La capitale girondine ne déroge pas à la règle : tout comme Lyon ou Nantes, son histoire peut aussi être racontée sous le prisme du mouvement techno. Malgré un retard certain sur les autres, l’un des plus grands bastions français du rock varie depuis peu ses atouts. Des acteurs devenus incontournables dans le milieu s’implantent et se développent plutôt très bien. Retour sur 20 ans de musiques électroniques à Bordeaux sur fond de politiques répressives où l’on croise Pasqua, la nouvelle ligne LGV, un projet d’aménagement immobilier pas commode, le 4 Sans, Juppé et la gentrification. Tout ça agrémenté des souvenirs de Benoît Guérinault, programmateur du Hors Bord Festival et directeur artistique d’une salle de concert devenue emblématique de la région, l’IBoat.
C’est un fait, Bordeaux a plus la réputation de gratter la pierre de taille de son Grand Théâtre que de soutenir une culture issue des raves. Vingt ans de regards détournés, de coups en douce et de conservatisme entre la ville que le reste de la France adore appeler « bobo-snob » et l’underground électronique. Ça fait un paquet d’histoires à raconter. Par un astucieux rewind ◄◄, on va tenter de comprendre comment « La Belle Endormie » a fini par lancer son premier ambitieux festival de musiques électroniques, le Hors Bord Festival, ainsi que d’asseoir l’IBOAT comme l’un des meilleurs clubs européens.
1995, sale temps pour la rave
Ce week-end de mars 1995 commençait bien. Pourtant, la colère gronde chez les teufeurs aquitains : deux descentes de police ont lieu au Chat Bleu et au Dorémi, discothèques symboles de la ville. Le Chat Bleu est l’une des premières boîtes françaises d’une capacité de 2000 personnes à se spécialiser dans la house et techno et a ouvert peu après que les basses de Frankie Knuckles aient traversé l’Atlantique en 1991, c’est dire. Mais en deux jours à peine, les deux clubs emblématiques prennent six mois de fermeture et les gérants mis en examen. Selon Libération, le shérif de la brigade des stups de Paris de l’époque, Michel Bouchet, leur confie cette phrase : « qui dit rave dit ecstasy. » Tout une époque.
« Il faut canaliser l’excès d’enthousiasme des clubbers »
Alain Juppé, 2009, 20 minutes.
Deux mois plus tard, la répression gouvernementale augmente d’un cran. En mai 1995 sort la circulaire « Les soirées rave, des situations à hauts risques » (lire) mise en place par ces déconneurs de Jean-Louis Debré et Charles Pasqua et éditée par le Milad (Mission de Lutte Anti-Drogue). Cette note visait à informer les forces de police de l’état des raves : qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ? Qu’est-ce qu’il s’y trame ? Et par dessus tout, pourquoi et comment agir face à eux ? On y apprend notamment qu’à l’époque, les ravers étaient « âgés de 5 à 25 ans. » Bordeaux et la France électronique souffriront pendant de longs mois d’arrestations arbitraires et de relaxes pour manques de preuves. « Je suis DJ, pas dealer, je vous jure – Oui, oui, c’est bien, suivez-moi. » Mais les mentalités évolueront avec leur temps.
Euratlantique, fléau des nuits bordelaises
Certains se rappellent sûrement du 4 Sans qui était jusqu’à peu un lieu phare de la nuit bordelaise. Il a largement contribué à la popularisation des musiques électroniques à Bordeaux et l’émergence d’un club comme l’IBOAT. De 1997 à sa soirée de clôture en juin 2011 (la « Démolition »), il officiera pour accueillir près de la Gare Saint-Jean souvent les meilleurs soirées de musiques électroniques de la ville. Carl Cox, Richie Hawtin, Carl Craig, Jeff Mills, Derrick May, Justice, Calvin Harris, Birdy Nam Nam, DJ Mehdi, Soulwax, David Guetta, il y en avait pour tous les goûts.
Petit problème, il va subir le courroux d’un type dont la profession n’aurait de délicat que le patronyme. Philippe Courtois a été le directeur général d’Euratlantique (jusqu’en 2014), société en charge du projet de réaménagement du quartier de la Gare Saint-Jean – Belcier (mais aussi Bègles – Floirac), historiquement celui de nombreuses boîtes de nuit. À la place de ces espaces de danse plus ou moins assumables, Courtoix – missionné par Juppé – verrait plus des logements, des bureaux, de la voirie et du développement durable. Bref, du calme. Qualifié de « tueur » par certains commerçants, il est à l’origine de déclarations du type : « la moitié des boîtes de nuit du quartier devra se transformer ou partir. » Bête noire des établissements du quartier, il assène des coups durs à la nuit bordelaise qui voit en lui le diable et parle plus de ses convoitises immobilières que de son vœu de réhabilitation de l’urbanisme.
Un retard à rattraper
Comment reprendre l’avantage sur d’autres métropoles comme Nantes ou Lyon qui ont travaillé de pair avec les acteurs de la musique électronique ? Si l’hypothèse de voir un jour Vincent Carry, directeur des Nuits Sonores, devenir maire de Lyon ne choque quasi personne, ou de comparer les budgets alloués à la culture à Nantes dans des lieux alternatifs comme Stereolux ou le Lieu Unique, on est encore très loin du compte à Bordeaux.
En fait, on sent que la mairie ne sait pas sur quel pied danser. Jean-Louis David (pas lui, l’autre), adjoint au maire de Bordeaux, confiait à Rue89 mettre « en valeurs les ‘bons’ établissements. » Un bel os pour ceux qui ne posent pas de problème, alors même que l’IBOAT subissait une fermeture administrative en 2014 pour du trafic de stupéfiants qui aurait concerné « des collaborateurs et des clients », démenti par le tribunal administratif il y a trois mois. Et ils sont loin d’être les seuls : le Bootleg la même année, le Respùblica et le Stereo Klub en 2013, sans parler des 15 bars et restaurants qui ont subi d’autres fermetures administratives en 2015 pour « tapage nocturne, ouverture tardive, travail illégal ou rixes » toujours selon Rue 89. Et on nous glisse dans l’oreillette que le Respùblica fermera cette fois définitivement ses portes le 11 juin prochain. Bordeaux ma ville.
« Le festival Hors Bord, c’est un tour de force pour qu’on arrête d’imaginer que la musique électronique c’est des raves, avec des mecs inconsistants, adeptes de l’ultra-défonce »
Benoît Guérinault.
Mais Benoît Guérinault en est convaincu : « il s’est passé un truc à Bordeaux récemment. » Plusieurs facteurs sont entrés en jeu : les Parisiens qui affluent massivement à Bordeaux – une accentuation est prévue avec la LGV, forcément -, une « grosse grosse » demande qui a suivi l’expansion du milieu techno, et des mentalités qui changent chez les habitants comme chez les politiques. « On a fait pas mal de médiation, d’un côté au près du public très jeune qui est venu dès le début et qui a 5 ans de plus aujourd’hui ; de l’autre, auprès des institutions » assure Benoît, et conclue : « ce n’est pas que grâce à nous, mais je pense qu’on a contribué au fait que cette culture-là soit mieux apprivoisée par les élus. »
Du côté du noyau rock, pas de rivalité selon lui mais « une partie qui ne se retrouve pas chez nous. L’IBOAT est typiquement un lieu qui a été mal appréhendé dès le début. » Bordeaux Rock, festival emblématique de la ville, se met aussi depuis quelques années à l’électro. Dernière édition en date, Francesco Tristano, Paul Johnson et Mount Kimbie étaient trois des têtes d’affiche de l’événement. L’année d’avant, le label de Chicago, Dance Mania était à l’honneur. Avec la demande grandissante, vous pouvez maintenant compter sur l’offre.
Le Hors Bord, premier festival de musiques électroniques assumé de Bordeaux
L’IBOAT fête ses 5 ans d’existence sur le paysage bordelais. Depuis 2011, l’équipe dont certains viennent du Batofar n’a pas voulu s’implanter comme un simple observateur mais un leader dans la diffusion de musiques électroniques dans le Sud-Ouest. Les ingrédients : un réseau solidement établi avec les acteurs locaux, une direction artistique qui ne dévie que très rarement de son cap, un système son au poil, une période idyllique pour la techno et un vivier de public qui n’attendait que ça. Chicago, Détroit, Londres, Berlin, l’IBOAT fait le pont entre les villes qui ont marqué la techno. Jeff Mills, Laurent Garnier, Ben Klock, Marcel Dettmann, le club fait également se mélanger les générations qui continuent de s’influencer entre elles.
L’IBOAT a réussi à s’installer malgré des prix élevés sur les consommations qu’il justifie par un travail de programmation à l’opposé d’une discothèque classique. Autour de lui, les prix grimpent partout en flèche dans un centre ville qui certes s’embellit mais lisse ses quartiers et ses cultures populaires des Chartrons à Saint-Pierre en passant plus récemment par Saint-Michel. Si on ne peut que saluer la ligne impeccable de l’IBOAT, on ne peut qu’espérer que ses prix n’aient pas à plus augmenter avec les années.
IBOAT
Du 20 au 22 mai 2016, le bateau intelligent débute son festival de musiques électroniques, le Hord Bord. Au programme, trois jours et deux nuits de musique, plus d’une trentaine de lives et DJ sets. Le festival peut se targuer de réaliser une programmation pointue et variée et de ne pas se conformer, comme beaucoup trop d’événements techno qui suivent à la lettre le TOP 100 DJs de Resident Advisor.
À la question de savoir si le Hors Bord est le premier festival de ce genre à Bordeaux, Benoît l’assume : « Je pense qu’on peut le dire. Pas le premier festival de musiques électroniques, mais c’est la première fois où le côté ‘festival’ est vraiment assumé. » Et de reprendre : « C’est un tour de force pour qu’on arrête d’imaginer que la musique électronique c’est des raves, avec des mecs inconsistants, adeptes de l’ultra-défonce. On veut passer à autre chose. » Le directeur artistique du bateau voit aussi ce rendez-vous comme une stratégie de médiation : « si ça fonctionne, ça sera un vrai pas en avant pour le quartier et pour la vie culturelle de la ville. Bordeaux a une vraie force, et est partie pour être un pole culturel. C’est une ville à suivre de près. »
Plus d’infos sur :
Photo de couverture : AP Photography
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J’aimerai contacter si possible les créateurs du 4 sans svp.
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Séb
06 92 82 62 69
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