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Bruit Blanc rallume les strobes à Lille

Collectif réunissant Yolande Bashing, Mardi Midi, Cesar Palace et bien d’autres, Bruit Blanc promeut la scène amateure lilloise. On aimerait dire qu’ils sont un peu une maison de disques, mais il serait plus juste de l’appeler un garage à sons, pour être raccord à son esprit do it yourself. Interview de Romain, son fondateur.

L’aventure Bruit Blanc débute ainsi. C’est deux types qui rentrent dans un bar à Lille. Le premier a l’idée de faire un magazine papier sans moyen. Le second fait de la musique. Le premier adore la musique du second. Reprend-il une pinte fraiche de Jupiler à ce moment-là ? Personne ne le sait. Alors, comme souvent dans l’histoire des discussions, la conversation prend un autre tournant. Le fanzine n’existe plus. Ça ira plus loin. Le premier propose au second de sortir sa musique. Le second accepte. Mais ça ne s’arrête pas là. Après coup, le premier fait jouer le second partout dans les rades et les squats de Lille, avec son petit stand de merchandising à l’entrée, et ses CD comme dans les années 70.

Et puis, quitte à aller toujours plus loin dans l’anachronisme, alors, le premier et le second sortent une compilation en cassette de la scène musicale lilloise non subventionnée. Forcément, ils reçoivent pas mal de musique qui fait krrr ou pfrrr ou taktaktak, et certainement des textes cryptiques dont la poésie leur échappe alors, mais qu’importe, ce qui n’était qu’une rencontre entre deux types s’élargit. Et n’en déplaise au gros George qui pensait que « sitôt qu’on est plus de quatre on est une bande de cons », les Lillois s’y sont dirigés la tête la première. Parce qu’une bande de cons, ça n’a peut-être pas toujours fière allure, et ça ne se lave pas forcément les cheveux toutes les semaines, mais ça rapproche, ça lie des gens que tout oppose, sur le papier. La connerie comme atomiseur de classes sociales, ça a de la gueule, non ?

Mais ce n’est pas tout ce que Bruit Blanc m’évoque. Son soutien aux pratiques musicales indépendantes est autrement plus louable encore. En effet, la bande lilloise nous joue, chaque jour qui passe, une magnifique ode à « l’amateurisme ». L’amateurisme comme leitmotiv, comme chemin philosophique, comme remise à plat du concept du professionnalisme, tourné désormais en ridicule. Un professionnalisme qui n’est plus un but, plutôt un monde déshumanisé qui gagnerait à s’inspirer de l’amateurisme. Un secteur amateur qui, pourtant, n’a rien d’un parvenu, qui connaît son environnement, qui ne se fait pas d’illusions, qui retrouve le sens premier de l’art et la vie en société. Qui veut certes vivre, être écouté et estimé, mais non pas trôner, être célébré ni adulé.

Cette histoire commence à Lille. Mais elle pourrait être née ailleurs. Sur Mars, même. C’est un conte moderne. Il raconte comment des individus créent des espaces de fougue. Quête de l’interstice, de fuite en arrière, appelez-le comme vous voudrez.

Monter un projet entre amis, sans plan de base, juste pour la passion et le plaisir d’être ensemble, épisode 36143463874. Et pourvu que ça dure, putain. Ci-dessous, l’interview.

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Séminaire d’équipe et frites VIP aux Inouïs du Printemps de Bourges © Bruit Blanc XYZ

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Romain, j’ai un parcours professionnel plutôt dans la communication audiovisuelle, mais je touche un peu à tout, et particulièrement dans l’univers des salles de concert. J’ai travaillé au Glazart à Paris, dans plusieurs événements, puis suis retourné dans mon nord natal dans la salle La Cave aux Poètes à Roubaix, avant l’aventure Bruit Blanc.

Il était une fois… Bruit Blanc ?

Par mes boulots dans des salles de concert, j’avais été amené à faire des co-productions ou co-programmations avec des structures x ou y, et donc été souvent sollicité par des artistes du coin. On m’envoyait de la musique. Étant très client des cafés concerts, des rades et des squats des bas fonds lillois, j’avais un œil sur la scène locale indépendante. Un jour, une collègue m’a dit : « le frère de ma copine m’a dit qu’il fallait écouter ça ». C’était un projet de Baptiste, futur Yolande Bashing. J’ai écouté et j’ai halluciné. Surtout j’étais très étonné de ne pas connaître cet artiste, pourtant lillois. À ce moment-là, je voulais faire un fanzine papier et écrire sur la scène locale. J’ai pris rendez-vous avec Baptiste dans un bar pour en faire un article. Et puis, il me disait qu’il avait des démos pour un autre groupe, nommé Yolande Bashing. Finalement, plutôt qu’un article, je lui ai proposé de sortir sa musique. Bruit Blanc est né en même temps que Yolande Bashing, et les deux se sont portés l’un l’autre.

Quel était le plan de base ?

Il n’y avait pas de plan. Enfin presque. On avait en tête de sortir une compile en cassette, alors on a lancé des appels à contribution. Faire un label aujourd’hui c’est se tirer une balle dans le pied. On le savait, on l’a monté quand même et plus encore : on développe les artistes indépendants qui ne sont pas soutenus, qui n’ont pas de tourneur, de chargé de marketing, etcetera. Avec Yolande Bashing, une fois que ça a démarré, on a diffusé leurs sons, et on les a surtout programmés en concert. On a compris qu’il fallait qu’on taffe avec des artistes qui te mettent des claques sur scène. L’idée c’est de développer une fan base réelle, pas seulement une audience numérique, qui ne soit pas palpable. Quand tu  a pris une claque sur scène, tu vas acheter l’album… qu’on propose au merchandising. C’est l’un des ingrédients de Bruit Blanc. À l’ancienne. Yolande, on les programmait dans les bars tous les mois et, à chaque fois, on en profitait pour faire jouer des potes de la scène locale en première partie. De fil en aiguille, il y a des affinités qui se sont créées.

Vous êtes combien ?

À faire le taff d’accompagnement d’artistes, et de gérer la barre de Bruit Blanc, on est deux, avec Leïla. Après on se voit comme un collectif, les artistes sont estampillés Bruit Blanc, on peut monter jusqu’à une dizaine. Les artistes entre eux collaborent beaucoup. C’est assez perméable d’un projet à l’autre.

C’est quoi l’esprit Bruit Blanc ?

Défendre la scène locale, qui est à des lieux de la scène dite professionnelle des musiques actuelles. Pour ma part, j’ai un pied dans les deux. On est reconnus pour aller repérer des artistes intéressants et les rendre visibles auprès des professionnels. Il faut être didactique auprès des artistes, avec non pas la volonté de les rendre bankable ou mainstream, mais de les rendre bien visibles. La musique peut être un métier mais n’est pas un métier avant tout. La filière professionnelle a beaucoup à apprendre de cette scène plus punk dans l’approche, ses valeurs et ses musiques.

Pop zarbi, punk, nu-soul, chanson ou musiques électroniques qui tâchent, ces grands écarts défendus par Bruit Blanc peuvent-ils dérouter autour de vous ?

Quand on programme une soirée ou une compile, on fait gaffe, on travaille une cohérence. C’est sûr qu’on propose aussi bien de la techno indus, expérimentale hyper crade, qu’un groupe comme Yolande Bashing qui assume de plus en plus une disco-pop quasiment radiophonique. Je ne vais tomber dans le cliché du j’écoute-de-tout mais naturellement, on se retrouve avec de l’électro-pop, de la techno, voire de la chanson soul. On se dit toujours qu’on s’en fout, qu’on fait ce qu’on aime. On prend notre claque sur scène, puis on s’insurge que l’artiste ne soit accompagné par personne, et enfin on s’implique.

Quel est le Lille musical et culturel que tu as découvert quand tu t’y es installé ?

Je l’ai découvert avec mes études. La scène lilloise a plein de charmes, mais elle a beaucoup de points négatifs. Les scènes indés phares sont sur le déclin : des bars et des cafés concerts ferment. Le Biplan, qui était une cave, la Péniche, qui était privée mais avec une programmation très exigeante, le DIY, un bar qui vient de fermer… Comme partout, ils ont connu des soucis de voisinage et de non-soutiens de la mairie.

Lille a-t-elle une histoire particulière avec l’esprit do it yourself ?

Il y a clairement une scène do it yourself, une culture de l’underground. Il y une salle, le CCL, totalement indé, pratiquement un squat. C’est foisonnant, punk, expérimental mais très invisible quand on ne t’en parle pas. Ce côté DIY se renouvelle, il faut être débrouille pour trouver ces concerts. Beaucoup d’événements, club par exemple, se font dans la sphère privée. Autant les lieux de culture pourront toujours être en danger, mais l’art et la culture vivront, malgré tout.

Photo en une : Yolande Bashing au PZZLE festival, Lille 2019 © Bruit Blanc XYZ

Aller plus loin dans Bruit Blanc : Bandcamp / Site web

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