« Mets Breakbooooooooot maintenant », crie-t-elle les yeux rouges, le ton mal maîtrisé, les mains sur la tête, fixant tel le suricate le danger qui la guette. Il est une heure du matin à Bordeaux dans une soirée comme une autre. Après trois roulements d’Umbrella de Rihanna, une tentative échouée de La Lune Rousse de Fakear, un élan de motivation sur Paper Planes de MIA et un moment vraiment bizarre de lapdance sur Down in Mexico où Charlotte s’est viandée et a renversé son Moscow Mule sur les cheveux de Tristan qu’elle essayait de choper, le moment tant attendu de la soirée arriva, le tubissime « Baby I’m Yours ». Un titre qui a catapulté Breakbot et confirmé la maison Ed Banger sur le paysage pop et électro française. Quatre ans après, retour de Jésus et ses gémissements. Interview des types que la France a élu Rois du cool.
Se sent-on tout nu une fois qu’on sort un album ?
Breakbot : Il y a forcément une appréhension à la sortie d’un album, surtout pour un deuxième disque.
Irfane : T’y penses même pas au premier disque.
B : Tu t’attends forcément aux gens qui vont te dire que c’est de la merde.
Breakbot, c’était mieux avant …
B : Comment ça se fait qu’il fait ça ? C’est pas du tout lui.
I : Après, de là à se mettre tout nu…
B : Oh quoi que, ça a un petit côté exhib. Je me suis calmé mais c’est vrai que j’ai eu ma grande période dans les années 80 où je me baladais souvent à poil. Mais c’était les années 80, il y avait plus de liberté, aujourd’hui on me prendrait pour un fou.
I : Déjà qu’avec ton look…
Breakbot – 2good4me
Par flemme, je ne ferai pas de chronique de votre album. Vous pourriez me mâcher le boulot ?
B : Franchement, c’est un album qui tue, qui déboîte.
I : Si tu veux des mots précis, je dirais excellence, grand art, chef d’oeuvre, masterpiece, cet album est tout nu et tout bronzé.
Malgré les trolls et les cétémieuxavant-istes, on est en droit de se dire que Breakbot fait du Breakbot en l’écoutant ?
B : C’est un projet qui évolue mais on a toujours nos petites lubies et nos repères. Malgré les incartades. La structure de base est assez établie et même si ça évolue, on peut quand même reconnaître la patte.
I : Thibaut (Breakbot) a cette patte reconnaissable qu’il a développé mais qui est le reflet de ce qu’il est. C’est assez agréable de se dire que quand bien même les outils de production changent un peu, on arrive à le reconnaître. C’est un avantage dans le monde de la musique d’être identifiable. Nous qui avons été bercés par le hip-hop des années 90, c’est le trait des producteurs qu’on a aimés, que ce soit RZA, DJ Premier ou Pete Rock. T’écoutes leurs disques, tu sais direct lequel c’est.
Tu parles d’incartades, je pense au single « 2good4me » plutôt typé vieil R’n’B, c’était pour vous marrer ou vous en écoutez vraiment ?
B : On en a toujours écouté. Je me rappelle avoir eu l’album des Boys II Men quand j’étais petit, puis après Toni Braxton, TLC, Beyoncé . On a toujours écouté plein de trucs et on ne s’en cache pas.
I : Pour revenir aux trolls et les cétémiuexavant-istes, ce sont souvent pas ceux qui prennent le temps d’écouter ton disque et de faire la part des choses. Et ce qu’ils ne perçoivent pas, c’est que le hip-hop, le funk et le R’n’B viennent d’une seule et même source.
« Ed Banger a fait passer la musique électronique dans le domaine de la pop culture. Forcément, tous les puristes se sentaient trahis d’une certaine manière. Je pense qu’il ne faut pas le voir comme une vulgarisation, plus un vrai accomplissement en soi. » Irfane
Ça vous fait quoi de vous dire que dans les soirées en France, « Baby I’m Yours » passe entre un Rihanna et un Beyonce ?
B : Ça nous touche à fond. Notre but, c’est de faire de la pop, que notre musique soit accessible.
Breakbot sera toujours plus LA que Détroit ?
I : C’est une certitude. Pour ma part, j’adore la musique de Détroit, que ce soit la Motown ou la techno d’Underground Resistance. Mais c’est un autre moteur. On essaie de se rapprocher d’une bande-son plus solaire, faite de plages et de cocotiers. L’affiliation est plus évidente avec LA qu’avec Détroit.
Pourquoi tout le monde aime le funk ?
B : Ah bah ça je savais pas. C’est peut-être une histoire de mode. Je pense pas qu’un morceau comme « Uptown Funk » de Mark Ronson feat Bruno Mars aurait fait le tabac qu’il a fait il y a cinq ans. Pareil pour l’album des Daft.
I : T’es en train de dire qu’il a fallu « Baby I’m Yours » pour que tout ça se mette en place, hein ? (rires)
B : Non, mais il a fallu plusieurs fils conducteurs pour le remettre au goût du jour.
Le disco était un genre complètement ringardisé comme les années 80. Aujourd’hui, il inonde la musique indé. A quoi ça peut être dû ?
I : La mode, c’est toujours des modes de réinterprétation des choses de notre passé. Ça date pas d’hier.
B : Dans les années 90, le rap samplait beaucoup le funk des années 70, dans les années 2000, c’était plutôt l’électro des années 80.
I : C’est souvent des cycles de 20 ans qu’on retrouve dans la mode vestimentaire et dans la musique.
B : Et forcément, tu as aussi des rejets de culture. Ça me fait penser que pendant un moment, il y avait des gens qui se réunissaient pour brûler des album de Chic.
I : Ouais, tu regardes sur Internet, tu trouves énormément de t-shirts « Disco sucks », « Kill the DJs », c’étaient les trolls de l’époque. C’était et la musique et l’insouciance dont les gens avaient marre. Marre que ce soit considéré comme un échappatoire alors qu’ils se sentaient hyper concernés par les problèmes du monde. Nous on est totalement à l’inverse de ça. On est pour avoir un échappatoire.
B : C’est sûr que ça plaisait pas au fan de rock engagé ou de Bob Dylan. Trop édulcoré. C’est sûr que les paroles sont pas souvent super profondes et recherchées. C’est sur l’instant, dans le rythme de la musique, c’est pas du garage.
Dans une interview pour Konbini, le DJ hollandais San Proper déclare « Le temps des bobos et des putains d’Ed Banger de merde, c’est fini ». Konbini a probablement isolé cette phrase pour la rendre clinquante mais ça raconte ce qu’une frange de la communauté techno pense. Vous avez déjà entendu et compris ce genre de critiques ?
B : Ça fait quand même six ans que je suis sur Ed Banger, donc oui, j’ai déjà entendu ce genre de critiques, depuis 2006 – 2007. Je suis copain avec certaines personnes du label depuis même avant. Il se trouve que c’est un label qui est là depuis 2003, Pedro [Winter – Busy P / ndlr] est toujours là et sort des maxis qui sont assez pointus quoi qu’on en dise. C’est facile de dire des trucs comme ça. On en reparle dans cinq ou dix ans.
I : Il y a un côté puriste qu’on comprend bien et on en revient à ce qu’on disait sur « Disco sucks ». Ed Banger a fait passer la musique électronique dans le domaine de la pop culture. Forcément, tous les puristes se sentaient trahis d’une certaine manière. Je pense qu’il ne faut pas le voir comme une vulgarisation, plus un vrai accomplissement en soi. Pour en revenir aux choix de Pedro, qui est quant même le seul directeur artistique du label, il a su aussi se renouveler. Quand on entend les premiers morceaux de Justice, on se dit pas « ah il va sûrement signer Breakbot ».
B : Si t’y réfléchis bien, chaque artiste d’Ed Banger a son truc. Y’a pas vraiment de rapport entre Mr Flash, Mehdi, Justice, Sebastian, moi. Ces derniers temps, il revient à des trucs plutôt house à l’ancienne. Pendant une période, certaines personnes ont assimilé le son un peu saturé de Justice à Ed Banger. Mais c’est plus le cas.
I : Comme toutes les choses qui ont du succès et qui polarisent, elles divisent aussi. C’est aussi simple que ça.
Crédit photo : juanitos.net
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