre ses potes à vélo au milieu de la Playa en un quart de seconde à cause d’une soudaine tempête que l’on n’a pas vue venir. Toutefois, aucun stress. On se retrouve au milieu de rien, distinguant un lourd son de machine et quelle n’est pas la surprise en voyant sortir du néant un yacht de trente mètres qui fait résonner ses sirènes et s’en va continuer son chemin, nous laissant complètement béats devant ce qui vient de passer devant nous. L’environnement est hostile et on est contents de retrouver son camping pour se réapprovisionner et se reposer au milieu de ce camp de base de dingues.
© Sarah Duff
Fury Road
Car il faut déjà s’y rendre et combien d’histoires on entend sur untel qui a crevé, un autre qui a cramé son moteur, une qui s’est fait arrêter par la police, un qui a pris une route trop petite. Le lieu se mérite et y arriver constitue une petite victoire en soi après des heures de route.
En parlant de routes, celles de la Playa sont tracées au gré des conducteurs des « mutant vehicles ». Ce sont des « art cars » bidouillées qui sillonnent le terrain de jeu et où chacun ou presque est invité à monter pour une destination souvent inconnue et aléatoire. Stationnées dans les allées de Black Rock City, elles se mettent en route de jour comme de nuit pour quitter les quais de l’Esplanade et s’aventurer dans l’immense espace désertique, tels des caravelles qui partiraient vers des confins inexplorés. Lorsque la lune brille, ces chars se parent de néons de mille feux et partent à l’assaut de la plaine, donnant l’impression, lorsque leurs chemins se croisent, de dialoguer entre elles et d’être une entité vivante à part entière. Au moment de brûler le « Man », elles lui rendent un dernier hommage en s’agglutinant autour de leur maître, avant d’aller une fois encore faire vibrer l’atmosphère.
Disneyland ?
Ricardo Villalobos : « Je n’y vais pas parce que j’ai mon Burning Man tous les week-ends, et je ne vais pas partager des moments avec des gens qui ont des millions d’euros sur leur compte et qui inventent un système de partage pendant 10 jours, alors qu’ils ne font attention à personne dans la vie de tous les jours. »
On laisse à son point de vue l’un des artistes qu’on vénère le plus chez nous et on ne va pas argumenter sur le fait que des gens passent toutes leurs économies à créer une œuvre pendant un an avant de l’amener dans un désert afin que d’autres vivent une certaine expérience. L’idée de pouvoir vivre une utopie si géante (sur tous les aspects, car les utopies à petite échelle valent aussi leur pesant d’or) pendant une semaine peut permettre aux gens de changer un peu leur vision du monde le reste de l’année. Ricardo Villalobos, tu as de la chance de pouvoir faire ça tous les week-ends et le monde t’envie. Mais tout le monde n’est pas toi, Ricardo Villalobos.
On pourra dire ce que l’on veut, les détracteurs de Burning Man sont légion. Et il y a quand même de quoi. Les générateurs tournent à plein régime, il y une masse de déchets évacuée par tout un chacun et le bilan CO2 est loin de recueillir des éloges. De plus, certaines scènes cultivent leur image au même titre qu’une boîte de nuit select qui sélectionnerait ses clients. Loin de l’idée du non-jugement, de l’absence de m’as-tu-vu et de l’ouverture. On déplore par ailleurs grandement les camps « clé en main » où il faut bourse délier pour passer du temps dans une oasis. Ajoutons à cela une sorte de déification du « Man » dont la base ressemble plus au dédale d’un musée qu’une statue du personnage.
La musique (il fallait bien en parler) fait également partie intégrante de Burning Man avec passablement de scènes deep house qui ont accueilli cette année Bob Moses, Lee Burridge, Carl Cox, Jamie Jones et autres consorts. On notera également des marathons de Scumfrog à l’aube jusqu’à Seth Troxler, Skream et Waff au crépuscule, on s’est senti léviter sous Acid…Pauli. Les systèmes de son font vibrer les entrailles et le sol réverbère les basses à des kilomètres à la ronde pour mieux attirer les badauds en manque de rythmes pour balancer la patte.
Au final, l’expérience est transformationnelle. Elle vous surprendra. Laissez-vous aller si vous le pouvez.
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