Vous n’avez jamais entendu le nom de ce musicien ? C’est tout à fait normal. Présent en tant qu’accompagnateur auprès de nombreux artistes, Boris Maurussane n’avait, jusqu’alors, rien publié sous son nom. Sans doute, et c’est assez rare ces temps-ci, a-t-il voulu avoir quelque chose à dire avant de s’exprimer ; avant d’estimer que son propos soit suffisamment important et nourri pour le proposer à qui voudra bien l’écouter. J’espère que la lecture de cette chronique vous donnera l’envie de découvrir son Social Kaleidoscope. Car oui, cet album vaut qu’on s’y attarde tant il est incarné, ouvragé, réfléchi.
Le disque s’ouvre par de gracieuses harmonies vocales agrémentées de vents, de cuivres, de guitares, de claviers. La tonalité est posée : nous avons affaire à un grand amateur des Beach Boys tendance Pet Sounds et Smile. Le risque est alors que l’album ne soit qu’hommage ou pastiche.
Heureusement ce n’est pas si simple : le propos s’enrichit dès la deuxième chanson (« Your life is full of leaves »). La guitare folk est psychée, les arrangements toujours sunshine pop, et puis on avance d’une décennie : nous voilà dans une ambiance de rock progressif, claviers 70’s retro futuriste et long solo de guitare. Lorsque l’on mentionne le rock progressif et les solos une précision s’impose : ce solo est musical ! Boris Maurussane (ouf !) a laissé de côté les aspects pénibles de cette période pour n’en retenir que ce qu’il y a eu de plus fin (l’école de Canterbury en tête). Ce premier titre, très narratif, prend fin après presque 7 minutes.
Vient l’excellent et guilleret « Riverbank », sunshine pop et splendide final psyché tout en harmonie vocale, violon, trompette et collage sonore. L’ambiance devient Brésilienne avec « Social Kaleidoscope » et, là encore, un fin et mélodique solo. Un morceau, le suivant : une splendeur résonne avec une autre et parfois lui répond en reprenant un thème.
Tout l’album se déploie sur un équilibre : chaque morceau comporte différentes influences mais prend une direction. « Hawaï » (sans doute une référence explicite au groupe High Llamas) et ses harmonies vocales d’un côté et son « Antipodes » de l’autre : claviers rétro futuriste, rythmique pop psyché et envoi de guitare électrique de l’espace (5-4-3-2-1-0).
Impossible que l’oreille s’ennuie à l’écoute de pareille musique tant elle est sollicitée par des variations, des changements d’instruments, de timbres, de légères ruptures, des bifurcations en plein morceau. Et coup de génie : cela ne produit aucune confusion ; tout au contraire clarté et fluidité. Boris Maurussane ne compose pas du faussement complexe très franchement poseur qui se noie dans la confusion la plus totale à force de ne pas vouloir faire comme tout le monde.
En un mot ? Social Kaleidoscope s’écoute comme un disque d’esthète ; de ceux qu’aurait pu éditer le label Tricatel dans ses grandes années. Disque d’esthète, oui, mais sincère et jamais hermétique ou pédant. Vous voyez ce genre d’artistes qui joue de la référence, de la citation permanente en guise de clin d’œil complice à l’érudit auditeur qui, fier, saisira ? Eh bien Boris Maurussane manie plutôt les influences comme des sources, non des références ou des citations figées. Et pour que ces sources coulent avec vigueur et se rejoignent pour ne faire qu’une, il s’est impeccablement entouré de musiciens, pop (Julien Gasc, Jean Thevenin, Stephane Bellity), baroque ou jazz (Sandrine Marchetti) ainsi que de la fine fleur de la production (Domotic, Angy Laperdrix).
Des interludes de piano impressionniste (« Incise »), des mélodies impeccables, des compositions riches et ambitieuses, un chant aérien ; ajoutez à cela des colorations jazzy (« Outside the door ») et normalement vous filez tout de suite écouter ces merveilles. Ces douze chansons comme autant d’inépuisables opéras de poche raviront les amateurs des Beach Boys, Van Dye Parks, Todd Rundgren, Harpers Bizarre, Robert Wyatt, Caravan et des plus récents High Llamas, Stereolab ou Dorian Pimpernel.
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